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journal d'un détenu au quartier des "Isolés" - Prison des Baumettes à Marseille

Moi, Nadine, Je veux que vous sachiez...

Après avoir appris l'incarcération de son époux, Nadine doit à présent témoigner, devant les Assises... Elle soutient au jour le jour, vaille que vaille son mari et partage avec lui la dureté de la peine et de l'incarcération...

Lire la première partie : Moi, Nadine, femme de détenu

 

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*     *

 

Moi, Nadine, femme de détenu, une parmi les milliers d'autres qui sommes à la fois victimes de la peine de nos hommes mais trop souvent considérées comme coupables, je veux que vous sachiez...

 

 

Citée à comparaître



Je suis citée à comparaître en tant que 'témoin de moralité'. Ma présence est indispensable. Il faut que je tienne le coup. Un dur moment où il me faudra parler de mon mari, où je devrai raconter notre vie commune.

Je suis prise d'angoisse. Que vais-je leur dire ? je ne sais pas. Son avocate me dit de ne pas m'inquiéter. « Dites juste ce que vous ressentez. Votre témoignage va jouer en sa faveur. Je compte sur vous : ne lâchez rien ! »

Comment 'ne rien lâcher ?' comment tenir le coup devant une cour d'assises ? Il y a six jurés, deux juges, le magistrat la partie civile, l'avocat de la défense, un huissier, un greffier... Ca fait beaucoup de monde !

Je vais devoir parler de lui, parler de nous. Peut-être vont-ils essayer de me faire dire ce qu'il n'est pas, pour l'enfoncer encore un peu plus ? Non ! je ne dirai pas ce qu'ils voudrait entendre. Je ne dirai que la vérité, ma vérité.

 



Le jour du procès arrive. Le soir à 17h alors que j'y étais depuis le matin 9h , je dois venir témoigner. Je resterai accrochée à la barre presque une demie-heure. Lui, est assis seul sur le banc des accusés. Un journée longue, longue. Pendant les suspensions, j'ai pu lui dire quelques mots : j'ai pu le rassurer. Via son avocate, j'ai même pu lui montrer des photos de nos petits-enfants que j'avais affichées sur mon téléphone. Les policiers de faction ont laissé faire.

Au bout d'un jour et demi le jury se retire pour délibérer. Il rendra son verdict à 17h 30. Je suis soulagée que ce soit fini, même si la condamnation est dure à encaisser.

 

Le lendemain du verdict, je m'étais débrouillée pour avoir un parloir. Il fallait que je le voie, pour le soutenir. Il m'a semblé se satisfaire de la peine qu'il écopait. Moi moins : mon mari n'avait pas sa place devant les Assises : il n'a ni violé ni tué. Mais c'est ainsi. Il faut bien accepter. Dans les mains de la 'Justice' on ne peut pas grand' chose, on n'a pas le choix.

 



Je ne sais pas où est la logique dans tout ça.

Mais, enfin, sur ça aussi on passera dessus....
 

Si aujourd'hui je vous raconte tout ça, c'est pour tenter de vous faire partager ce que c'est que d'être 'une femme de détenu'. Pendant tout ces mois, j'ai vécu – je vis encore – à la fois dedans et dehors : dedans, comme si j'étais enfermé avec lui et dehors, où il faut assurer tout le reste. Pendant tous ces mois, je me suis oubliée.

 

Tous les jours, il faut se battre. Tous les mois, il faut assurer un virement sur son compte de détenu pour qu'il puisse s'acheter en prison au moins le minimum, bénéficier de la télévision, partager un frigo dans sa cellule.

Je fais tout ça pour lui mais je ne regrette rien. Il est mon mari, il est ma vie et je sais que je suis la tienne.

On nous a séparés, éparés physiquement, c'est vrai, mais lui et moi, nous partageons toujours le même espoir. Nous sommes toujours ensemble. Nous continuons à nous battre ensemble.

 

 

 

 

D'une prison à l'autre
 

A présent (depuis le mois de mai 2015 ), JP a été transféré au Centre de détention de Salon. Là-bas il revit. Je revis avec lui. Il a pu quitter la prison des Baumettes. Une prison mortelle et effrayante.

 

A Salon au moins la prison est propre, et me dit-il il se sens plus tranquille. « Ici, je suis presque comme en semi-liberté », ajoute-t-il.

Pendant la journée, les portes des cellules sont ouvertes. il peut se rendre d'un endroit à un autre avec plus de sécurité, il participe à les ateliers afin de préparer sa réinsertion.

Alors qu'aux Baumettes les douches collectives sont une véritable horreur, à Salon, les douces sont collectives mais ils peuvent en bénéficier toute la journee s'ils le desirent, en plus : elles sont propres.

Les cellules sont individuelles pour la plupart des détenus. Seuls ceux qui en font la demande sont logés "en doublettes",  en secteur fermé le plus souvent .

(Ci-dessus: Une cellule aux Baumettes - G. Korganow)     


Là-bas, JP est au top, me dit-il, avec des codétenus sympas. Il n'y a pas, à Salon, semble-t-il de surpopulation carcérale, comme aux Baumettes. Il faut dire que c'est un établissement sous gestion privée, peut-être l'Administration pénitentiaire préfère-t-elle entasser les détenus là où ça lui coûte moins cher ?

 

La prison de Salon se situe à 20 minutes de chez moi. Quand j'allais le voir aux Baumettes, deux fois par semaine, j'en avais pour la journée entière.

Ici, on ne nous impose pas ces sacs pourris pour transporter le linge : ces sacs avec écrit dessus – au gros feutre noir - le nom du détenu et son numéro d'écrou.

 

Donc, pour le moment, donc, tout va bien... Pourvu que ça dure !
 

 

Photo Karim Siari


La prison, c'est comme la mort.
 

Souvent, elle frappe à un moment où on s'y attend le moins. Et personne n'est à l'abri. Personne ne sait quand elle vous tombera dessus.

En plus du verdict judiciaire, les détenus, condamnés ou non, et leur proches doivent subir les jugements des 'braves gens' – souvent malveillants et méchants.

Ces 'braves gens' qu'ils ne savent même pas la réalité de ce qui se passe derrière les murs des prisons, comme aux Baumettes, par exemple, où les conditions de détention sont indignes, parfois inhumaines et où les 'Droits des détenus' oublient trop souvent les principes des Droits de l'homme.

Nous, femmes de détenu, pareillement, nous sommes regardées de travers. Nous reproche-t-on de ne pas avoir abandonné notre conjoint à son triste sort ? C'est vrai : on le soutient, on est là, présentes, chaque minute, chaque seconde. On s'occupe des démarches administratives, et de tout le reste pour ne pas qu'il sombre dans l'oubli et la dépression.

 

Quand on aime une personne, on fonce. Nous reproche-t-on d'avoir pendant le court laps de temps du parloir des rapports affectifs, parfois même des rapports sexuels ? Est-ce que je vous demande à vous ce que vous faites dans votre lit le soir, avec l'homme ou la femme que vous aimez ?

 

Nous, femmes de détenus, la nuit quand on se couche, nous n'avons personne qui nous fasse des câlins, pas de tendresse, pas d'affection : on se couche et on se lève toute seule. Mais les 'braves gens', ça - ils ne le voient pas, ils ne voient que ce qu'ils veulent.

 

 

 

 

Oui, je suis femme, épouse, compagne d'un Taulard ! Et alors ?
 

Oui, je suis l'épouse d'un taulard, et je suis fidèle, toujours auprès de lui. Et celui à qui ça ne plaît pas, celui-là il n'est pas obligé de me parler. Avant de nous juger et de nous condamner nous aussi, sachez Messieurs-dames les 'braves gens' que nos rapports avec nos hommes, bien qu'ils soient détenus, sont parfois plus sains que les vôtre...

Oui je pousse mes coups de gueule par moment parce que vous ne savez pas ce qu'ils endurent et ce que nous endurons. C'est facile de dire : « Ils payent leur dette a la société, et c'est bien fait pour eux ! ». Passez seulement deux jours enfermés comme eux et après on en reparlera !

Et je ne vous parle pas ici de tous ceux qui meurent en prison, qui se suicident où passent dans un couloir à un mauvais endroit à un mauvais moment et restent sur le carreau. Je ne vous parlent pas non plus de ceux qui prennent des médicaments – des neuroleptiques et des calmants -, pour tenir le coup.

Oui je défend leur cause et je la défendrai toujours parce que, même s'ils ont commis des fautes plus ou moins graves, derrière les barreaux, ils la payent très cher. Croyez-moi : la prison ce n'est pas une colonie de vacances !

 

Photo : Sylvain Borsatti avec Konny Steding


Leurs larmes, leur souffrance, leur enfermement, personne ne les voient mais nous, leur femme, leur amante, leur compagne, nous les voyons, nous les vivons avec eux. Et avec eux, nous souffrons.

 

Moi, Nadine, femme de détenu, je voulais que vous sachiez ce que j'endure depuis trente-trois mois à présent, entre prisons, parloirs, tribunal, trajets et attentes interminables. Moi, Nadine, femme de détenu, une parmi les milliers d'autres qui sommes à la fois victimes de la peine de nos hommes mais trop souvent considérées comme coupables, je veux que vous sachiez...

 

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N
merci ce que j'ai écrit avec l'aide de bruno est vrai je n'ai rien inventé mon mari est toujours incarcéré et c'est toujours aussi dur malheureusement plus de nouvelles de bruno donc plus d'articles mais on va finir par pouvoir écrire un livre je vous remercie mr boiron
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C
Je ne connais pas personnellement tout ce que vous vivez, j'ai eu un ami qui a fait 2ans en prison le temps d'une enquete qui heureusement a permis de l'innocenter. 2 ans d'enfer pour rien. Je n'ai pas eu le droit de le voir, j'avais des nouvelles par sa soeur. <br /> Tout ce que je sais, c'est le choc que j'ai eu quand je l'ai revu. Le beau garçon souriant et plein d'humour que j'avais connu à laissé la place à un homme brisé, silencieux et qui a perdu ce qui était sa vie. <br /> Toutes les femmes ne sont pas comme vous, lui a vu sa fiancée le quitter et tout le monde lui tourner le dos. <br /> Alors j'imagine sans peine ce que vous vivez ! <br /> Courage nadine, ce que vous faites c'est bien !
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B
Nadine je peux te dire qu'une chose Chapeaux bas pour tout ce que tu as fait, je l'ai connu a Clairvaux
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