journal d'un détenu au quartier des "Isolés" - Prison des Baumettes à Marseille
UNE VIE EN MARGE - L'IMPOSSIBLE RECONVERSION
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Si j'étais issu d'un territoire, se serait de la banlieue Ouest. De la banlieue Ouest de Paris, là où je suis né et là où j'ai grandi. Là aussi où j'ai prospéré comme une branche torve. La banlieue Ouest,là où je suis devenu voleur, voyou. Ce choix, cette engeance, bien entendu, je les assume avec fierté. |
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JiPi Benrad, ainsi nous l'appellerons : Jipi, pour ses proches.
JiPi a aujourd'hui soixante ans et coule des jours tranquilles, en liberté, près de la Seine, à Rouen...
Mais sa vie n'a pas toujours été aussi paisible... à lire !
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1972 – Évreux - Dans la cellule des condamnés à mort
1976 - 1977 - Mes Charentaises :
Ainsi donc j'étais de retour à la case prison, Le Jugement de Saintes,
1977- 1978 – Sur la Route de Fleury :
A défaut d'une banque, L'usine-prison, La Belle Equipe
1978-1981 - Poissy, me voilà !
Et moi qui pensais partir pour Melun, Poissy : En centrale, En attendant que ça se passe, Premier parloir amoureux, Les noces de Poissy, Une libération tant attendue,
1981-1989 - Rouen : Bonne-Nouvelle !
Virées nocturnes, Dehors et puis dedans, En division 2
1991-1993 - Ecumes de Bretagne
Saint Malo : Jusqu'à la prochaine rechute, « Bernard, t'es un gros enculé ! »
A Rennes, au moins, je pouvais faire du sport et respirer !
1999-2001 - Rouen, Division 3
En flagrant délit, En terrain connu, Entre parloirs et instruction
2001-2003 - Laon, dernières foulées vers la Liberté
Laon, c'est loin !, Juste prendre ses marques, JP, L'auxi-Télé,
A l'air libre, Les foulées de la liberté, A boulets rouges,
A Lire aussi :
La parole d'un ex-Taulard : Votre réforme, c'est du bidon ! (18/12/13)
"Réforme pénale" - la parole d'un ex-Taulard (31/08/13)
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1972 – Évreux.
Dans la cellule des condamnés à mort
Ce premier séjour en taule me poursuivra toute ma vie...
J'ai été incarcéré pour la toute première fois en 1972, à l'âge de vingt ans. Vingt ans : le bel âge...
Ce fut à la Maison d'arrêt d'Évreux. J'avais été condamné à quatre ans fermes pour vol qualifié. J'avais dévalisé, je l'avoue, quelques maisons bourgeoises.
Dans la prison d'Évreux, il y avait une vieille cellule destinée aux condamnés à mort, avec double-barreaux bien scellés dans le béton. C'est là qu'on m'a mis dès mon arrivée, histoire peut-être de me mettre dans l'ambiance ! Mon séjour commençait bien.
Une cellule en béton
Ce furent mes codétenus qui m'apprirent pour qui elle était destinée. La cellule possédait une double porte.
Une des portes était faite de barreaux métalliques, sûrement pour mieux garantir que le futur guillotiné ne prendrait pas la poudre d'escampette.
Afin qu'on me sorte de ce trou qui puait la mort, il a fallu que je simule une tentative de suicide. Après quinze jours, on me logea autre part...
J'ai eu droit alors à une cellule pour moi tout seul. A l'intérieur, tout était de béton : table en béton, siège en béton, scellés dans un sol en béton, un lit en béton. Tout était scellé, pas moyen de déplacer les meubles. Seul le matelas n'était pas en béton.
Pour le reste, il n'y avait rien. On n'avait droit à rien : ni télé, ni journaux – qui étaient censurés. Le tabac était limité. Enfin, c'était la misère complète quoi !...
Mais l'Administration pénitentiaire, à l'époque, nous habillait. Nous étions obligé de porter la tenue pénale, le 'droguet' : une veste grise et une paire de vieux pantalons gris qui nous allaient souvent trop longs ou trop étriqués...
Même si la prison était dure, les mentalités étaient super !
Dès le premier jour, mes rapports avec les autres détenus ont été super. Je me rappelle des moments de promenade. Les cours de promenade étaient ce qu'on appelait des 'parts de camembert' (une cour divisée en triangle comme des parts d'un camembert). Des camemberts grillagés par-dessus. On nous mettait par cinq ou six, une heure le matin, une heure l'après-midi.
C'est dans une de ces cours que je rencontrai Hubert. Hubert appartenait à une fratrie de taulards. Ses deux autres frères avaient été condamnés à a perpétuité pour le meurtre d'un gendarme quand ils avaient tenté de s'évader de l'hôpital d’Évreux.
J'ai sympathisé avec mon nouveau compagnon de promenade. L'histoire de ses frères faisait grand bruit à l’époque : il y avait un mort, un flic, à l’hôpital d’Évreux. Dans les médias, on parlait de tout ça.
Hubert, lui, n'avait rien à voir dans tout ça : ni dans l'histoire de l'évasion, ni dans le meurtre du gendarme. Il avait braqué une banque, je crois, mais il n'avait tué personne.
Ses deux frères furent condamnés a perpette. Bien des années plus tard, je faisais la connaissance de l'un d'entre eux à la Centrale de Poissy : Jean-Claude. Depuis, lui aussi a été libéré. Eh oui, la perpette ne dure pas toute la vie !
Il habite Rouen, comme moi à présent. Jean-Claude et moi, nous retrouvons souvent et on reparle du bon vieux temps !
J'ai effectué ma peine jusqu'au bout, jusqu'au dernier jour
Mon avocat de l'époque était Maître Raoul de Mantes-la-Jolie. Un bon Avocat dont je n'ai jamais eu à me plaindre. C'était un pote à moi qui me l'avait recommandé.
Il est venu me rendre visite plusieurs fois à Évreux, pendant ma détention. Il avait demandé pour moi une libération conditionnelle... une libération dont je n'ai jamais bénéficié.
Juste, le Juge m'a accordé trois mois de semi-liberté vers la fin de ma peine : un aménagement de peine.
A l'époque le SPIP (Service pénitentiaire d'insertion et de probation) n'existait pas. C'est le JAP (le juge d'application des peines) qui décidait tout seul de l'aménagement de peine ou pas.
Je sortais le matin pour aller travailler dans une usine des environs, une usine de tôles (pas de taule, de tôles !) et de pièces mécaniques. Je rangeais le matériel et je balayais la cour. Un métier d'avenir !
C'est grâce à une visiteuse de prison, qui venait me voir régulièrement qu'on m'avait dégoté ce job.
Le soir, je devais être de retour à la maison d'arrêt pour 19 heures . Comme je quittais le travail à 17 heures, ça me laissait le temps pour aller faire quelques courses et m'acheter de la bouffe. Je préférais ça à la gamelle de la prison.
J'ai effectué ma peine jusqu'au bout, jusqu'au dernier jour, comme beaucoup a cette époque...
Les parloirs-hygiaphone
Lors de cette première détention, j'ai tout le temps été assisté et soutenu par celle qui allait devenir la mère de ma fille, Maryse. Nous étions ensemble depuis deux ans déjà quand on m'a emprisonné.
Elle est venue toutes les semaines me voir et nous nous retrouvions au parloir-hygiaphone. En ce temps-là, les parloirs libres (enfin, ce qu'on appelle soi-disant 'les parloirs libres') n'existaient pas. Maryse et moi, nous nous entendions bien, nous nous aimions.
Elle ne m'a pas laissé tomber pendant tout ce temps-là. Elle est toujours venu au rendez-vous des parloirs.
C'était important pour moi. En plus, elle s'occupait de tout à l'extérieur, c'était elle qui était en contact avec mon avocat.
Au fond, je savais que ça ne marcherait pas
Lors de ma première incarcération, Maryse était déjà enceinte de trois mois et demi. Des projets, elle en avait pour nous deux. Elle rêvait d'une vie normale, où j'irais travailler et elle s'occuperait de notre enfant. Elle voulait une vie comme tout le monde, enfin comme toute vie de femme. Je lui disais oui, toujours... mais au fond, je savais que ça ne marcherait pas.
Elle et moi, simplement, nous nous sommes séparés lors de ma deuxième rechute, sans heurt, alors que j'étais incarcéré à Saintes. Maryse désirait une vie plus stable, plus rangée, et moi je ne pouvais lui assurer cette stabilité. J'étais jeune, j’étais un peu fou. Nous sommes séparés gentiment...
Quarante mois à la Prison d'Evreux, c'est long !
Pendant mes quarante mois de détention, j'ai passé mon temps à faire du sport en cellule et à me reposer. La seule activité obligatoire était qu'il nous fallait chaque matin plier draps et couvertures. Rien d'autre à faire. Juste les promenades.
Une fois, Maxime le Forestier, le chanteur, est venu chanter dans la prison. Il a un temps bavardé avec nous. Ce fut un des rares moments de 'liberté' pour moi et pour nous tous : dans notre tête, nous n'étions plus enfermés, nous étions libres !
Un matin, deux gendarmes sont venus me chercher dans ma cellule. Ils devaient me conduire au Palais de justice de Bernay dans l'Eure. Je devais être présenté à un juge. Je me rappelle qu'on a fait le trajet dans la voiture d'un paysan du coin.
En route, l'un des gendarmes m'a expliqué que cela se faisait souvent. Déjà à cette époque, la gendarmerie manquait de moyens. Comme ils n'avaient pas assez de véhicules, alors ils se débrouillaient en réquisitionnant les voitures des voisins. J'ai eu une grosse envie de rire !
Voilà. Pas grand-chose d'autre à dire sur ces quarante longs mois.
Je recevais du courrier régulièrement de ma compagne, quelquefois de mes parents, de mon ami d'enfance aussi et de quelques copains.
Je leur répondais, mais la longueur autorisée des lettres que nous pouvions envoyer était limitée : vingt ou vingt-cinq lignes pas plus.
Je suis resté quarante mois enfermé dans cette prison. Quarante mois à la Prison d'Evreux, c'est long ! De mes codétenus je ne garde que de bons souvenirs.
J'étais jeune, mon état d'esprit était très bon : j'ai toujours eu bon moral, tout le long de ma détention (et des autres détentions aussi !)
Le jour où j'ai quitté la prison
Le jour de ma sortie, c'était le 23 ou le 24 juillet 1975. On était en été, il faisait très chaud. Je respirais l'air pur. Libre ! Je suis descendu à pied jusqu'à la gare et là j'ai pris le train.
Je n'avais qu'une hâte : c'était de retrouver ma fille. De la voir pour la première fois.
Entre Evreux et Boulogne Billancourt, où j'habitais à l'époque, ça doit faire une centaines de bornes. Deux heures de trajet en train, puis un taxi. Maryse m'attendait à la maison avec la petite. Je la découvrais pour la première fois : ma fille ! Elle était née, en juillet 73, alors que j'étais en taule.
Cela faisait deux ans déjà. Je ne l'avais jamais vue encore, seulement des photos que m'avait portées Maryse. Pendant tout le temps de ma détention, je ne voulais surtout pas la voir, pas au parloir. Sa mère s'était très bien occupée d'elle : comme elle avait grandie !
J'étais donc papa...
J'étais donc papa d'une petite fille de deux ans que je voyais pour la première fois.
J'avais à présent une famille à nourrir, mais j'avais trop de haine aussi.
La haine surtout de ne pas avoir bénéficié d'une libération conditionnelle... Quarante mois enfermé, à vingt ans, alors que son enfant vient de naître, c'est long.
Peu de temps après, j'ai repris mon outil de travail : ma plume (pas celle de l'écrivain) : le pied de biche. Après quelques mois de liberté, je retrouvais la case Prison ! Le 26 août 1976, treize mois après ma libération, j'étais à nouveau sous les verrous. Je ne devais en ressortir que le 14 mai 1981, mais cela est une autre histoire.
Ce premier séjour en taule me poursuivra toute ma vie...
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Chapitre 1 : 1976 - 1977 - Mes Charentaises
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Saintes, en Charente-Maritime
1976 - Saintes - Ainsi donc j'étais de retour à la case prison
Treize mois après que j'ai été libéré de la prison d'Evreux, en 1976 j'ai replongé. Une nouvelle arrestation, pour vols qualifiés et détention de quelques armes. Cette fois-ci direction Royan, puis Saintes et l'Ile de Ré. En Charente, en Charente-Maritime pour être plus précis.
Quelques mois après qu'on m'a relâché, je fus convoqué devant le tribunal correctionnel de Nanterre pour une vieille affaire datant de 71, une affaire d’émission de chèques volés, affaire que j'ai toujours contestée. Des chèques volés, moi ? vous vous rendez compte...
Malgré tout, je fus à nouveau condamné. Cette fois-ci à une peine de trois ans de prison avec sursis et de cinq ans de mise a l’épreuve. La Magistrature se montrait magnanime : elle me laissait, soi-disant, 'une chance', vu mon jeune age...
Après avoir passé quarante mois dans les geôles d'Evreux, quelle chance me laissait-elle ? Dans ma tête, il n’était pas question que je me rende aux convocations du juge d'application des peines qui devait suivre ma mise a l’épreuve ! D'ailleurs je ne m'y suis jamais rendu, sachant les risques que j'encourais !
J'aurais dû lui fournir des fiches de paye alors que je ne travaillais pas ! En plus, il y avait là-bas, à Nanterre, un juge d'instruction qui aurait bien voulu me voir - pour une affaire d'escroquerie, si je me rappelle bien – et je ne voulais pas le croiser dans les couloirs du Palais de justice.
Je bricolais de temps en temps, par ci, par là...
Entre temps, à Boulogne Billancourt, j'avais retrouvé une vieille connaissance : Daniel. Daniel de Clairvaux. Daniel était de Boulogne mais il sortait de Clairvaux, de la Centrale. Il y avait purgé une peine de cinq années de détention. Il habitait Royan, enfin, officiellement : parce qu'il avait la 'trique', c'est-à-dire une interdiction de séjour de cinq ans dans toutes les grandes agglomérations, et en particulier celles de la Région parisienne ! Il n'était dans le coin que de 'passage', pour voir ses vieux, son ex-femme et ses gosses.
Quant à moi, depuis ma sortie de taule, je ne faisais pas grand-chose. Je m'occupais de ma fille et je bricolais de temps en temps, par ci, par là. Comme nous étions tous les deux dans le besoin, il me proposa de descendre avec lui à Royan.
A plusieurs reprises, déjà, les gendarmes s'étaient pointés à mon domicile. Par deux fois, j'avais réussi à prendre la sortie par les toits. C'est aussi pour ça que je n'avais pas très envie de passer par Nanterre ! Cette troisième fois, en regardant le ciel et la rue en contre-bas, je me suis dit : 'C'est bon, je me barre à Royan !'.
Bien entendu, avant que de partir, il a fallu que je m'explique avec Maryse, ma compagne de l'époque, la mère de ma fille, que je ne pouvais plus rester sur Boulogne. Elle savait que les gendarmes me cherchaient. Elle préférait me voir libre plutôt qu'au trou. C'était notre choix avec les risques que cela comporte, elle m'a laissée partir. Je lui ai promis de revenir tous les week-ends. C'était un peu comme si j'avais été un ouvrier en déplacement.
Le boulot était facile et il y avait de quoi faire
Donc, Mon ami Daniel et moi, nous voilà partis pour Royan. Royan, une ville où je n'avais jamais mis les pieds. Mais j'y connaissais un peu de monde quand même, j'avais quelques relations...
Là-bas j'y retrouvais les frères Foullatos (ce n'est pas leur vrai nom, mais je sais de qui je parle) . L'un d'eux était marié avec la fille de Jo, le Grand Jo, le 'Roi des non-lieux', un ancien du gang des tractions.
Ah ! C'était une bonne époque !
Moi mon outil de prédilection, ce n'était pas les voitures, c'était la plume – le pied de biche - qui me quittait rarement. En voleur consciencieux, j'étais toujours à l'affût de tout et surtout des bons tuyaux !
Un troisième larron nous avait rejoint entre temps, un pote à nous : Patrick-de-Boulogne qui était dans le besoin lui aussi. En ce temps-là, tout le monde avait faim. Avec Daniel et lui, pendant un moment, sur la région de Royan, tout a fonctionné comme sur des roulettes. Nous ne chômions pas, il faut dire ! Le boulot était facile et il y avait de quoi faire.
Nous étions en mars 76, au début du printemps, nous profitions pleinement de la vie. Tous les week-ends, comme promis, je remontais à Boulogne, où les gendarmes s'étaient lassés de ne pas me trouver. J'y retrouvais Maryse et ma fille. Avec Maryse, on se donnait rendez-vous clandestinement, on dormait à l'hôtel ou chez ses parents. Fallait quand même rester méfiant !
Jusqu'au jour où...
De Royan à Saintes, il n'y a qu'une cinquantaine de bornes...
C'était en août 76, fin août, à la sortie d'un restaurant où nous déjeunions avec mes potes. Juste devant la porte du resto, juste là : on nous attendait. C'était la SRPJ de Bordeaux qui venait nous cueillir. Nous voilà illico-presto, emballés, Daniel, Patrick et moi, et proprement embarqués jusqu'au commissariat de Royan.
Après un jour et une nuit de garde-à-vue, un passage à tabac dans les règles, et une descente dans un garage où nous rangions le matériel – et quelques armes -, les flics nous ont présenté devant un juge d'instruction, au Palais de justice de Saintes.
De Royan à Saintes, il n'y a qu'une cinquantaine de bornes.
Il nous a inculpés, tous les trois et placé sous mandat de dépôt, pour cambriolages et détention d'armes – 'de 1ière ou de 4ième catégorie' comme c'est inscrit d'usage sur les ordonnances - : deux pistolets de 9 mm et un fusil de chasse à canon scié, calibre 12.
Du Palais de justice, on nous a amenés à la Maison d'arrêt de Saintes, juste à côté. La prison de Saintes est située en plein centre de cette petite ville, à quelques pâtés de maisons. Ainsi donc, j'étais de retour à la case prison. J'avais connu treize mois de liberté.
Ainsi donc, j'étais de retour à la case prison
La première nuit à la Prison de Saintes, on a logé au mitard, dans des cellules contiguës.
Nous étions bien fatigués. Je me souviens qu'après la journée de garde-à-vue, une nuit dans les geôles du commissariat de Royan et le passage devant le juge d'instruction, ce soir-là nous nous sommes endormis tous les trois comme des bébés.
Au réveil, on nous a installé, toujours ensemble, au 'chauffoir' – une grande cellule commune où on tenait au chaud les détenus. Un maton est venu nous prévenir que le chef allait nous recevoir dans la matinée. Avec mes deux potes, on s'est pris le fou rire. Logiquement nous aurions dû être séparés. Je crois que le juge avait oublié de leur signaler ! Mais, même, si on nous avait mis dans des geôles, enfermés au chaque coin du bâtiment, on aurait pu se parler quand même : la prison de Saintes, c'est tout petit !
Toute la période de préventive, jusqu'au procès, nous l'avons passée ensemble. Le juge s'était aperçu un peu tard de son erreur, il n'y avait plus de raison qu'on nous sépare. Au bout d'un moment on avait eu le temps de ce dire ce qu'on devait se dire ! On a même été transférés ensemble à la Prison d’Angoulême, après notre jugement. C'est seulement ensuite que nos chemins se sont séparés. J'ai pris la direction de l'Ile de Ré et eux, celle du Centre de détention de Mauzac.
La prison de Saintes : vues d'intérieur
A Saintes, nous y sommes restés environ sept mois.
La prison de Sainte était une taule sans mirador, une taule de province, ancienne et vétuste comme il faut. A l'époque, il n'y avait pas de douche là-bas.
Tu allais chercher ton eau chaude avec une bassine.
La nuit, nous dormions dans des dortoirs sans lumière d'une dizaine de lits chacun qui se situaient au premier étage. La journée, on la passait au 'chauffoir', une très grande cellule où on nous enfermait à dix ou quinze. Dedans, il n'y avait rien : une table, des tabourets, et une 'tinette', pour nos besoins. On jouait aux cartes, on discutait de tout et de rien, certains se faisait tatouer la peau – pour ramener un souvenir, sûrement. Deux fenêtres donnaient, au travers des barreaux, sur la cour de promenade.
La cour : une petite cour carrée avec, dans un coin, les seules chiottes pour tout l'établissement. Un WC à la turque utilisable seulement pendant les promenades. Le reste du temps, tu venais y vider ta tinette.
The Koestler Trust
Bonjour les odeurs
Je m'y suis fait très peu de potes à Saintes. Beaucoup de types étaient là pour des délits liés à l'alcool, quelques-uns qui venaient de Bordeaux, pour des affaires de proxénétisme. Il y avait aussi un garçon très sympa, un Parisien - Claude qu'il se prénommait - et qui était tombé pour les mêmes choses que nous. L'année suivante, en 1977, je le retrouvais à Fleury (à la prison de Fleury, je veux dire), en promenade. Il était retombé à nouveau pour vol. Un gentil garçon ce Claude...
A Saintes, le plus éprouvant c'était les chiottes. Les seules toilettes se trouvaient dans la cour de promenade, et elles n'étaient utilisables que pendant la journée, lors des promenades. Sinon, le reste du temps, aux chauffoirs, ou, le soir, lorsqu'on montait au dortoir, on nous donnait une 'tinette' : un seau qu'on se partageait entre une dizaine de détenus, et dans lequel tout le monde venait chier et pisser.
Ensuite, le matin tu vidais ton seau dans les chiottes des promenades. Il y avait toujours deux gars qui se proposaient de les vider en échange d'un peu de tabac qu'on leur donnait : tout travail mérite salaire ! Ou alors, s'il n'y avait pas de volontaire, on jouait aux cartes pour tirer le videur de tinette. A ce jeu, j'ai été marron une fois : j'étais bien dans la merde. En plus, on devait les vider le matin, juste après le petit déjeuner. De quoi vous écœurer. Et je ne vous raconte pas le reste : bonjour les odeurs !
Illustration : Laurent Jacqua
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1977 - Le Jugement de Saintes :
Histoires d'un procès, d'une condamnation et d'une séparation
En 1976, j'ai été écroué à la Prison de Saintes, en détention préventive, avec mes deux collègues Daniel, qui venait de passé cinq ans à la Centrale de Clairvaux et Patrick-de-Boulogne. Nous attentions notre procès. On nous accusait de détention d'armes et de divers cambriolages. La partie promettait d'être rude.
Le Juge d'instruction pensait qu'on se moquait de lui
Au cours des mois d'instruction, nous n'avions que de 'mauvais rapports' avec le Juge chargé d'instruire l'affaire. Des rapports très tendus. Il s'était mis dans la tête que nous avions plusieurs cambriolages à notre actif, alors qu'on ne pouvait ne nous en reprocher qu'un seul – par rapport aux preuves dont il disposait. Il nous reprochait aussi nos mauvaises fréquentations : des membres du milieu, des Parisiens et des Corses, en villégiature à Royan. Il pensait qu'on se moquait de lui ! Nous ? Nous moquer d'un juge, ce n'était pas dans nos habitudes ! Alors ça l'énervait, ce pauvre juge.
L'ambiance s'annonçait chaude. On se doutait bien que le Procureur de la République nous attendait au tournant.
Le Procureur était passé un jour à la Maison d'arrêt où nous végétions. Le brave homme avait l'habitude, environ tous les deux mois de faire une visite à la prison. Il passait, il rencontrait les détenus. Comme notre jugement était proche, il ne s'est pas caché pour nous dire : « On va se retrouver là-bas ! », sur un ton menaçant. On a bien compris alors qu'il ne nous ferait pas de cadeau. On savait d'emblée à quoi s'attendre.
Que devenait Maryse et ma fille ?
A Saintes, durant ma détention provisoire, mon premier souci était de savoir ce que devenait Maryse et ma fille. Maryse put venir une fois me voir au parloir. Elle avait fait le trajet depuis Boulogne. Il fallait qu'on se voie, qu'on discute ensemble, qu'on parle de notre avenir, surtout pour elle et la petite.
Elle n'a pu venir que deux mois après mon dépôt. Le temps de faire tous les papiers, pour le permis de visite. Il fallait que ça passe par le juge d'instruction et il n'y mettait pas de la bonne volonté. Nous ne nous sommes vus que cette fois-là, Maryse et moi.
J'ai senti lors de notre entretien qu'elle m'échappait, qu'elle ne voudrait jamais devenir 'une femme de parloir'. J'ai senti qu'il n'y avait plus d'amour entre nous à ce moment-là et que seule notre fille nous unissait encore.
Mon choix, dès lors a été fait. J'ai préféré la séparation. Au fond de moi, je savais qu'elle ne reviendrait plus vers moi.
Il valait mieux pour elle qu'elle refasse sa vie
Je ne lui en ai pas voulu. J'en assume l'entière responsabilité. De toute façon, il valait mieux pour elle qu'elle refasse sa vie. La seule chose que je lui demandais c'est que mes parents puissent voir la gosse de temps en temps. Elle me l'a promis, c'est ce qu'elle a fait au début, par la suite, elle n'a pas tenu cet engagement.
Quand elle est partie, ça m'a bien mis les boules. Surtout pour ma fille Nathalie. C'était une enfant malade, victime d'une malformation cardiaque. La petite, je ne l'ai revue qu'une seule fois fin 1979 - lors de ma première permission de sortie, alors que j'étais détenu à la centrale de Poissy.
Elle avait été placée dans un centre pour enfant handicapés du côté de Villejuif, je crois bien me souvenir. En 1980, quand elle est décédée. J'étais en prison. Mes parents ne me l'ont appris qu'après que je fus libéré en 1981. Ils avaient reçu un courrier de mon ex-compagne, une simple lettre. Elle ne leur disait rien, ni le jour du décès, ni le lieu des funérailles, ni où elle reposait...
De Maryse, ensuite, je n'ai plus eu aucune nouvelle. Elle a refait sa vie, elle ne m'a plus jamais donné signe de vie. Je ne l'ai jamais revue par la suite, ni même cherché à la revoir.
Au procès, le Procureur demanda cinq ans d'emprisonnement
Notre procès eu lieu en mars 1977. Je fus condamné à une peine de trois ans ferme à laquelle ils m'ont rajouté trois ans supplémentaires – en raison de la révocation de mon sursis précédent. Six ans de détention à purger, ça commençait à faire beaucoup ! Comme prévu, le Procureur avait monté la barre bien haut, en réclamant cinq ans fermes pour chacun de nous trois.
Dans son réquisitoire, il soutint que nous avions sûrement une série de cambriolages à notre actif, mais qu'il ne pouvait rien prouver. En plus, argument en notre défaveur : nous venions de la Région parisienne ! Sûrement pour écumer les bonnes maisons bourgeoises du coin et les entrepôts charentais.
Il nous a présentés comme une association de dangereux malfaiteurs, une équipe bien soudée qu'on avait vue à plusieurs reprises en compagnie des membres du milieu.
Pour moi, le Procureur a sorti un rapport de police, de la police de Boulogne Billancourt. Un mauvais rapport ! C'est vrai qu'un juge d'instruction, à Nanterre, s'impatientait de me voir. Je serais rentré 'dans la clandestinité', pour me soustraire à mes obligations ! Le même rapport affirmait que je fréquentais, lors de mes temps libres, un bar à la porte d'Auteuil, où, paraît-il traînaient des membres du milieu. Comme si j'avais été responsable de la mauvaise clientèle de certains bistrots de quartier !
Avec tout ça, et le reste, il demanda donc cinq ans d'emprisonnement, cinq ans pour moi, cinq ans pour Daniel et cinq ans pour Patrick. Comme ça, pas de jaloux. Nous avons écopé de trois ans fermes chacun.
Pour moi, ça a donc fait trois ans plus les trois ans de sursis révoqué. Trois plus trois : six ans au total. Vlan ! Ce qu'on nous reprochait, à l'époque ça coûtait, devant un tribunal correctionnel, dix-huit mois fermes, pas plus.
La veille, un type, détenu lui aussi à Saintes, avait été jugé pour une dizaine de cambriolages et il n'avait pris que dix-huit mois. C'est bien la preuve qu'on nous en voulait pour d'autres raisons sans doute...
Cour de la Prison d'Angoulême
Douze jours après le jugement nous étions transférés à Angoulême
Je n'ai pas fait appel. Aucun d'entre nous n'a fait appel. En plus, pour mon compte, j'avais une autre affaire sur le dos qui m'attendait à Nanterre, et que, là non plus, ce n'était pas gagné d'avance. Même si je savais que j'étais innocent (sur cette deuxième affaire, en tout cas), alors avec tout ce qu'on m'accusait déjà, je ne pouvais que passer pour coupable...
Douze jours après le jugement, à la fin du délai d'appel, nous étions transférés, Daniel, Patrick et moi à la Maison d'arrêt d’Angoulême. Nous avons fait le trajet en fourgon cellulaire ensemble, menottés et entravés. Je n'ai pas eu le temps de 'visiter' la taule, juste le temps de manger quelque chose et de dire au-revoir à mes deux potes.
De la prison d'Angoulême, je ne peux donc pas en dire grand-chose : de grands chauffoirs et des tinettes pour faire ses besoins, comme à Saintes. A croire qu'en Charentes maritime ils ne connaissaient pas les chiottes !
C'est à Angoulême qu'avec Daniel et Patrick nos chemins se sont séparés. Ils devaient être transférés au centre de détention de Mauzac dans les Pyrénées et moi ailleurs. Plus tard, je suis resté en contact avec Daniel qui m'a écrit, de temps en temps, lorsque j'étais a Fleury, et qui me donnait des nouvelles de Patrick - puisqu'ils étaient incarcérés ensemble. Ensuite, on s'est perdu de vue. Ils se sont mariés, je crois, et je n'ai plus eu de nouvelles d'eux, c'est la vie...
Quant à moi, l'après-midi même, D'Angoulême, je prenais le bac, en direction de la Centrale de Saint Martin sur l'Ile-de-Ré...
Ancien Bac Gustave Perreau assurant le service de l'Ile de Ré
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1977 - Le déporté de l'Ile de Ré
Mais qu'est-ce que j'allais foutre sur ce bateau ?
Je venais d'être condamné à trois de prison, auxquels se rajoutaient aussi trois ans d'un sursis révoqué. Trois et trois font six. Vlan ! En plus, je venais de rompre avec ma compagne, Maryse, la mère de ma fille. A Angoulême, je fus séparé d'avec mes deux potes, Daniel et Patrick.
Douze jours après le verdict, n'ayant pas fait appel, j'embarquais sur un bac en direction de l'Ile de Ré.
Je n'avais aucune idée de ce à quoi ressemblait la Centrale de l'ile de Ré. Je n'avais jamais mis les pieds sur cette foutue île ! Je m'attendais plutôt à être transféré dans une prison parisienne. Il y avait là-bas un juge d'instruction qui avait délivré contre moi un mandat d'amener. (Une affaire dont je ne fus totalement relaxé qu'en 78).
A cette époque le pont de l’île de Ré n'existait pas. Le trajet s'effectuait en bac. On m'a amené jusqu'à La Rochelle en fourgon cellulaire, les mains menottées et des entraves aux pieds. Nous étions deux à faire le voyage, enchaînés ainsi. Le fourgon était petit. Le gars qu'on emmenait avec moi arrivait de Fresnes. Pendant le trajet nous ne nous sommes pas parlés.
On nous avait enfermés chacun dans une petite cage grillagée. Nous nous apercevions à peine. A l'arrivée, j'ai pu échanger quelques mots avec lui, je ne me souviens plus de son nom. Il avait quinze piges à faire, il ne m'a pas dit pourquoi, je ne lui ai pas posé la question. Je l'ai revu une ou deux fois par la suite, lors d'une promenade et dans la salle où on nous projetait des films le week-end. Rien de plus.
Francis Lagrange : A bord du Transport La Martinière : Les condamnés en cage
Je me voyais partir pour Cayenne
A La Rochelle, sur le quai il y avait quelques passagers et des véhicules qui attendaient. Moi, j'étais vert de rage. Qu'est-ce que j'allais foutre sur ce bateau ! Autour de nous, les matons d'escorte, ces abrutis, ne disaient rien. On ne nous a pas descendus et le fourgon a embarqué directement sur le bac. Nous avons fait la traversée enfermés dans nos cages.
Dans ma tête ça faisait tilt. Je gambergeais. Je pensais au bagne. Je me voyais partir pour Cayenne. Je me disais bien que le bagne n'existait plus... et pourtant je m'y voyais déjà. L'idée de me retrouver sur une île, emprisonné, abandonné, m'angoissait. Je ne souhaitais qu'une chose, c'est qu'on me ramène dans une prison parisienne, chez moi, dans ma région. J'étais bien mal barré : mais qu'est-ce que j'allais foutre sur ce bateau !
La traversée avait pris moins d'une demi-heure.
Au débarcadère, personne ne nous attendait. Nous avons pris la route de la centrale. La traversée avait pris moins d'une demi-heure. Nous allions à présent par de petits chemin sablonneux, le trajet dura une vingtaine de minutes, il n'y avait pas d'asphalte là-bas à l'époque. Nous fûmes conduits directement à la Citadelle, une ancienne citadelle datant de je ne sais quand. Sur l'lIe de Ré, il y a la Citadelle et la Caserne. Franchement, je n'ai jamais su quelle différence il y avait entre la citadelle et la caserne.
En arrivant, j'ai à peine eu le temps d'entrevoir la grande porte monumentale, il faisait déjà nuit noire.
Une fouille au corps, carrément à poil
A l'intérieur, dans l'enceinte centrale, une brigade de matons était alignée. On aurait dit qu'ils attendaient leurs proies, ces crevards. Ils nous ont emmenés à l'intérieur d'un bâtiment. D'abord, pour commencer, j'ai eu droit a une fouille au corps, carrément à poil, avec quatre ou cinq charognards autour de moi qui me reniflaient. Puis ils ont commencé à me palper, comme des chiens qui te lèchent. Puis j'ai dû me pencher, bien en avant, pour qu'ils puissent lorgner mon trou du cul pendant de longues minutes. Tout se passait dans une salle en carré conçue à cet effet.
Après la fouille j'ai été emmené au mitard, où j'y suis resté trois jours, en attendant de passer devant le directeur. Le lendemain, je suis passé au service de l'infirmerie pour passer la visite médicale de contrôle. J'étais apte pour le service. J'ai été récupérer des affaires pour me changer : une paire de chaussettes, deux slips et deux maillots de corps.
Pour le reste, nous étions encore, à l'époque, habillés par la pénitentiaire : d'une tenue grise ou d'un bleu de travail, et d'un pantalon qui nous allait trop court. On me donna aussi des produits de première nécessité : savon, gant de toilettes, et le célèbre pot de Ricoré auquel tous les arrivants avaient droit.
Le directeur m'a reçu dans une grande salle, froide comme la cour d'un tribunal
Pendant ces trois jours, j'ai attendu d'être reçu. Je n'ai même pas eu droit à la douche, juste un robinet d'eau froide, à peine de quoi me débarbouiller. Rien d'autre à faire qu'à attendre et à penser. Je ne désirais qu'une chose, retourner vers Paris. Je savais qu'ils avaient fait une connerie de me transférer-là. J'allais les faire chier ! Trois jours à attendre...
C'est seulement le quatrième jour que j'ai vu le directeur. Nous étions deux arrivants qui devions être reçu, chacun nous logions dans une cellule du quartier du mitard. Avant que de me rendre à l'entretien, il a fallu à nouveau que je me mette à poil, au cas où, dans ma cellule ou sur moi, j'aurais planqué une arme. Ces matons ! toute leur vie à reluquer le cul des mecs ! A croire que celui de leur bonne femme ne les satisfait pas !
Mon tour arrive. On me conduit dans une grande salle, froide comme la cour d'un tribunal. Le directeur était là entouré de tous ses sbires, assis sur une estrade surélevée depuis laquelle il dominait, entouré de deux surveillants-chefs, un sur sa gauche et à droite. Il y avait-là aussi une assistante sociale, la seule femme de la bande et des types en civil - j'appris par la suite qu'il s'agissait de ses sous-directeurs. Ça faisait bien du monde !
White, Noise and Shadow - The Koestler Trust
Il décida qu'on me mettrait à l'isolement
Le directeur devait avoir la cinquantaine. De but en blanc, il me demande ce que je fais là ! je lui réponds : ''Bonne question !'' Je lui rétorque que je n'ai jamais demandé à venir ici, et que je pensais qu'on me renverrait sur Paris.
Je l'informe que j'étais toujours prévenu, dans une autre affaire, et qu'un juge d'instruction m'attendait du côté de Paris. Il me répond que, si c'est exact, il allait s'en occuper, qu'il allait voir ça.
En attendant, me précisa-t-il, il décida qu'on me mettrait à l'isolement... à cause du motif qu'il y avait peut-être une erreur sur mon transfert, qu'on aurait dû m'envoyer ailleurs. J'ai beau lui avoir répondu que l'erreur ne venait pas de moi, mais ça n'a pas semblé le convaincre.
Quand l'Administration pénitentiaire fait une boulette, c'est souvent le taulard qui en subit les conséquences. Je me trouvais confiné, à l'isolement, parce que je n'étais pas un 'condamné définitif'. On ne pouvait me mélanger avec les autres détenus, ceux qui étaient là condamnés définitivement.
Six jours de grève de la faim
Je fus donc mis à l'isolement. Voilà qui me déplaisait fort : exilé à l'Ile de Ré et placé en isolement ! Je décidai d'entamer alors une grève de la faim. Pour protester.
Je m'étais dit que la grève de la faim était le seul moyen de faire bouger les choses. Il fallait qu'on me transfère au plus vite loin de cette prison.
J'écrivis au juge d'instruction de Nanterre qui devait me rechercher pour lui signaler que si j'étais à l'Ile de Ré, c'était pas de ma faute : que l'erreur ne venait pas de moi.
J'informais aussi par courrier le directeur de la Centrale. Je lui disais que je ne comprenais pas pourquoi on me sanctionnait ainsi, pourquoi j'étais mis à l'isolement, pourquoi je ne pouvais pas bénéficier, comme les autres détenus des activités. Je lui renouvelais aussi ma demande d'être transféré au plus vite dans une prison de la Région parisienne.
Je me suis accroché. J'ai cessé de m'alimenter. Je buvais simplement de l'eau, ne tenant pas à me bousiller les reins. Je n'ai rien grignoté – même pas en cachette. Je ne voulais pas céder. Quant aux gardiens et à l'infirmier, ils me disaient que ça ne servait a rien, enfin leur cinéma habituel...
Quand on m'apportait les repas, matin, midi et soir, je n'y touchais pas. Je laissais ma gamelle devant la porte de la cellule. J'étais fort dans ma tête : même fatigué par le jeun, tous les matins, je faisais mes pompes. J'étais décidé à tenir jusqu'au bout. Enfin, c'est que je me suis dit...
J'étais seul dans ma petite cellule proprette
Un matin, au bout de six jours, le directeur m'a fait appeler dans son bureau. Il m'a demandé de cesser cette grève de la faim. Il s'engageait personnellement à ce que je reparte sur Paris, dans le mois. Il m'a aussi dit que je pourrais bénéficier des activités au même titre que les autres détenus, en attendant mon transfert. Il a tenu parole, j'ai recommencé à m'alimenter et j'ai pu bénéficier des mêmes activités que les autres : sport, ciné et jeu de cartes.
Durant toute ma période de détention, j'ai toujours, malgré tout, été tenu dans une cellule à l'isolement. J'étais seul, dans ma petite cellule proprette, avec, pour seule compagnie, une table, un tabouret et une petite fenêtre qui donnait sur une cour et, en face, sur un autre bâtiment de détention. Une cellule bien comme il faut, avec barreaux et tout. On nous servait la bouffe en cellule, des auxis s'en chargeaient. Une bouffe dégueulasse, comme dans toutes les prisons que j'ai faites.
Comme activités, il y avait les promenades, dans une grande cour sablée, où on jouait au foot, au volley, et, pour les plus sportifs : à la pétanque. Le week-end, on avait le ciné où on nous diffusait des films policiers, je ne me rappelle plus lesquels, tout cela remonte à 1977. Il y avait aussi les parties de cartes. Dans ma tête, moi, je ne pensais qu'à mon transfert.
Illustration : François Corteggiani
Il y avait des perpètes, des vingt piges
De toute façon, là-bas, durant mon court séjour, je ne me suis pas fait beaucoup de connaissances. Le soir on me faisait dormir a l'isolement, c'est seulement pendant la journée que je pouvais partager du temps avec les autres. Enfin, j'ai pu tout de même discuter avec quelques-uns des gaillards qui étaient là.
Il y avait des perpètes, des vingt piges... Moi avec mes six ans fermes, comparé à eux, c'était de la rigolade. C'est là que je me suis rendu compte qu'avec des mecs pareils, tu ne peux que garder le moral !
Au bout d'un mois, à mon plus grand soulagement, quatre gendarmes sont venus me chercher. Enfin, j'allais retrouver la Capitale, 'ma' Capitale, En quittant cette île perdue, je me suis dit que je ferais tout pour ne plus jamais y remettre les pieds. J'étais prêt à faire durer mon instruction, à Nanterre, autant de temps qu'il le faudrait. Comme ça, ils seraient bien obligés de me garder à Fleury. J'ai bien pensé tout ça ! J'ai bien gambergé ! et ça a fonctionné ! Jamais plus je n'ai revu l'Ile de Ré, sa centrale et sa forteresse...
Lire aussi : Saint-Martin de Ré : du Bagne à la Prison
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Chapitre 2 : 1977- 1978 – Sur la Route de Fleury
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1977 – La prison de Fleury : à défaut d'une banque
C'est vers la mi-mai 77 que je fus transféré de l'Ile de Ré en région parisienne, un mois et demi environ après le procès de Saintes. Il y a avait à Nanterre un juge d'instruction qui m'attendait, j'avais une autre affaire sur le tapis...
Dès le matin, on m'avait averti de me tenir prêt. J'ai rassemblé mon paquetage, et après avoir subi une nouvelle fouille à nu, - des fois que j'amène le mobilier ! -, j'ai pu troquer l'habit pénitentiaire pour mes fringues perso. Ça me faisait drôle de me voir habiller à nouveau normalement, en civil.
On me descendit en fin de matinée, et je dus patienter dans une cellule d'attente jusqu'à ce qu'une escorte vienne me chercher. Dans ma tête j’étais bien, heureux enfin de quitter cette île. Je m'endormis sur le banc en béton...
Quatre gendarmes pour moi tout seul !
C'est vers six heures du soir que des matons sont venus me chercher. D'abord, je passai au greffe où je signai la levée d’écrou et, une heure plus tard, on me faisait monter dans une estafette de gendarmerie qui m'attendait dans la cour d’honneur. J'avais droit à la gendarmerie ! Quatre gendarmes pour moi tout seul.
J'étais heureux de les voir enfin arriver, ceux-là ! Enfin heureux, c'est vite dit, car à nouveau j'eus droit à une fouille, juste avant le départ : une fouille au corps, à poil. Après celle des matons le matin, au passage au vestiaire, refouille au greffe par les gendarmes en fin d'après-midi ! L'Administration raffole de vous fouiller et de vous palper. A croire que c'est un vice chez eux. Toujours rien sur moi : rien dans les mains, rien dans les poches !
J'étais seul ce jour-là à être transféré. J'abandonnais tous les autres bougres à leur triste sort. Je suis parti en emportant mes deux cartons de fringues et quelques denrées alimentaires. En plus, prévoyante, la Pénitentiaire m'avait préparé deux casses-croûtes pour la route. Tout était chronométré. Il ne fallait pas que nous manquions le bac. Le dernier de la journée. Passé le bac, le fourgon nous amena jusqu'à la gare de la Rochelle.
J'ai voyagé une main libre et l'autre menottée
Entouré de mes quatre gendarmes, on m'installa dans un compartiment qui nous avait été réservé. Un des quatre gendarmes nous fit alors ses adieux. Le train quitta La Rochelle à 21 heures. Il faisait déjà nuit. De La Rochelle à Paris, j'ai voyagé une main libre et l'autre menottée à la tablette métallique qu'on avait dépliée entre les deux banquettes. Les trains, en ce temps-là, s'arrêtaient un peu partout en chemin. Le voyage dura toute la nuit. Mon escorte gendarmesque n'était pas chiante du tout, le voyage vers la Capitale ne semblait pas leur déplaire.
Au bout d'un moment, je me suis endormi comme un bébé, mais que d'un œil tout de même. Même escorté, il faut rester vigilant ! Eux aussi restaient vigilants, un seul s'était assoupi, les deux autres étaient à l'affût du moindre geste. Ils se relayaient tantôt pour dormir et tantôt pour me surveiller.
Notre train arriva le matin de bonne heure à Paris. J'ai dit au-revoir à mes trois gendarmes, je leur ai même souhaité un bon retour sur leur île. Une nouvelle escorte m'attendait, et, toute sirène hurlante, à bord d'un fourgon, je traversai Paris. J'étais à Nanterre une heure après.
Le véhicule pénétra dans la cour du Palais de justice. Là, on me fit descendre dans les sous-sols où se trouvaient les cellules du dépôt. J'ai eu droit à un café qu'un garde m'apporta très gentiment. Je profitais de l'endroit pour piquer un petit roupillon en attendant que le juge d'instruction veuille bien me recevoir. Le voyage depuis La Rochelle avait duré toute la nuit, et les voyages, ça fatigue !
Une bonne tête, ce juge !
A midi, je goûtais à la cantine des geôles du tribunal : un sandwich au fromage et de l'eau fraîche. Ce ne fut que vers deux heures de l'après-midi qu'enfin le juge d'instruction me fit monter dans son bureau. C'était un petit juge qui ne me paraissait pas, à sa tête, trop antipathique. Et c'est vrai qu'il se montra très correct. Il m'énonça ce qu'on me reprochait. Une histoire de chèques émis dans divers magasins et restaurants. Des chèques soi-disant volés. Le cuistot d'un resto, à Saint Cloud, m'aurait même reconnu !
J'ai dit au juge que je n'étais pas assez bête pour tirer des chèques volés dans des endroits où je pouvais être (honorablement) connu ou reconnu ! J'ai tout contesté. J'ai immédiatement demandé à être confronté à mon délateur... Le juge m'a dit que ça serait fait et m'a prévenu qu'il me gardait sous la main, le temps de l'enquête. « Gardez-moi le temps que vous voulez ! », je lui ai répondu. Je ne voulais surtout pas qu'on me renvoie au bagne de l'Ile de Ré !
Il décida de mon dépôt à la prison de Fleury. Tout compte fait il m'a gardé dix mois pour son enquête. Le soir même je dormais à Fleury comme je l'espérais. A cette époque, les prisons de Nanterre ou celle de Bois-d'Arcy existaient pas, c'est à Fleury qu'on envoyait les malfrats de mon espèce.
En route pour Fleury !
Le juge et moi, nous nous sommes quittés en bons termes. L'entretien avait été 'cordial'. Un juge pas chiant, c'est si rare de nos jours ! Mais il ne s'agissait-là que d'une 'prise de contact', juste pour me notifier mon mandat de dépôt et les faits qui m'étaient reprochés. Je l'ai revu ensuite, un mois et demi après. C'est à partir de ce moment-là qu'il a commencé à instruire l'affaire sur le fond. Une affaire que j'ai toujours contestée d'ailleurs !
Après, on m'a redescendu au sous-sol, dans ma geôle. Je n'avais plus qu'à attendre qu'on m'emmène à Fleury.
A 21 heures 30, menotté, je quittais le dépôt de Nanterre à bord d'un grand car cellulaire, long comme un autobus. A l'intérieur des petits box grillagés, des cages-à-poules plutôt, nous tenaient séparés. Le fourgon s'arrêta plusieurs fois en route, dans tous les dépôts, auprès de tous les tribunaux et les autres geôles des environs, pour ramasser au passage les pauvres bougres de mon espèce qu'on amenait au trou.
Notre fourgon vagabond arriva enfin vers 23 heures à Fleuy. Là, je pénétrais pour la première fois dans la plus grande prison d'Europe. Je rentrais à l'usine. Dans cet endroit, je savais que j'avais des relations, que j'y retrouverais des connaissances...
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1977 - Fleury : l'usine-prison
Je venais d'être entendu par un juge d'instruction à Nanterre, un entretien que je qualifierai de 'cordial'. Il décida de m'incarcérer à la Prison de Fleury, comme je l'espérais. A 21 h 30, un fourgon m'amenait vers ma nouvelle prison. A 23 heures j'y arrivais enfin.
Nous étions une bonne vingtaine ce soir-là. D'abord on nous conduisit au greffe, c'est là où il te donne un numéro d’écrou, où ils prennent tes empreintes et te remettent, en échange, une carte d'identité-détenu. Ensuite, direction le vestiaire. C'était un vestiaire gigantesque... Il y avait des matons partout : entre les arrivants et les matons, ça commençait à faire du monde !
Comme d'habitude, tout commença par une fouille-au-corps, comme toujours. Ensuite nous passâmes à la douche. Des douches immenses où il fallait se presser. Pas le temps de se passer le savon, c'était du rapide. Hop ! on récupère ses fringues. Moi, qui venais de l'île de Ré, j'avais mon carton de transfert qui m'accompagnait. Les autres, ceux qu'on avait ramassés dans les dépôts alentour, arrivaient sans affaire. L'Administration leur offrait un slip kangourou et un pull gris. Moi, j'avais mes propres slips perso, je n'allais pas mettre le slip pourri de la pénitentiaire. En slip kangourou : moi, jamais !
J'ai eu droit quand même à la tenue pénale réglementaire. A l'époque, les condamnés était habillé par l'administration : un pantalon gris, une veste grise, une chemise jaune. Les prévenus pouvaient garder leurs vêtements, mais pas les condamnés. Mais on se débrouillait tous pour contourner le règlement. Leurs fringues, personnes n'en voulaient. Plus tard, j'ai pu me démerder, grâce à l'aumônier qui venait nous voir, pour récupérer des fringues civiles : un Lewis, des chemises et des pulls. Je n'ai jamais bien supporté la tenue pénale.
Destination le Bâtiment D3
Après la séance d'accueil, il nous a fallu attendre qu'un fourgon vienne nous chercher. Fleury, c'est tellement grand qu'il faut tout faire en car. Le fourgon arriva une bonne heure plus tard, qui nous conduisit jusqu'au bâtiment qu'on nous destinait. Il doit bien y avoir cinq bâtiments, sans comptés, plus à part, le Quartier pour mineurs et la MAF pour les femmes. Fleury c'est vraiment l'usine- prison !
Destination le Bâtiment D3. Là, à nouveau, je me retrouvais en cellule d'attente à espérer qu'on me donne une cellule pour dormir. Cela durait, durait... Ce fut vers les trois heures du matin, qu'enfin ils me trouvèrent une piaule pour la nuit. Une cellule pour deux.
J'allais passer ma première nuit à Fleury, en compagnie d'un autre gars. Mon codétenu, un arrivant, était gentil, un peu mytho sur les bords. Il commença à me raconter des histoires à dormir debout. Au bout d'un moment, il a fini par m'abrutir. Il se vantait d'être un proxo, et qu'il avait plein de nanas qui bossaient pour lui. Je voyais bien qu'il me racontait des conneries : il avait des pompes tout percées, une déglingue pas possible. Un proxo ! En prison, des mythos, il y en a un paquet. Un proxo, tu parles !
Un proxo, tu parles !
Le type m'a saoulé jusqu'à cinq heures du matin. Il n'en finissait pas. A la fin, je lui ai dit d'aller se coucher. Il a voulu savoir qu'est-ce que j'avais fait et pour combien j'en avais, mais j'ai appris qu'en prison, il ne faut jamais se confier. Il y en a qui vendrait père et mère. Seuls de vrais amis peuvent être au courant de ta situation, ceux à qui tu as confiance, ceux avec qui tu sais que ça restera entre nous...
Au matin, les auxis nous distribuèrent un petit déjeuner. Ensuite nous fûmes conduits à la visite médicale où on me déclara apte pour le service. Bien sûr, j'eus l'entretien obligé avec un sous-directeur ou un directeur – un gradé - pour mon affectation. J'ai passé encore une nuit dans cette cellule et le surlendemain je déménageais. Le proxo je ne l'ai revu par la suite qu'en promenade, mais sans plus. Je n'ai pas rediscuté avec.
C'est au deuxième étage de ce même bâtiment – le D3 - qu'on trouva à me loger. J'eus droit à une cellule pour moi tout seul. A cette époque Fleury n'était pas surpeuplée. En 77, ce n'était pas comme maintenant : y avait de la place, tu pouvais être seul en cellule. Quelques cellules étaient aménagées pour trois détenus - les 'triplettes'. Elle se trouvaient au bout de chaque aile des différents étages.
Ma cellule donnait sur la cour de promenade. Elle disposait d'un WC avec un muret de séparation. En ce temps-là, les cellules étaient encore à peu près propres. En plus du lit, une grande tablette était fixée sous la fenêtre et je disposais d'une chaise – une vraie -pour s'asseoir.
Il y avait un interphone scellé dans le mur pour appeler le maton. Un maton qui répondait quand il le voulait bien : jamais pressés dans cette profession ! Pas de télé a l’époque mais il y avait tout de même un poste radio – scellé lui aussi dans la muraille.
Le dimanche après-midi, on nous passait des films
Nous avions droit aux promenades, une heure le matin et une heure l'après-midi. A Fleury, il n'y avait pas de salles communes – de 'chauffoirs', comme à Saintes. S'il pleuvait où s'il faisait froid, on s'abritait sous un immense préau, situé à l'extérieur, où nous nous entassions alors tant bien que mal. Là, on jouait aux cartes, on passait le temps. Le dimanche après-midi on nous passait des films, dans une grande salle où, le matin, la messe était dite.
Plus tard, j'ai pu m'inscrire au sport, mais la liste d'attente était longue : un à deux mois. Mais grâce à certaines connaissances, j'ai pu bénéficier plus rapidement de ces activités. Trois semaines après mon arrivée, je faisais partie de l'équipe de foot locale. En attendant, chaque jour, pour m'entretenir, je courais dans la cour des promenades. Je courais avec d'autres. A Fleury les cours sont immenses, tu as de quoi courir ; et, au placard, tu as intérêt à entretenir la forme. Je n'y manquais pas, c'est une règle que je me suis appliquée tout au long de ma détention.
Avant que de pouvoir rejoindre les promenades, il fallait que ton lit soit fait, que les draps et les couvertures soient pliés en quatre, histoire de te faire chier et de t'obliger à refaire ton lit si c'était pas comme fait il faut. En vrai, cela ne m'est jamais arrivé. Seuls les matons les plus chiants cherchaient à t'emmerder, sinon, avec les autres, ça passait.
Nous, on s'en foutait de leur règlement
Il nous était interdit de nous allonger pendant la journée. S'ils te surprenaient, tu avais droit à un rapport ou au prétoire, mais bien sûr, tout dépendait des matons. C'est comme partout, ils y en a qui sont nés pour faire chier le monde et d'autres qui n'en ont rien a foutre...
A chaque fois que nous quittions notre cellule nous avions droit à la fouille. On devait se mettre en rang pour descendre en promenade et bien souvent un bricard était en embuscade pour voir si on suivait bien le règlement. Nous, au D3, on s'en foutait de leur règlement. Entre nous, ce qui comptait c'était la solidarité. Et au D3, à l'époque, il y en avait de la solidarité !
Une solidarité que je n'ai jamais retrouvée par la suite, dans les autres prisons que j'ai fréquentées, après 1990. Pas chez tous, bien entendu, mais maintenant, en prison, c'est la médecine qui calme les esprits et apaise les tensions. A coups de Subutex, on les calme, les esprits. Nous, on nous donnait un mélange de tranquillisants.... mais moi je n'en ai jamais pris !
Ah ! les temps ont bien changés !
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77-78 - Fleury : La Belle Equipe
J'étais donc incarcéré à Fleury, toujours sous le coup d'une instruction pour usage de chèques volés. A Fleury, je retrouvais du monde, j'avais mes connaissances...
Je logeais au bâtiment D3. Nous étions toute une bande, issus pour la plupart de la Banlieue sud. Il y avait-là les plus belles équipes du moment. Il faut dire qu'a cette époque tout le monde se respectait. Nous étions soudés, avec un cœur gros comme ça et un mental à toute épreuve. Des types de cette trempe, tu n'en rencontres plus beaucoup de nos jours ! Beaucoup avait fait la une des journaux, certains je les retrouvais plus tard à Poissy. La plupart étaient condamnés à de longues peines.
Je travaillais dans la moquette
Mon moral était bon. Je faisais du sport, j’étais bien, ma santé était excellente. Au bout de six mois, j'ai pu être affecté dans un atelier de fabrique de barres à moquettes. Les ateliers se situaient dans l'enceinte de la prison, tout autour des bâtiments cellulaires. Fleury, c'est vraiment l'usine.
Le job n'était pas très passionnant mais ça me permettait d'arrondir un peu mes fins de mois. Je travaillais dans la moquette donc, et ma tâche consistait à coller des bandes de papier sur les barres à moquette. Pas très passionnant ni bien payé. Le matin, je commençais à 8 heures, à 11 heures j'étais de retour en cellule, et de nouveau l'après-midi de 14 à 17 heures. Entre midi et deux, je pouvais faire du sport : du foot - ou bien aller en promenade. L'ambiance était bonne, les rapports dans l'atelier étaient sympas et ça me changeait les idées.
Dès lors que j'ai été classé – c'est-à-dire qu'on m'a affecté dans un atelier de travail -, j'ai été relogé en 'triplette', toujours au bâtiment D3, mais cette fois-ci au premier étage. J'ai eu la chance de tomber sur deux mecs super. L'un se prénommait Raymond et on appelait l'autre Nan-Nan... Ils travaillaient dans le même atelier que moi, aux barres à moquette.
Lorsque Nan-Nan est sorti de prison (eh oui ! faut bien sortir un jour....), c'est Bob qui est venu loger avec nous. Un gars gentil aussi. Oui, on se marrait bien ensemble, en plus on faisait du foot tous les trois. De braves mecs. A trois, en cellule, on se débrouillait comme des chefs.
Notre cellule n'était pas un trou à rat : 25 mètres-carrés. On avait chacun notre coin, chacun son propre lit, chacun sa tablette. Il y avait des chaises et des placards. Deux fenêtres, si mes souvenirs sont bons, nous donnaient suffisamment de lumière. Des fenêtres en plexiglas. Une seule était bardée de barreaux, celle qui s'ouvrait. On pouvait circuler sans se marcher dessus. Tout compte fait, en cellule, on n'y était que le midi pour manger, le soir, et les week-ends. Le reste du temps, on vaquait à nos occupations.
Le Grand Dominique et Dada, des amis de Boulogne
En ce temps-là, seul mon avocat venait me voir. Un brave homme. Il était de Boulogne, c'était un pote à moi – un ami d'enfance - qui me l'avait recommandé : c'est tout dire. A Boulogne, on avait fréquenté le même bistrot, pour dire qu'on se connaissait. Il était inscrit au Barreau de Nanterre, mais il était de Boulogne : de Boulogne-Billancourt. Un bon avocat. Je n'ai jamais été déçu. (Mais la partie était facile pour lui dans mon affaire !). Il a toujours répondu présent tout au long de l'instruction.
Des amis sont arrivés qui m'ont rejoint par la suite. Quand j'ai débarqué à Fleury, il n'y avait personne que je connaissais, dans mon quartier, le D3. Mais au bout de trois mois, le Grand Dominique et Dada sont venus me rejoindre. Ils étaient tous les deux de Boulogne, où ils exerçaient dans le cambriolage. Et puis, un peu plus tard est arrivé Claude, que j'avais connu à la maison d'arrêt de Saintes. Il venait de retomber lui aussi pour une série de vols. On ne se refait pas.
Ensemble, on se rappelait nos bons souvenirs... On parlait de Boulogne, de la vie, de choses et d'autres, des affaires d'hommes et du temps où nous étions dehors. En fin de semaine, on se prenait l'apéro. Tout ça, à la barbe des matons qui n'y voyaient que du feu. Je ne vous dis pas comment ! Mais, puisqu'il y a prescription, je vais vous le confier...
Tous les vendredis, un camion venait charger les barres de moquettes à l'atelier où je travaillais. Un jour, le chauffeur, un gars sympa, m'a demandé de lui charger, en douce, quelques cartons en plus. Dehors, ça lui permettait de terminer quelques petits chantiers. Bien entendu je ne pouvais lui refuser...
Bien : mais tout travail mérite salaire, comme on dit. Et donc, tous les vendredis, je recevais mon flash de Ricard et de Whisky et une boîte de cigares qu'il me ramenait de Belgique. Je planquais la marchandise dans des boîtes de Ricoré que je glissais dans mon slip. Ça devait me faire de grosses couilles, mais les vêtements de la Pénitentiaire nous allaient si mal que ça ne se voyait à peine...
Le seul risque était que le maton de service te désigne pour la fouille intégrale. Là, tu étais bon. Sinon il te palpait à peine, à la remontée des ateliers. Et, en tout cas, il ne mettait pas la main là-dessus.
Le dimanche, il y avait la messe
C'est comme ça qu'on se fait des relations en prison : combines, démerdes et apéro le week-end. Certains de ces bonhommes, aujourd'hui des anciens taulards, je les ai revus ensuite lors d'autres séjours en détention, dans d'autres prisons. Quant à mes amis de Boulogne, on se retrouve de temps en temps quand je monte à Paris.
Fleury, c'est grand. Les seuls rapports que nous avions entre détenus des différents bâtiments, c'était lors des tournois de foot ou bien lors des extractions – quand on nous emmenait au Palais de justice. Alors, le soir, on parlait aux fenêtres pendant que d'autres gueulaient. A cette époque, il n'y avait pas de télé dans les cellules, il fallait bien s'entretenir.
Il y avait aussi les yoyos – ces cordes qu'on balance entre les fenêtres, pour s'échanger ce qu'on veut : l'essentiel et le superflu : cantine, sucre, tabac, papier-à-lettre et le reste. En cellule, nous disposions d'une 'chauffe' artisanale : une boîte de conserve dans laquelle on verse de l'huile (l'huile en bouteille de la cantine). Tu fais une mèche avec du tissu et tu grattes une allumette. Tu poses ta casserole par-dessus et tu laisses chauffer le tout. Nous n'avions pas non plus de frigo. On mettait le fromage sur le balcon.... je veux dire sur le rebord de la fenêtre. La débrouille, quoi ! le système démerde.
Le dimanche, il y avait la messe. Si j'y allais, c'était surtout pour rencontrer mes potes des autres étages. En promenade, nous ne sortions pas tous ensemble. Chaque étage avait ses propres horaires et sa cour. Le reste du temps, on ne pouvait discuter que par les fenêtres. La messe, c'était un bon moyen de se retrouver. Et puis, à Noël, on se cotisait pour cantiner ensemble, afin d'améliorer l'ordinaire de tout le monde - bûches, saumon et boissons - : enfin, une cantine améliorée pendant que l'Administration pénitentiaire nous offrait, quant à elle, sa fameuse dinde aux marrons.
Détenu cherche correspondant(e)s
Mes parents ne sont jamais venus me voir, je ne voulais pas. Je ne désirais pas qu'ils me voient à travers une glace. Mon père m'avait tout le temps dit qu'il m'aiderait mais qu'il ne viendrait jamais en prison. Ça lui faisait trop mal au cœur. Les choses entre nous étaient claires. C'était mieux comme ça. Je préférais qu'on s'écrive.
Maryse aussi, mon ex, m'a écrit, au début, pour me donner des nouvelles de ma fille, mais rarement. J'en ai appris plus sur elle quand mes amis de Boulogne sont tombés. Ils m'apportaient des nouvelles fraîches, en quelque sorte. Heureusement, d'autres prenaient le temps de m'écrire de l'extérieur...
En effet, à cette époque, le journal Libération avait ouvert une rubrique spéciale petites-annonces pour détenus, le samedi. Un jour, j'ai passé une annonce moi aussi. Ça faisait trois mois que je végétais dans cette prison quand mon voisin de cellule m'a raconté, un jour, qu'il recevait pas mal de courrier grâce à ce système. Je me suis dit 'pourquoi pas essayer' ? Et c'est ce que j'ai fait, sans trop y croire quand même.
« Détenu 25 ans - condamné à 6 ans cherche correspondant(e)s pour rompre solitude. Je répondrai à tous et à toutes - JP »
J'ai eu de nombreuses réponses. Comme promis, j'ai répondu à chacun.
Parmi eux, il y avait une femme, Christine, qui m’écrivait tous les jours. C'était de longues lettres. Christine avait 19 ans. Elle me parlait de sa vie, de son travail (elle était dactylo), de ses parents. C'était une fille bien comme il faut, une fille rangée. Christine était de Rouen.
Je lui répondais. Nos échanges épistolaires nous rapprochaient chaque jour. Et il arriva ce qui devait arrivait : au bout de quelques mois cette correspondance se transforma en une belle histoire d'amour.
Je pensais que de s'écrire, en attendant, c'était bien
Elle désirait venir me voir au parloir. Moi, j’hésitais à lui dire de venir. J'avais peur que cet amour naissant ne résiste au moment décisif de la rencontre. Je lui ai dit qu'avant que nous nous rencontrions, je voulais que mon affaire a Nanterre soit terminée. Je voulais lui expliquer les parloirs, les trente minutes derrière un hygiaphone, où on peut même pas se toucher, même pas se faire la bise...
Je lui disais que le voyage coûtait cher, de Rouen à Fleury, et qu'il valait mieux attendre que je sois définitivement fixé sur mon sort et... sur la prison où je devais, ensuite, être transféré, puisque je savais que je serais à nouveau transféré ailleurs, dans une centrale, pour effectuer le reste de ma peine.
Je pensais que de s'écrire, en attendant, c'était bien. Elle l'a compris, elle l'a accepté. Du coup, elle m'écrivait deux lettres par jour.
(Laurent Jacqua : "L'amour en cage")
Par l'aumônier, elle m'a fait passer des vêtements, des survêt'. Elle m'adressait des mandats pour que je ne manque de rien. J'étais surpris qu'elle se sacrifie ainsi pour moi. Je ne possédais d'elle que des photos qu'elle m'avait envoyées. Juste deux photos. La vie est bizarre : une petite annonce peut changer le destin d'un homme.
Je ne l'ai rencontrée, physiquement qu'en mai 78, à la Centrale de Poissy, au parloir. Pendant tout ce temps, nous nous écrivions : des lettres de plus en plus enflammées. Ça me donnait un moral et une pêche d'enfer ! Elle allait devenir ma plus belle histoire d'amour. Merci Libé ! (le Libé de l'époque...)
Libération du samedi (10-11/04/76) : petites annonces Taulards
(Cliquez sur l'image pour agrandir)
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Epilogue : Le départ de Fleury
Pendant les dix mois passés à Fleury, l'instruction de mon affaire, celle pour laquelle j'avais été transféré de l'Ile de Ré, se poursuivait.
Le matin, il fallait être prêt. On t'embarquait sur les coups de 9 heures dans un grand car cellulaire, que la Justice remplissait de tous ceux qu'elle voulait entendre ou juger. Direction : les dépôts des différents tribunaux de la région. C'est seulement le soir, tard, qu'on nous ramenait. Une journée d'interrogatoire, de fouille au corps et surtout des heures et des heures d'attente dans les geôles du Palais. A chaque fois, je rentrais, à Fleury, de nuit, avec un mal au crâne...
J'ai rencontré par trois fois le juge d'instruction. Un jour, je lui ai dit, au juge d'instruction, que ce n'est pas moi qu'il aurait dû écrouer, mais le bonhomme qui m'avait injustement dénoncé. Envoyer les gens en prison comme ça, juste à partir d'une photo que lui avait présentée les flics ! « C'est trop facile d'accuser les gens ! », que je lui ai dit au juge ! J'ai insisté pour qu'on soit confronté, lui et moi. C'est ce qu'il a tenté de faire, mais le gusse ne s'est jamais présenté par la suite...
Pour faire bonne mesure, j'avais aussi demandé un examen graphologique des signatures apposées sur les chèques. Certes, le rapport d'expertise concluait qu'il y avait une certaine ressemblance avec mon écriture, mais rien n'était moins sûr et, sans témoin, la partie était gagnée. Mon avocat n'avait plus qu'à placer ses mots : le doute, le doute... J'ai pu bénéficier d'un non-lieu dans cette affaire.
Fin janvier 1978, j'étais lavé de tout soupçon : je redevenais donc un condamné définitif, prêt pour un nouveau transfert. Mais cette fois-ci pas pour l'île de Ré. J'étais à Paris et je comptais bien y rester.
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Chapitre 3 : 1978-1981 - Poissy, me voilà !
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1978 - Poissy : Et moi qui pensais partir pour Melun
Ayant bénéficié d'un non-lieu pour mon affaire de Nanterre, - c'était au mois de janvier 1978 - je coulais les jours un peu plus heureux dans ma cellule de Fleury. Pour une fois, la Justice me reconnaissait innocent dans une affaire. Mon moral s'en trouvait déjà beaucoup mieux.
Maintenant, il fallait a tout prix qu'on ne me renvoie pas sur l’île de Ré et sa Forteresse. Je voulais oublier cet endroit perdu et rester au plus près de la Capitale. En attendant que mon sort soit fixé, je restais cantonné au D3 de Fleury. J'y avais pris mes habitudes : entre l'atelier de barres à moquettes, le sport en semaine, et les apéros du samedi avec les potes, tout allait bien.
Un amour naissant
Pendant ce temps, ma liaison avec Christine se renforçait. Nous nous échangions des courriers toujours plus enflammés. Je la faisais patienter encore, tant que je ne savais pas à quel moment j'allais être transféré. Ça m'embêtait de la faire venir à Fleury, connaissant les chicanes de l'administration pénitentiaire : j'aurais pu être transféré sans que j'aie eu le temps de la prévenir et qu'elle vienne ensuite pour rien.
Pendant toutes mes détentions à venir, Christine a toujours été présente. Elle n'a jamais loupé un parloir, sans compter les gardes-à-vue qu'elle s'est tapée pour moi. Elle a été reçue et acceptée par tous mes amis de l'époque. Je pouvais lui demander d'aller voir un tel ou tel de ma part : mes amis d'enfance, d'école, mes potes de quartier... Certains ont bien tournés et d'autres non, c'est la vie !
Pourtant ce n'était pas facile pour elle. Elle était fille unique, d'une famille de gens bien comme il faut... Mais mes amis l'ont toujours respectée et j'en suis fier. Ils l'ont respectée comme on respecte la femme d'un ami. Elle m'a toujours assistée de manière à ce que je manque de rien durant tous mes séjours en prison. Elle est devenue ma plus belle histoire d'Amour.
Il y avait bien Melun pas trop loin...
En début février 78, j'ai été reçu par un 'orienteur'. Un orienteur, c'est un type qui faisait un dossier sur ton compte. De toute façon, il n'avait aucun poids. Il ne décidait de rien. Un peu le genre SPIP d'aujourd'hui. Juste là pour toucher son bifton en fin de mois.
Voilà qu'il me demande si je veux retourner à Saint Martin de Ré. D'emblée je lui dis que non : 'C'est trop loin de chez moi !' Je lui fais tout un cinéma : je lui dis que si je veux avoir de la visite, il fallait que je reste à Fleury, ou dans les environs. Je lui ai dit qu'il y avait bien Melun pas trop loin...
Melun, à l'époque, c'était le centre de détention où ils appliquaient toutes leurs réformes. En 74, Giscard avait été élu Président, et puis il y avait eu des mutineries un peu partout en France. En ce temps-là, c'était Lecanuet qui était Ministre de la Justice et à la suite des mutineries, il avait annoncé des réformes. Il y aurait dorénavant trois catégories d'établissements pénitentiaires : les centres de détention (CD), les maisons centrales (MC), au régime plus dur et, plus dur encore, les quartiers de haute sécurité : les fameux QHS, où la bataille pour les droits des détenus s'annonçait rude.
J'étais fixé sur mon sort
J'étais alors un tout jeune détenu. A Evreux, là-bas, ça n'avait pas beaucoup bougé. Par contre, on avait vu débarquer les soi-disant mutins de Loos et ceux d'autres prisons qui avaient été transférés. La réforme abolissait la censure sur la presse et la coupe de cheveux réglementaire.
Par cette même loi, les détenus pouvaient bénéficier de permissions de sorties : quand tu étais en centre de détention - à partir du tiers de ta peine, ou, quand tu étais en centrale, à la moitié de ta peine, s'il te restait moins de trois ans à purger. Pour ceux des QHS, n'en parlons pas : pour eux ça allait être encore plus dur : dur de dur...
A Melun, donc, j'avais appris qu'ils appliquaient la réforme. 'Melun, ça m'intéresse...' que j'ai dit à l'orienteur. Le type m'a répondu : 'Bon, je marque Melun...' Voilà, j'étais fixé sur mon sort. En attendant de partir pour Melun, je retrouvais ma triplette, mon atelier à moquettes et mes potes. La vie continuait.
Prison de Melun... où je ne suis jamais allé
Deux matons sont venus me chercher
C'est par un beau matin de mars avant que de descendre à l’atelier, au moment de la distribution du café, qu'on m'a dit de faire mon paquetage : « Transfert ! ». Je me doutais bien depuis la veille qu'il se tramait quelque chose. A l'atelier, en bas, ils avaient prévenu mon chef d’arrêter mon compte. J'avais bien pigé que j'étais sur le départ.
Mon paquetage fut fait rapidement. J'ai dit au-revoir à mes deux compagnons de cellule, Raymond et Bob, qui eux s'en allaient pour l’atelier. Je suis resté seul dans la cellule, j'attendis qu'on vienne me chercher. Je laissais des amis mais j'étais heureux de partir quand même. Je savais que je m'en ferais d'autres, et surtout j'escomptais bien profiter de nouveaux avantages : des permissions, et même d'une libération conditionnelle avant la fin de ma peine. J'y croyais.
C'est vers 10 heures 30 que deux matons sont venus me chercher, ils m'ont descendu dans une cellule d'attente en attendant qu'un fourgon m'amène. C'est tout seul ce matin-là que je quittais le bâtiment D3 de Fleury.
Adieu Fleury !
Avec mes six ans, j'étais le moins capé
De là on m'a conduit jusqu'au bâtiment du vestiaire central. Dans une grande cellule d'attente, je retrouvais d'autres gars qui, eux aussi, étaient en partance. Nous étions une bonne dizaine si je m'en souviens bien. Il n'y avait-là que des condamnés à de longues peines (entre quinze et vingts piges) et un perpète aussi. Moi, avec mes six ans de condamnation, j'étais le moins capé !
Ils arrivaient des différents bâtiments de Fleury, d'où on les avait regroupés avant le départ. Pour certains : ceux qui étaient tombés pour les mêmes affaires et qui avaient été séparés depuis sans s'être revus, c'étaient des retrouvailles. La plupart étaient heureux de quitter Fleury. L'ambiance était bonne !
Fouille réglementaire et puis le passage au greffe
Ensuite, un par un, on est venus nous chercher. D'abord, il faut que tu leur rendes ta couverture et tes draps, et tout ce qui leur appartient : couverts, assiette, couteau, fourchette, cuiller... S'il manque quoi que ce soit ils te le font payer : de vrais voleurs ! Ensuite, ils emballent ton carton d'affaires perso ; vêtements civils, papier-à-lettre, sucre et ricoré : enfin tout ce qui t'appartient à toi.
Enfin, tu as droit à la fouille. La fouille à poil, comme toujours. Là, tu leur refile la tenue pénale en tergal gris qu'ils ont bien voulu te confier à ton arrivée et ils t'habillent, en échange, d'une autre tenue, pour le voyage : un droguet en flanelle, tout gris, et qui me piquait partout. Bon : en habit de flanelle, j'avais belle l'allure ce matin-là ! Merci à la Pénitentiaire.
En verra bien, que je me suis dit
Comme nous passions à la queue leu-leu, les uns à la suite des autres, cela dura, dura. On nous servit un casse-croûte à midi. Je mangeai de bon appétit. Vers 13 heures, je passais au greffe. Ils ont pris mes empreintes une dernière fois, et ils ont préparé une grande enveloppe, avec, dedans, mon dossier médical, mon argent, mes papiers..., tout ce qui me restait du monde extérieur. Ils gardèrent l'enveloppe scellée pour la remettre ensuite aux matons chargés du transfert.
C'est seulement en début d'après-midi qu'on est venu nous chercher. Des surveillants nous attendaient prêts à nous palper à nouveau. On nous a mis des chaînes cadenassées aux mains et des entraves aux pieds. Un et un, nous avons grimpé dans un grand car cellulaire. Nous étions enfermés, chacun, dans une petite cellule compartimentée.
A travers le treillis métallique, on pouvait s'apercevoir et discuter. C'est là que j'ai entendu certains parler de 'Poissy' : qu'ils allaient retrouver des potes à Poissy. Et moi qui pensais partir pour Melun. Je la sentais mal cette histoire ! Enfin, on verra bien que je me suis dit. Déjà, le fourgon démarrait, les motards d'escorte étaient prêts. Je ne verrais pas Melun : nous partions pour la Centrale de Poissy.
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1978 - Poissy : En Centrale
C'est en discutant avec les détenus qu'on transférait le même jour depuis la prison de Fleury que j'appris que c'était à Poissy que nous allions et pas à Melun. Ils paraissaient heureux. Beaucoup d'entre eux avaient demandé Poissy. A Poissy, la plupart avaient des amis qu'ils se réjouissaient déjà de retrouver. Je les voyais, qui bavardaient ensemble, dans les cages du fourgon qui nous conduisait.
Jusqu'au dernier moment, j'avais espéré qu'on me dépose à Melun... peine perdue. C'est bien à Poissy que nous allions. Poissy ! Je ne m'y attendais pas. Ainsi, on m'expédiait non pas en Centre de détention mais en Centrale ! Alors qu'il ne me restait plus que trois ans à purger. Et moi qui pensais qu'on allait à Melun...
Deux heures après nous arrivions
Le fait d'être transféré en maison centrale reculait d'autant plus ma demande de permission, il me faudrait attendre au moins un an. Tout en roulant, je faisais mes calculs. Bon, l'important c'est je savais où j'allais crécher définitif – du moins s'ils ne décidaient pas de me retransférer ailleurs d'ici tôt.
Maintenant, j'allais pouvoir faire venir Christine au parloir et la voir pour la première fois. Ça faisait huit mois qu'on échangeait seulement par courrier. Je ne connaissais même pas le son de voix. A cette époque, le téléphone nous n'y avions pas droit et les portables n'existaient pas...
Nous y voilà !
Le fourgon entre dans la cour d'honneur. Il est 16 heures. Un long couloir, des bureaux sur la droite. Nous sommes debout. Arrive alors un petit homme, au teint buriné, en uniforme, c'est un Corse. Il s'appelait Orsini (qu'on surnommait 'Tonton'). C'était le chef de détention, un brigadier. A côté de lui, il y a le sous-directeur qui ne disait pas un mot. Orsini commence a nous expliquer comment ça allait se passer. Son ton est correct, il nous a dit que nous allions être dirigés en cellule d'attente, qu'on serait reçu plus tard, etc...
Plus tard, je m'apercevrais que c'était lui qui dirigeait tout le monde. Pas le directeur ou le sous-directeur, non, lui : Tonton Orsini, le brigadier-chef de détention.
Je reçus mon paquetage de bienvenue
Nous étions une dizaine à arriver de Fleury. Nos gardiens nous retirèrent les chaînes qui nous entravaient les mains et les pieds et nous firent patienter dans une grande salle. Puis on nous appela au greffe, chacun à notre tour. Et ensuite direction le vestiaire. Nos cartons étaient sur un chariot et nous suivaient. Aux vestiaires, comme d'hab, nous eûmes droit à la fouille. Une bonne fouille. A croire qu'ils sont tous pédés ces matons !
Je reçus mon paquetage de bienvenue : couverture, draps couverts, nécessaire de toilette et rouleau de papier-cul. Ils ont gardé mon carton en me disant qu'ils me les rendraient dans la semaine. Puis on nous dirigea vers le quartier des arrivants.
Nous traversâmes deux grandes cours. Poissy était une vieille prison en rénovation. Nous pénétrâmes dans un bâtiment à droite, bâti à l'écart des autres. Là, nous fûmes séparés pour la nuit. On m'installa dans une cellule individuelle. J'étais heureux de me retrouver un peu seul. Deux casse-croûtes m'avaient été préparés et m'attendaient sur la table.
La cellule était propre. Elle ressemblait à tant d'autres cellules d'autres prisons : des barreaux aux fenêtres comme partout ! Ce soir-là, je ne vis plus personne, hormis les matons à leur passage. Tout était calme. Je discutais un moment par la fenêtre avec mon voisin de cellule arrivé en même temps que moi : un Marseillais. Il me dit qu'il était heureux de se retrouver ici. Il allait revoir d'autres amis à lui, des amis de Marseille qui séjournaient à Poissy.
Premiers pas à Poissy
La nuit fut tranquille. Tout compte fait, j'étais heureux aussi d'être arrivé à destination. Je m'endormis ce soir-là d'un profond sommeil.
C'est à 7 heures 30, le lendemain matin, que nous fûmes réveillés. Un auxi, encadré par deux matons nous apporta le café : un bon bol de café, du pain et une part de beurre. J'avais une faim de loup ! Les voyages ça ouvrent l'appétit.
Le jour était levé. Depuis ma fenêtre j'entendais les pas des détenus qui traversaient la cour. Je les voyais qui se rendaient aux ateliers. Plus tard, on est venu nous chercher pour la visite médicale. Nous nous y sommes rendus par petit groupe. Tout le monde était apte pour le service et moi aussi.
Retour en cellule ensuite, où je suis resté jusqu'en début d'après-midi. Le premier jour, tant que tu n'es pas classé en détention, tu n'as pas droit aux promenades. Il fallait d'abord que ces Messieurs de la Direction veuillent bien te recevoir !
L'après-midi un maton m'a conduit aux vestiaires où j'ai pu récupérer des slips et des chaussettes perso, que j'avais dans mon carton, et mon nécessaire de toilette. J'ai pu aussi mettre la main sur mon courrier : toutes les lettres que j'avais reçues et que je gardais précieusement depuis le début de ma détention. Elles m'accompagnaient partout.
J'ai pu récupérer en même temps mes chaussures de foot (de « vraies » chaussures de foot que j'avais cantinées à Fleury – mais avec des crampons en plastique pas en fer !). C'est dans ce vestiaire enfin que j'ai troqué la tenue pénale de voyage, en flanelle, contre un nouveau droguet qui ressemblait à un bleu de travail. De toute façon, à cette époque à Poissy, c'était tenue pénale exigée pour tout le monde.
Tout avait l'air de se passer pas trop mal
J'étais heureux d'avoir de quoi écrire. De retour en cellule je pus enfin prévenir mes Parents, Christine, mes amis d'enfance et aussi mon avocat (Mon affaire était terminée mais malgré tout je gardais le contact. Je suis toujours resté en relation avec lui encore aujourd'hui, comme d'ailleurs avec tous mes autres avocats. On ne sait jamais ce qui peut vous arriver !)
A 16 heures, les détenus sortaient des ateliers. Tout le monde était en promenade. Ils venaient sous nos fenêtres et certains entamaient la discussion. Ils voulaient savoir d'où on arrivait, qui on était... Il y avait quelques têtes que je reconnaissais de Fleury, quelques-uns même du D3, mon bâtiment.
Je me renseignais comment ça se passait ici. Je voulais savoir. Tout avait l'air de se passer pas trop mal, c'était déjà ça. Ils me demandèrent aussi si j'avais besoin de quelque chose. Je reçus d'eux un peu de tabac et du café. A cette époque la solidarité entre taulards ça existait, c'est clair.
Etiqueté comme dangereux
Je ne connaissais Poissy que parce qu'on m'en avait dit. De toute façon, une prison reste une prison. Il paraissait qu'il y avait ici un JAP (juge d'application des peines) qui donnait des perms faciles. Normalement, Poissy c'était pour les longues peines, moi avec mes seulement six piges, je me demandais ce que je faisais là.
C'est plus tard seulement que j'ai appris que j'avais été étiqueté comme 'dangereux' et que c'est pour ça qu'on m'avait transféré en centrale. C'est vrai qu'à Saintes, j'avais eu une légère altercation avec un maton qui avait prétendu que j'avais voulu lui crever un œil avec une aiguille, au travers de l'oeilleton du chauffoir, ce qui était complètement faux.
Avec mes six piges, j'étais bien la plus petite peine de Poissy. Ce qui me rassurait c'est que je me disais que ça serait-là ma dernière prison. Il me fallait juste la jouer au mieux, profiter des avantages et attendre que ça se passe.
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1978 - Poissy : En attendant que ça se passe
On m'avait transféré à la Centrale de Poissy la veille. Le premier jour s'était bien passé. Une formalité. J'étais libérable sur le papier en 1982 mais je savais que j'avais des remises de peine à toucher – des RPS – Remises de peine supplémentaires. Je savais donc que je sortirais plus tôt et j'espérais bien aussi bénéficier d'une libération conditionnelle (qui ne vint pas). Il me fallait juste la jouer au mieux et profiter des avantages, en attendant que ça se passe.
Je passai ma deuxième nuit au quartier des arrivants. Je commençais à trouver le temps long. Le troisième jour, dans l'après-midi, je fus reçu par Tonton Orsini, le brigadier-chef et le sous-directeur. L'entretien fut courtois. Ils me remirent le règlement intérieur, et me dirent mon affectation. Je serais classé dans l'atelier de rempaillage de chaises. A l'époque le travail était encore obligatoire pour les détenus. Un boulot grassement payé, t'imagines ! Misère...
Une cellule avec vue sur 'l'extérieur'
Le lendemain matin, je changeai de cellule. Je quittai le quartier d'accueil. On me relogea au deuxième étage dans un autre bâtiment. La centrale de Poissy faisait un T composé d'un bâtiment central et de deux ailes. On me logea dans l'aile droite. Une cellule avec vue sur 'l'extérieur' c'est-à-dire les murs d'enceintes et, plus loin, sur la rue, les immeubles, et... la liberté. (Dans les temps plus anciens, à Poissy les détenus dormaient dans des 'cages à poules', mais moi, je n'ai pas connu ça.)
J'avais juste eu le temps de déposer mon paquetage que je fus conduit avec quelques autres gars jusqu'à l'atelier des chaises. Nous traversâmes une première cour et puis une seconde pour rejoindre un grand bâtiment, ancien. L'atelier se situait au dernier étage. Tout l'immeuble était consacré aux ateliers. En-dessous, il y avait un atelier de couture ou ils fabriquaient des sacs publicitaires en toile ; à côté de nous, un atelier où on soudait des cadres métalliques de fenêtres. Il y avait aussi, si je m'en souviens, un atelier de produits pharmaceutiques et un atelier de découpe de tissu et de papier...
Le maton nous ouvrit la porte, nous fit rentrer, referma derrière nous et nous laissa là.
Deux mois à rempailler des chaises
Nous fûmes accueillis chaleureusement par les détenus qui travaillaient déjà. Il y avait, parmi eux, beaucoup de Gitans. Il faut dire qu'ils sont super forts pour ce boulot ! C'est eux qui m'ont appris l'art du rempaillage.
Moi, au début je n'y comprenais pas grand-chose aux chaises. On a bu le café, on a discuté... Il n'y avait aucun maton présent en permanence. A l'atelier de chaises, nous étions juste entre détenus : une quarantaine. Un gardien nous y accompagnait le matin, repartait et revenait ensuite nous reprendre vers 11 heures 15, 11 heures 30 pour nous amener jusqu'au réfectoire.
A l'atelier des chaises, j'y suis resté deux mois. L'ambiance était bonne. N'étant pas comme qui dirait un grand manuel de la chaise à rempailler, je n'étais pas des plus qualifiés ni des plus motivés.
© Jean Gaumy/Magnum Photos - 1976
Je ne me voyais pas tourner de la paille toute ma vie. Nous travaillions à deux. Un gitan sympa me finissait mes chaises car moi, dans le mois, je n'en faisais que trois moitiés. La chaise c'était pas mon fort. D'autres, (les Gitans surtout) pouvais en finir une vingtaine par jour, bien rempaillées et tout.
Que du beau monde !
Avec les détenus des autres ateliers, il nous arrivait souvent de nous croiser dans les étages. Chaque matin nous nous retrouvions tous ensemble dans la cour pour l'appel. Le midi nous mangions dans d'anciens réfectoires qui se situaient sous une grande salle – la salle de cinéma - dans un vieux bâtiment style monument historique, fait de briques anciennes.
Ce n'est que plus tard qu'on nous installa dans un nouveau réfectoire refait à neuf. On était au moins une bonne centaine facile à manger-là, de tous les ateliers. Certains détenus mangeaient ailleurs : ceux de la compta ou les classés à l'administration.
Nous nous mettions par grandes tablées de huit ou dix. Il y avait une bonne quinzaine de tables mais toutes n'étaient jamais complètes.
Dès le premier jour, je me suis calé avec des gars que je connaissais, des gars de Fleury qui avaient été au D3 comme moi. Il y avait-là Michel le Lyonnais, un type très sympa. Il était tombé pour vol à main-armée. Il y avait aussi des Marseillais – ceux de la 'French connection' -, des Corses, des Parisiens, et des membres de la banlieue Sud. Que du beau monde ! Tous avec un mental d'enfer.
Le repas s'étirait jusqu'à midi et demie, ensuite promenade, salle de télé , ou bien sport ou pétanque, au choix. Nous avions quartier-libre. Puis nous reprenions l'atelier jusqu'à environ 16 heures 30, et repromenade ensuite, salle télé, sport, etc...
Vincent Van Gogh - La Ronde des prisonniers
En promenade
Le premier jour, en promenade, ce que tu cherches c'est de retrouver des gars que tu connais. Pour moi, les mecs de Fleury. Mais ensuite en prison tu te fais vite des connaissances si tu es réglo. Les crapules, on les laisse de côté.
Il y avait deux cours de promenade et tu pouvais aller dans n'importe quelles des deux comme tu voulais. De grandes cours, mais moins grandes que celles de Fleury quand même. Nous y étions une bonne centaine à déambuler. D'autres préféraient aller en salle télé, d'autres étaient à la musculation ou au sport. Les matons, on les voyait peu. Ils étaient là mais ils s'occupaient de leurs affaires. Bien entendu, ils surveillaient quand même, mais en général ils ne t'emmerdaient pas : comme si qu'ils n'étaient pas là. Le seul qu'on côtoyait, surtout le samedi, c'était Tonton Orsini. Il aimait bien faire son tour et venir nous dire un petit bonjour. C'était le plus voyant de tous.
Le repas du soir se prenait à 18 heures et, à 19 heures, tout le monde en cellule. On mange tôt à Poissy. Les cellules étaient plus petites qu'à Fleury. La mienne était propre, équipée d'un lit, d'un grand placard, d'une chaise et d'une table. A la fenêtre les barreaux étaient faits en béton armé. De gros et beaux barreaux bien solides ! Mais en cellule, on y est seulement le soir que pour dormir. Dans cette cellule, j'y dormirais deux ans.
© Jean Gaumy/Magnum Photos - 1976
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1978 - Poissy : Premier parloir amoureux
J'ai travaillé à l'atelier de rempaillage pendant deux mois, cinq jours sur sept. Le samedi et le dimanche, c'était le repos du guerrier. J'avais pris mes habitudes : entre paille, promenades du matin et du soir, et sport. Le week-end, je jouais au foot. Il y avait un petit terrain gazonné prévu pour. La semaine je faisais de la muscu avec Michel-le-Lyonnais et des Parisiens. On courait aussi, pour garder la forme, autour de la deuxième cour, au cas où...
Chaque jour, j'attendais une lettre
Parfois, il m'arrivait de remplacer mon pote, le grand Raymond, un joueur de poker professionnel, quand il allait faire son tennis (A Poissy, il y avait aussi un court en béton, une surface rapide). Les parties de poker se déroulaient dans la salle de télé où on s'entassait à cinquante et même plus. Autour de grandes tables, les joueurs de cartes se serraient et ça jouaient fort. A côté, une table de ping-pong et un baby-foot résonnaient.
La salle était grisâtre et enfumée : on fumait tous et l'ambiance était chaude. A cette époque, il n'y avait pas de télé en cellule. Comme là salle était divisée en deux, tu pouvais choisir ton programme (il n'y avait pas autant de chaînes que maintenant). Souvent aussi, on nous mettait une cassette vidéo pour voir des films, des films que nous choisissaient l'Administration pénitentiaire.
Le week-end, la salle était fermée. A ce moment-là, il y avait les parloirs, le sport ou bien la cour de promenade. Voilà. Tous les jours se déroulaient ainsi et les jours se succédaient : jour après jour. Et chaque jour, moi j'attendais une lettre.
On se parlait sans pouvoir se toucher
On nous distribuait le courrier le midi. J'étais impatient. Mon courrier devait être encore adressé à mon ancienne adresse et bloqué à Fleury. Il fallut un certain temps pour que l'Administration pénitentiaire fasse le nécessaire. Jusqu'au jour où le même jour j'ai reçu plusieurs lettres à la fois : des lettres de Christine, de mes parents, de mes amis...
A partir de ce moment-là Christine s'est occupé de faire tous les papiers pour le parloir. C'est au bout d'un mois et demi, qu'elle reçut l'autorisation du Directeur de Poissy. Entre temps, elle avait eu à subir une enquête de personnalité. Elle avait été convoquée, me l'apprendra-t-elle, par les flics de Rouen. Avant de me connaître, elle qui n'avait jamais eu à faire avec les services de police. Voilà qui augurait bien de notre relation !
A Poissy, à cette époque, pour les parloirs, il n'y avait pas de rendez-vous à prendre. Dès que tu avais ton autorisation, tu arrivais quand tu voulais, le samedi ou le dimanche. Mais seulement le week-end. En semaine, il n'y avait pas de parloirs. Dans une grande pièce, tout en longueur, il y avait une dizaine de cabines-hygiaphones. Juste la place pour s'asseoir, un tabouret scellé, une petite tablette et une vitre en plexiglass bien épaisse avec des trous pour communiquer. C'est ainsi qu'on se parlait sans pouvoir se toucher.
C'est un samedi qu'elle vint à ma rencontre
Une fois assis dans ton box le maton fermait la porte. La famille, l'ami, la femme, enfin : ceux qui venaient te voir étaient enfermés eux-aussi dans un box, de l'autre côté. Lorsque tous les box étaient au complet on avait une demi-heure. De temps en temps, on nous accordait un double-parloir d'une heure. Il fallait hurler pour se faire entendre. Une fois tous les trois mois on avait droit au parloir sans hygiaphone.
C'est un samedi que Christine vint à ma rencontre. C'était notre premier rendez-vous, notre premier parloir amoureux... Tout s'est passé le mieux du monde : Je voulais la sentir rassurée. Elle n'avait jamais mis les pieds dans une prison. Ça a tout de suite collé entre nous deux.
Je l'écoutais parler. Elle me parlait d'elle. Je trouvais qu'elle avait du caractère et cela me plaisait. Elle me raconta ce qu'elle faisait, son travail dans une agence de voyage, le studio dans lequel elle habitait à Rouen. Elle me parla de sa famille, de ses parents. Ils étaient au courant pour moi et ils m'ont toujours accepté.
C'est d'ailleurs son père qui l'avait amenée ce jour-là en bagnole depuis Rouen : 110 bornes aller et 110 bornes retour, direct par l'Autoroute de l'ouest. A l'extérieur, mon futur beau-père attendait sa fille. On était en mai 1978, c'était le printemps. Elle avait 19 ans et moi 26.
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1979 - Poissy : Les noces de Poissy
à mon épouse Christine que j'aime tant...
Un beau jour, voilà que mon pote, Michel-le-Lyonnais, qui bossait à l'atelier couture où on fabriquait des sacs publicitaires en toile, me dit qu'ils cherchaient un gars pour travailler au massicot et à la presse. Je demandais donc à être reclassé dans cet atelier. C'était bien mieux que de rempailler des chaises et que de tourner de la paille ou du raphia toute la sainte journée. Apprendre à se servir d'un massicot et d'une presse ça pouvait toujours me servir dans la vie. Je m'étais dit que changer d'air me ferait du bien et en plus je serais avec un pote à moi.
Parloir sans hygiaphone
J'ai été pris. J'ai travaillé à l'atelier couture de juin 1978 à avril 1980, presque deux ans. Pendant ce temps, tous les samedis, Christine et moi nous nous retrouvions au parloir. Elle n'a jamais manqué un seul parloir.
Une fois tous les trois mois nous avions droit à un parloir sans hygiaphone. Cela se déroulait dans une salle ou il y avait cinq petites tables et cinq couples réunis. Dans le couloir, à proximité, un maton surveillait tous nos faits et gestes. Il accourrait aussitôt que nos mains dérapaient. La seule chose qu'il tolérait était de nous laisser nous embrasser... mais seulement en début et en fin de visite.
Bien entendu, tout dépendait comme tout le temps du maton de service. On pouvait tricher de temps en temps et même.... assez souvent ! C'est ainsi que je m'évertuais à séduire ma Belle... C'est ce que nous faisions tous...
La demande en mariage
Christine, je l'aimais. Et pour lui prouver mon amour, je décidai de lui faire une demande en mariage. Nous étions en 79, en avril 79. Elle aurait pu me répondre non. Elle a choisi de me dire oui. Il fallait bien sûr aussi qu'elle en parle à ses parents. Pour une fille unique, annoncer à ses vieux qu'on va épouser un taulard... pardon : une 'personne incarcérée', c'est peut-être pas le mariage idéal qu'ils auraient pu espérer.
Malgré tout, ils ont été d'accord. Ils furent là aussi le jour de la cérémonie, témoins de notre mariage. Ce fut le 9 juin 1979, par un beau jour qu'on nous maria. Entre-temps, j'avais été voir Tonton Orsini pour lui dire mon intention et savoir si je pouvais bénéficier d'une permission exceptionnelle. Il n'y avait pas d'autorisation à demander à l'Administration pénitentiaire pour se marier, heureusement mais je voulais juste une permission pour qu'on puisse se marier à l'extérieur.
Orsini m'a dit qu'il fallait que je fasse une demande au JAP – au Juge d'application des peines - de Versailles. Dix jours après, le JAP me recevait en audience : « Mariez-vous d'abord, qu'il me dit, pour la permission, on verra plus tard... », C'était râpé, je me marierais donc en taule...
Pour le pire et le meilleur, comme on dit
Christine fit les démarches pour la publication des bancs à la Mairie de Rouen et, pour moi, l'Administration pénitentiaire contacta la Mairie de Poissy. Une assistante sociale se chargea du relais avec Christine. C'est à l'infirmerie de la centrale que je passai la visite médicale pré-nuptiale. Et c'est en centrale qu'on nous maria.
Nous nous sommes unis, 'pour le pire et le meilleur' comme on dit, dans l'enceinte de la prison de Poissy. L'Adjoint au maire et un agent de Mairie avaient fait pour l'occasion le déplacement. Ce fut un mariage civil, on se passa de prêtre. Mes beaux-parents avaient apporté un gâteau et, avec l'autorisation expresse de l'Administration pénitentiaire, une bouteille de champagne. (J'avais demandé qu'ils puissent en faire entrer deux, mais Orsini n'en autorisa qu'une. Bon, c'était déjà mieux que de boire de l'eau !)
Des potes à moi qui bossaient en cuisine nous avaient confectionné un super gâteau de noces – que j'ai partagé avec eux après la cérémonie. Le mariage fut célébré dans la grande salle située à côté des parloirs, celle où siégeait d'habitude la Commission des peines.
Il y avait là, en habits des grands jours : Christine et moi bien sûr, ses parents venus de Rouen, l'assistante sociale qui s'était occupée de tout, le sous-directeur de la prison. L'adjoint au maire de Poissy et son agent officiaient.
En guise de cadeau de noce, la pénitentiaire nous a accordé, à l'issue de la cérémonie, deux heures de parloirs sans hygiaphone en tête-à-tête. Ensuite, Christine est repartie, comme elle était venue, bras-dessus, bras-dessous avec mes beaux-parents, mais à présent nous étions mariés, elle était devenue ma femme.
Florent Pagny Vieillir Avec Toi
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Berth : C'est facile de se moquer
1979 - Poissy : Une libération tant attendue
J'étais marié. En septembre 79, je rencontrai une assistante sociale en vue d'une demande de libération conditionnelle. Le SPIP – Service Pénitentiaire d'Insertion et de Probation - à l'époque n'existait pas. C'est elle qui avait fait les démarches pour mon mariage. Comme quoi, les gens compétents, même en prison ça existait ! (Aujourd'hui, j'en suis moins sûr...) Elle m'expliqua qu'il me faudrait fournir un certificat d'hébergement et un justificatif de travail...
Par l'intermédiaire de l'oncle à Christine, mon épouse, j'obtins une promesse d'embauche. Il avait une entreprise de peinture. Il était OK pour me prendre. Il y avait bien aussi son cousin, qui avait une pizzeria à Rouen et qui était lui aussi d'accord, mais présenter une promesse dans une entreprise de peinture, j'ai pensé que ça ferait plus sérieux que cuistot dans un resto la nuit. La Justice est si pointilleuse !
Revenez dans un an !
Ces quelques papiers furent vite obtenus et l'assistante sociale les transmit au Juge. Puis cela passa dans les rouages de la machine judiciaire. Le JAP, - le juge d'application des peines - fit une nouvelle enquête. Christine fut une nouvelle fois convoquée par la PJ de Rouen, et son oncle aussi.
Au bout de cinq mois, en janvier 80, la commission d'application des peines et le JAP prononcèrent un avis favorable. Le dossier retourna auprès du Ministère qui, seul, pouvait prendre la décision finale. J'attendis, j'avais confiance.
Début avril la réponse arriva. Ma libération fut ajournée. Je devrais patienter encore un an et présenter à nouveau une demande devant la Commission à ce moment-là.
(Dessin : Laurent Jacqua)
Belle carotte qu'on me proposait-là ! Selon mes calculs, avec les remises de peine, je devais sortir en mai ou juin 81. Alors, dans ces conditions, leur conditionnelle, ils pouvaient se la garder ! Je n'en voulais plus. D'ailleurs, depuis je n'ai plus jamais redemandé à bénéficier d'une quelconque libération conditionnelle.
C'est ainsi qu'à Poissy j'ai subi ma peine jusqu'au dernier jour
Heureusement, dès décembre 1979, j'eus droit à une première permission de trois jours. Il me restait moins de trois ans à tirer et j'étais donc dans les délais pour pouvoir en bénéficier. J'avais motivé ma demande auprès du JAP, en lui rappelant que depuis juin j'étais marié. En même temps je lui disais que je pourrais profiter pour aller rencontrer un futur employeur. Il m'accorda trois jours - plus une demie journée pour la route. C'était la première fois depuis plus de trois ans que je mettais le nez dehors .
Avant que de me rendre à Rouen, je fis un détour par Thais dans le 94. Là se trouvait ma fille, dans un centre pour enfant handicapés. Elle souffrait d'une grave malformation cardiaque et son bras gauche était paralysé. J'y allais sans savoir même si je pourrais la voir. Ils ne me connaissaient pas, je ne savais même pas si sa mère leur avait jamais parlé de moi. Christine et mon beau-père m'accompagnaient. C'est elle qui avait su trouver l'adresse du centre, grâce à un ami à moi.
Je n'avais pas revu mon enfant depuis juillet 1976, quand on m'avait incarcéré dans une prison à Saintes. Elle devait avoir six ans et demie à présent. Christine avait acheté quelques vêtements pour elle. Nous passâmes ensemble, avec la petite, une demi-journée. Jamais plus je ne la reverrais par la suite. Elle est décédée en 1981. en mars je crois. Mais ni le centre, ni Maryse, sa mère, ne m'ont tenu au courant. Puisque j'étais en taule, je ne pouvais être pour eux qu'un mauvais exemple...
J'en ai alors voulu à mon ex-compagne. C'est vrai que ma fille, je la connaissais si peu. J'avais été emprisonné depuis sa naissance, durant toutes ces dernières années. Mais tout de même j'étais son père. Ce sont mes parents qui bien plus tard m'ont appris son décès. D'elle, il ne m'est resté que quelques photos, c'est tout, et puis le souvenir...
Rouen : La ville et les quais de Seine
Trois jours de douceur et de câlins
Après, nous reprîmes la route. En chemin, nous nous sommes arrêtés à Saint Cloud, pour voir mes Parents. Ils allaient bien. Christine venait les voir souvent. Arrivés à Rouen, nous avons enfin pu fêter notre mariage dignement, mieux que six mois auparavant à la Centrale. Trois jours de douceurs et de câlins. Le troisième jour, je regagnais Poissy, la tête encore pleine de liberté.
C'est mon beau-père qui m'a reconduit ce jour-là jusqu'à la prison. Le plus dur quand on revient de permission, c'est de sonner à la porte pour que le maton vienne t'ouvrir. Je crois d'ailleurs que c'est mon beau-père qui a sonné pour moi. Dans ce sens, la sonnette marche toujours. Il me restait encore deux ans à tirer, grosso modo. Bon, j'avais encore quelques remises de peines à venir qui me permettaient d'espérer !
A partir de ce moment, j'ai bénéficié de permissions une fois tous les trois mois. Chaque fois je me suis rendu à Rouen. Pas d'incartade ! En plus, dès ma deuxième perm', nous avons eu droit à la visite, Christine et moi, de deux inspecteurs de police à son domicile. Ils m'ont posé alors la question la plus conne qui soit : « Est-ce que vous avez l'intention, après, de rentrer à Poissy ? ». Méchante question de leur part ! Bien sûr que je leur ai dit que oui ! Et même si je n'avais pas eu l'intention de retourner en taule, je leur aurais dit oui pareillement.
Mirador de la Centrale de Poissy
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1980 - Poissy : Par la grande porte...
En 1980, alors qu'il faisait sa tournée des ateliers, Tonton Orsini, le Brigadier Chef de Poissy, me proposa d'aller travailler dans la cour à marchandises au déchargement des camions qui livraient la semaine. Je lui ai dit : 'C'est OK, Monsieur Orsini !'
Orsini ! Il tenait bien sa centrale le bonhomme : c'était un vieux malin. Plus tard, j'ai appris qu'il avait quitté Poissy. Il fut nommé à Pontoise comme directeur ! Ce type aura passé sa vie entière en prison.
J'ai bossé avec Dédé-le-Toulonnais
Etant affecté sur la cour de marchandises, je n'avais plus accès au quartier central. Nous étions une vingtaine, regroupés dans un bâtiment à l'écart. Les gars qui étaient-là travaillaient pour la plupart sur les chantiers à l'extérieur : certains au Golf de Saint-Germain à tondre le gazon, d'autres à Conflans-Saint-Honorine... En semi-liberté, ils sortaient le matin à 8 heures et rentraient le soir sur les coups de 20 heures.
Le bâtiment où nous logions se composait d'une grande salle située au deuxième étage d'un vieille bâtisse. Au premier se trouvaient d'anciennes 'cages à poules' qui n'étaient plus en fonction depuis belle lurette. Nous n'y avions pas accès.
Nous dormions la nuit en grand dortoir. Il y avait là de grandes tables, une télé grand écran, un frigo et une cuisinière où les gars des chantiers extérieurs pouvaient préparer leur bouffe.
La gamelle à Poissy était mangeable mais la plupart ramenaient de la bouffe de l'extérieur et ils s'arrangeaient le weekend à ne manquer de rien.
(Anciennes 'Cages à poules' - Prison de Fontevraud)
Dans la cour à marchandises, j'ai bossé avec Dédé-le-Toulonnais, un gars très honorablement connu sur la place de Toulon. Nous formions une joyeuse équipe : des lurons en goguette, toujours prêts à déconner, et à aller faire la pause. La pause était sacrée. La première dès 10 heures du matin. Et les chauffeurs n'avaient qu'à poireauter avec leur livraison, parce que nous n'étions que deux à décharger : Dédé et moi... Plus loin, un maton dans sa guérite nous regardait. Un brave maton pas chiant du tout.
Il y avait d'autres avantages
Nous étions manutentionnaires. Nous mettions dans un chariot tout ce qui était destiné à la centrale, que ce soit pour les ateliers ou les cuisines. Tout transitait par un sas. Nous déposions le chariot plein et puis nous récupérions des chariots vides. Les détenus qui étaient de l'autre côté, nous ne les voyions pas. Ainsi, toute la matinée nous refaisions le même manège, et l'après-midi aussi jusqu'à 16 heures 30.
Le travail n'était pas trop usant. On travaillait en équipe Dédé et moi, et ça allait. J'étais mieux qu'à la couture. C'était moins bien payé mais il y avait d'autres avantages. Je ne me rappelle plus le salaire mais, en tout cas, ça ne devait pas peser bien lourd : cela m'aurait marqué ! et je n'ai même pas garder les bulletins de paie. Bon, c'est pas ça qui me fera gagner des points-retraite !
Notre boulot ne se limitait pas seulement à décharger les camions. Non ; il nous fallait aussi donner un coup de main au mess, là où mangeaient les matons et tous ceux qui venaient de l'extérieur. J'y vis immédiatement les avantages.
Je savais qu'il y avait-là une bonne équipe. Le cuistot d'abord : Marius, un Marseillais de 50 piges, un vieux briscard de la French Connection et deux Corses très comme il faut, condamnés à quelques années de prison, qui assuraient le service en salle.
Alors, tu imagines comme on y mangeait bien au mess. Marius était un vrai chef ! Nous avions droit à notre entrecôte-frites tous les jours. La manutention ça creuse.
Et tout ça à la barbe du 'patron', - enfin, c'est-à-dire de l'agent chargé de la gestion du mess -, un maton venu de Bretagne. Un mec pas compliqué et pas chiant du tout, qui ne crachait pas sur le pinard et qui goûtait aussi au pastis, midi et soir après le service.
Mitterrand venait d'être élu Président
Nous rejoignions Marius le midi, entre 12 et 14 heures, et le soir après notre journée de manutention, jusqu'à 21 heures trente. Là nous restions uniquement avec lui, en cuisine. Nous n'avions pas accès à la salle. On l'aidait à la préparation ou pour la plonge. Le lieu était ouvert toute la semaine, y compris le week-end. C'est là que nous nous restaurions. En prison, il faut savoir améliorer l'ordinaire.
A 22 heures, nous rentrions au dortoir. Certains dormaient déjà, d'autres regardaient la TV, et d'autres aussi battaient les cartes : belotte, pocker, tarot. Ça jouait dur jusqu'à point d'heure.
Tout ça a duré jusqu'à ma libération, le 14 mai 1981. Mitterrand, le nouveau président, venait d'être élu quatre jours auparavant. Je n'ai même pas eu le temps de bénéficier de la grâce présidentielle. (En ce temps-là, le président de la République fraîchement élu accordait des grâces. Mais ça, c'était avant.).
C'est bien dommage. Pour une fois que la Gauche arrivait au pouvoir ! Surtout que Tonton (pas Orsini mais Mitterrand) en avait bien données, cette fois-là, des grâces.
Dédé, on s'est revu quelques années plus tard
La veille de ma remise en liberté je fus appelé aux greffes pour faire les papiers, toucher ma solde et solder mon compte. Je devais avoir en gros 1500 francs de l'époque, c'est ce qu'il me restait parce que chaque fois que je sortais en permission j'en prenais un peu.
En début d'après-midi, j'ai dit au-revoir à mes potes, à Marius le Marseillais et aux deux Serveurs corses. J'ai fait la bise à Dédé-le-Toulonnais mon coéquipier. Dédé, on s'est revu quelques années plus tard, au Lavandou, dans le Var, histoire de se faire un bon gueuleton et de nous rappeler nos souvenirs quand nous déchargions ensemble les camions dans une cour de Poissy.
Quand j'ai quitté Poissy, il ne lui restait plus que quatre piges en gros à tirer. Pourtant, à sa troisième perm, il prenait de l'avance sur sa libération : filant avec la clé des champs et la fille de l'air. Puis il s'était fait reprendre un an plus tard. C'est une situation bien précaire que d'être en cavale...
Plus tard, je retrouvai aussi un des deux Corses, à la Centrale de Laon. Lui, il en avait repris pour quinze piges. Aujourd'hui, il doit être à nouveau dehors, le brave homme : en liberté. A moins que...
Devant l'entrée Christine était là
J'ai fait mon paquetage et je suis passé par le vestiaire pour récupérer mes vêtements civils, ceux que je mettais pour sortir en permission. J'avais mon courrier et mes cigarettes. J'eus droit à une fouille légère. On me donna un drap, une couverture et deux bouquins pour passer la nuit.
Le 13 mai 1981 à 18 heures, j'étais dans la cellule des libérables. On m'apporta un casse-croûte et de l'eau. Cette nuit-là, j'ai peu dormi. J'ai fumé comme un pompier. Dieu que la nuit fut longue ! A 7 heures du matin, le 14 mai, je passais aux greffes pour signer ma levée d'écrou. J'étais prêt. Je me dirigeai vers la porte, la grande porte, celle de la liberté. Un maton hurla : « Libérable ! ». J'étais libre, libre de faire ce que je voulais, d'aller où je voulais, comme je l'entendais. J'attendais ce moment depuis trois ans.
A la sortie, devant l'entrée Christine était là, fidèle au rendez-vous. Je ne me suis même pas retourné. Derrière moi, j'ai entendu la prison qui se refermait. De la centrale de Poissy, je ne conserve que les bons souvenirs : ceux de mecs sensationnels et d'une ambiance super. La solidarité entre nous ça existait vraiment. Adieu Poissy, et vive la liberté !
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Chapitre 4 : 1981-1989 - Rouen : Bonne-Nouvelle !
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1981-1987 - Rouen : Virées nocturnes
Après ma libération de la Centrale de Poissy, par la grande porte, en mai 1981, je m'installai à Rouen. Je m'étais mis en ménage avec mon épouse Christine et je n'avais plus alors aucun compte à rendre à la Justice.
La première chose que j'ai faite a été de m'inscrire au permis de conduire et puis d'acheter une bagnole. Ensuite, je pris quelques semaines de repos, histoire de remettre les choses en place dans ma tête. Après ces quelques années passées détention, la liberté, tout de même, ça me déboussolait un peu.
Plus de points de repère
Je plains tous ceux qui sortent après une très longue peine, qui ont passés dix, vingt ou trente piges en prison. Pour eux, plus de points de repère. Moi qui n'avais eu que six ans à purger, et des permissions entre deux, j'avais déjà du mal à m'y faire. Alors après vingt ou trente ans, j'imagine qu'on ne reconnaît plus rien. Si t'as personne dehors qui t'attend, alors automatiquement tu craques et vite fait, tu te retrouves à nouveau au placard. Vite fait...
Ce qui me désorientait aussi c'est qu'auparavant – à part mon court séjour en Charente maritime – j'avais tout le temps habité la Région parisienne. En débarquant à Rouen, je ne connaissais pas grand monde, hormis la famille de ma femme. C'était dur pour moi de ne pas pouvoir reprendre mes anciennes habitudes, celles d'avant l'incarcération...
Malgré tout, nous avons vécu, Christine et moi des jours heureux : une parfaite entente, ponctuée de petits voyages et de ballades dans le bocage normand. Christine voulait me faire connaître sa région, à moi : le Parisien banlieusard !
Le Fétich' Club
Le temps passa. Au bout de huit mois le cousin de Christine m'embaucha dans sa pizzeria. Je commençais le service à 18 heures et je finissais sur les coups de 2 heures du matin. Je m'y faisais bien. J'ai toujours aimé les ambiances de nuit. Je travaillai là de janvier 1982 au 31 décembre 1985.
C'est là aussi qu'un soir, un client du resto : Francis, me parla de monter une affaire, d'ouvrir un bar. Ouvrir un bar... l'idée m'intéressait. Pour Christine, ça la changerait un peu : elle faisait des petits remplacements, dans le secrétariat, et je voyais qu'elle en avait marre. Allez ! Je tentais l'aventure...
Finalement, avec l'aide financière de mes parents, j'ai trouvé une affaire à reprendre, un local situé à une borne de Rouen. J'y fis quelques travaux d'embellissement et j'inaugurais Le Fetich'Club. C'était un samedi, en mars 86. J'offris le champagne à tout le monde, et pas du premier prix, non : du Taittinger !
On avait convenu que ça serait Christine qui serait la gérante, pas moi. Moi, avec mes antécédents, ça paraissait difficile. Il fallait faire des déclarations : pour la licence et pour les horaires de nuit. Le fonctionnaire qui s'occupa du dossier précisa bien qu'il ne voulait pas me voir derrière le comptoir. Bon, moi ça m'allait, je n'avais pas trop l'intention de rester planté derrière le zinc. C'était Christine qui s'occupait de faire tourner le commerce.
J'ai tenu le Fetich' Club un an, jusqu'en mars 87. Au bout d'un moment, le bar, ça m'a énervé. D'entendre toujours les mêmes histoires des clients, - gens de passage ou bien habitués -, qui te racontent leur vie, ça me prenait la tête. Ils me saoulaient. J'ai mis l'affaire en vente, j'ai trouvé un repreneur et j'ai fermé boutique. Je m'en suis bien sorti quand même, avec un petit bénéfice...
La nuit, je rentrais tard...
A force, à Rouen, d'être la nuit toujours dehors, de-ci, de-là, j'avais fini par nouer des relations avec certaines personnes qui avaient eu un parcours un peu pareil au mien. Qui se ressemblent s'assemblent, dit-on. Il y avait là une équipe de Corses, et puis François le Parisien, qui sortait de vingt piges et que j'avais connu à une autre époque.
Il y en avait d'autres aussi, des plus jeunes, mais des casseurs de première malgré leur jeune âge. Parmi eux, Patrick, un Rouennais de 27 ans, avec lequel je m'étais lié d'amitié. J'en avais 35, à l'époque. Depuis, il est décédé le pauvre garçon. C'était un solitaire comme moi, mais, dans certains cas, on se donnait un coup de main. Dans la vie, faut s'entraider...
La nuit, régulièrement avant de rentrer au paddock je faisais un tour en voiture. J'étais en maraude, toujours à l'affût des bonnes affaires aux alentours. J'avais l’œil aiguisé : j'observais certaines choses, certains lieux, certains dépôts de marchandises où dormaient seuls, la nuit, des postes de télévision, des magnétoscopes, où d'autres produits de marques. Presque, il suffisait de se servir. C'était trop tentant. J'ai donc décidé de reprendre du service, et ce qui fut dit fut fait !
Nous travaillions parfois à deux, Patrick et moi. Souvent j'agissais seul. Les affaires marchaient bien, jusqu'au jour où...
Jusqu'au jour où...
Ce soir-là, - on était en juin, juin 87, je pense bien : j'avais repéré un coffre qui dormait au siège d'une compagnie d'assurance. C'était à Bonsecours, un coin un peu perdu, sur les hauteurs de Rouen. Ni une ni deux, je décidai de m'en occuper. La nuit était belle, c'était le printemps, presque l'été.
J'agis seul, tout seul, en solitaire comme j'aime, juste équipé de mon outillage artisanal. Une fois la porte forcée et le coffre-fort descellé du mur, je me mis aussitôt à l'ouvrage : à coup de burin et de masse, j'y allais de bon cœur !
Peut-être de trop bon cœur parce qu'un voisin avait dû m'entendre et prévenir les flics. J'étais en plein travail quand ils ont débarqués. Ils m'ont arrêté comme un malpropre, légèrement déglingué le visage, et m'ont embarqué - ni une ni deux - comme un vulgaire sac-à-patate avec mon attirail.
C'est ainsi que je me retrouvai au commissariat de Rouen. Il devait être environ 3 heures du matin. J'ai tout de suite été entendu par les officiers de police judiciaire et placé en garde-à-vue. Dans ma voiture, une R18 d'occasion qui était restée sur place, ils ont trouvé une arme et dans un garage, à mon domicile, deux fusils à canon sciés.
C'était une juge et elle ne se montra pas commode
C'est lors de cette perquisition, qu'ils ont ramené Christine avec eux. Ce fut-là sa première garde-à-vue et son premier séjour dans les geôles d'un commissariat. Elle fut relâchée au bout de 24 heures, heureusement. Elle n'avait rien à voir là-dedans, et ne savait rien de mes virées nocturnes. Au bout de 48 heures, je fus déféré au Palais de Justice de Rouen, et présenté devant un juge d'instruction.
C'était une juge et elle ne se montra pas commode. Elle m'inculpa pour détention d'armes et vol qualifié. Juste pour un seul vol, celui de Bonsecours. Elle n'avait rien d'autre à me mettre sur le dos. Elle pensait bien, la bonne femme, que j'avais peut-être d'autres larcins à mon actif ! - elle délivra donc une commission rogatoire -, mais, manque de chance (pour elle), elle ne put rien trouver, ni rien prouver.
Je fus placé sous mandat de dépôt et amené directement à la maison d'arrêt de Rouen. La fameuse maison d'arrêt de Rouen, : la prison Bonne-Nouvelle... C'était le soir déjà, presque la nuit. La prison de Rouen ! C'était un quartier de ma ville d'adoption que je ne connaissais pas encore, j'allais le découvrir.
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Prison Bonne-Nouvelle de Rouen : Mirador
1987 : Rouen : Dehors et puis dedans
Nous étions en juin 1987, le 18 juin 1987, je venais d'être placé en mandat de dépôt et écroué à la maison d'arrêt de Rouen. C'était la première fois que j'y mettais les pieds. J'y suis resté 25 mois. En juillet 89, il y eut bien un décret de grâces collectives mais je n'ai même pas eu l'occasion d'en bénéficier, j'ai été libéré fin juin de cette année-là. Je suis vraiment pas veinard avec ces grâces...
La fameuse maison d'arrêt de Rouen, la ''prison aux cent mille briques'', renommée aussi par la réputation de son ancien directeur, le dénommé 'Kiki'. Son nom avait fait le tour de France des prisons, disait-on. La nuit, paraît-il, il se faufilait dans une cellule, appelait le détenu depuis la cellule voisine (en tapant sur les tuyaux de chauffage, comme cela se fait usuellement entre taulards) et, lorsque celui-ci lui répondait, par les tuyaux, par la fenêtre ou, au travers du mur, il lui posait des questions naïves, comme s'il venait d'arriver la veille : « Dis-donc, y paraît que Kiki, le Directeur d'ici, c'est un enculé ? ». Et si le voisin avait le réflexe de lui dire oui, alors là...
Alors là, la porte s'ouvrait, et c'est Kiki, le Directeur qui se pointait en personne, et puis qui t'accompagnait lui-même jusqu'au mitard. Un 'enculé' ! c'est la réputation qu'il avait le Kiki. Il paraît que l'été, il visitait les prisons des autres régions quand il partait en vacances. Voilà ce qu'on disait de lui. Vrai ou pas, je ne sais pas vraiment. Si c'est vrai, alors c'est qu'il devait être vicieux, le Kiki... Moi, personnellement, je l'ai pas connu, je ne l'ai jamais rencontré. Je raconte ici seulement ce qu'on disait de lui.
Une prison comme les autres
Il est tard déjà : 21 heures ou 22 heures. Les flics viennent de me débarquer du Palais du justice. Je suis seul. Là, passage obligatoire par le greffe, empreintes digitales, dépôt de tout ce que j'avais sur moi : argent, papiers, montre... Ensuite un long couloir : cinquante mètres, deux grilles à franchir. Le rond-point : le point central qui relie les différents quartiers. Sur la droite, le vestiaire ; à l'extrême-droite le CJD – le centre des jeunes détenus -, et, au rez-de-chaussée les quatre ou cinq cellules réservées aux arrivants. En face, et puis à gauche d'autres quartiers encore. A l'extrême-gauche enfin : la MAF, la maison d'arrêt pour femmes.
Il fait nuit. Les couloirs sont peu éclairés. Le service est réduit : juste quelques matons pour m'accueillir. Rien de particulier ici : une prison comme les autres. Je suis fatigué. Je n'ai qu'une hâte, c'est de me reposer. Direction le vestiaire, sur la droite. Là, fouille au corps, on me donne un paquetage : couvertures, draps, pyjama, papier cul et nécessaire de toilette. Enfin, direction le quartier des arrivants.
On me pousse dans une cellule. Il y a là déjà deux types, qui ont débarqué eux-aussi aujourd'hui ou la veille. Les gardiens m'apportent un casse-croûte. Je suis arrivé après la distribution des repas. En garde a vue je n'ai avalé que des sandwiches et de l'eau. Il y a là deux lits superposés, chacun avec deux litières.
Je fume une clope.Au commissariat, Christine m'en avait amenées. Elle m'avait aussi apporté des fringues de rechange, du papier-à-lettre, des enveloppes et des timbres. Avant de nous quitter, j'avais pu lui dire quelques mots.
Selon que vous serez puissant ou misérable...
Un des deux types est là pour une peine de deux mois, je ne me rappelle plus pourquoi, et l'autre s'est fait coincer en train de piquer un auto-radio dans une bagnole : un vol à la roulotte, comme on dit. Putain ! Mettre un pauvre mec en taule pour ça ! C'est ça qu'est grave ! Enfin la ''Justice'' est ainsi faite : « Selon que vous serez puissant ou misérable... ». Mais ça, c'est une autre fable.
Je m'endors comme un bébé, il est minuit. Je suis crevé.
Le lendemain, je suis réveillé à 7 heures par la distribution du café que je prends tranquillement. Après, comme c'est le jour de la douche, j'ai droit à la douche. J'en ai bien besoin après les trois jours passés dans les geôles de la police et du Palais de justice.
Vers 9 heures 30 je suis reçu par un brigadier de service qui m'affecte à la division deux. A Rouen, tu es placé en division 1, ou en division 2, ou en division 3. C'est ainsi qu'on nomme les différents quartiers. (En plus, il y a le CJD et la Maf). Enfin, ça c'était en 1987. Je ne sais pas à présent.
Allez ! Va pour la division deux !
Avant que de rejoindre le lendemain mes nouveaux quartiers j'ai encore quelques formalités à accomplir. D'abord je rencontre une assistante sociale. Il fallait que Christine puisse être avertie. Je compte pour cela sur l'assistante sociale. En prison, tu peux compter sur le service social : Christine ne fut jamais avertie. Heureusement, je savais qu'elle saurait faire les démarches par elle-même et obtenir un permis de visite. Merci au service social de la prison de Rouen !
(Christine demanda même à voir la juge d'instruction afin de hâter la permission de visite. Ce qu'elle obtint rapidement, au bout de trois semaines – puisque ici il lui fallait ensuite prendre rendez-vous.)
En début d'après-midi, je passe par l'infirmerie et je rencontre le médecin de garde, pour l'entretien de routine. Je n'ai pas droit à la promenade. A l'époque, à Rouen, les arrivants n'avaient pas droit à la promenade.
Le repas du soir nous est servi vers les 17 heures - 17 heures 15. Je passe alors ma deuxième nuit au quartier des arrivants avec mes deux co-cellulaires, avant que de rejoindre, le lendemain matin, la division deux de la MA de Rouen. Va pour la division deux !
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Jean Gaumy : Prison de Rouen - Retour en cellule - 1979
1987-1989 - Rouen : En division 2
A Rouen, à la prison 'Bonne Nouvelle', c'est dans la Division 2 que je venais d'être affecté, dans une cellule située au rez-de-chaussée. Une cellule où logeait déjà un autre détenu : Jean-Jacques. Jean-Jacques, lui, était de St Etienne du Rouvray, un petit patelin à dix kilomètres de là. C'était un jeune sympa, tombé pour vols. Il avait pris pour deux ans ferme...
Notre cellule n'était pas de toute première fraîcheur. Sur les fenêtres se baladaient des souris et dans les coursives, c'étaient les rats. Depuis, la prison de Rouen s'est un peu améliorée, m'a-t-on dit, question propreté et entretien : des coups de peinture ont été donnés dans certaines divisions et des cellules ont été réhabilitées. Mais les rats et les souris sont toujours là, et la prison est surchargée.
On s'habitue à tout, et là aussi, j'ai pris mes habitudes. Il faut dire que je n'étais pas en territoire vraiment inconnu. Dès la première promenade je rencontrai plusieurs potes à moi. Des connaissances que je m'étais faites dans la ville, lors de mes virées nocturnes où quand je tenais le Fétich' Club, mon bar de nuit. Mon intégration s'est bien passée. Faut dire qu'à présent la prison je connaissais : je devenais un habitué.
Parloirs libres : libres de quoi ?
Je me suis inscrit au sport, pour faire du foot. En deuxième division à Rouen, cela s'imposait ! Au bout de 15 jours, trois semaines, j'eus mon premier parloir avec Christine. Les parloirs se situaient dans les sous-sols. Les anciens hygiaphones avaient disparus. Dorénavant, ils appelaient cela 'des parloirs libres' : libres de quoi je vous demande ? Dans les box, une tablette nous séparait. C'est vrai qu'on pouvait se toucher et même s'embrasser. Certes, de temps en temps les matons passaient contrôler nos gestes, mais, en général, ils ne nous emmerdaient pas !
Christine et moi nous parlâmes de mon arrestation, de sa garde-à-vue aussi, puisqu'elle était restée 24 heures retenue au commissariat. Elle me dit quelques mots de la juge d'instruction qu'elle avait rencontrée, et je l'informai de l'avocate que j'avais choisie : il fallait qu'elle aille la voir et lui parler. Je la sentais forte. Je n'avais aucune inquiétude à avoir. Vu son état d'esprit et sa volonté, d'inquiétude je n'en ai jamais eue.
Nous avions le droit de nous voir trois fois par semaine : trois parloirs de 30 minutes chacun. Christine m'apportait du linge, tout propre et parfumé. Elle me faisait parvenir des mandats aussi et m'écrivait chaque jour une petite lettre. (Bon, forcément, le courrier transitait par le bureau de la juge d'instruction. J'étais prévenu et la bonne femme n'était pas pressée de me le réexpédier.). Mais tout allait bien quand même.
Christine ne manqua pas, ici non plus, un seul parloir, malgré la difficulté d'obtenir souvent un rendez-vous par téléphone. A croire que la Pénitentiaire le fait exprès pour faire chier les familles !
Jean Gaumy : Prison de Rouen - Promenade - 1979
Attendre bien tranquillement le jour de ma sortie
Je fus amené par deux fois au Palais de justice. J'avais choisi une jeune avocate au Barreau de Rouen qui débutait dans le métier, mais pour qui j'ai beaucoup d'estime : elle en voulait et a toujours été à mes côtés. Mon affaire était claire : j'avais été pris la main dans le coffre (de Bonsecours) et les armes trouvées, dans ma voiture et dans le garage, étaient bien les miennes. L'instruction était close. La commission rogatoire n'avait rien donnée.
Je fus renvoyé devant le tribunal correctionnel de Rouen. Mon procès eu lieu en février 88. Le Procureur réclama trois ans. Je fus condamné à 30 mois ferme. Ça me faisait au moins, déjà, six mois de gagné ! Je ne fis pas appel. J'étais un récidiviste. Avec mes antécédents judiciaires, pour vols et détention d'armes, je me dis que faire appel serait jouer avec le feu - avec le risque d'en prendre pour six mois de plus -, et je n'aime pas trop jouer avec le feu. Je me suis donc contenté de ces trente mois.
De retour du tribunal je réintégrai ma cellule. On ne me changea pas de quartier, je restai en division 2. A Bonne-Nouvelle, condamnés et prévenus étaient tous mélangés. Je retrouvai mon camarade de cellule. Il ne me restait plus qu'à attendre bien tranquillement le jour de ma sortie.
The Koestler Trust : Final Figures Triptych
On s'arrangeait à ne manquer de rien
Tout allait bien en somme : entre ma cellule, le sport, les parties de cartes en promenade, mon courrier et aussi mes parloirs – deux fois par semaine avec Christine - : je m'occupais au mieux... (Une fois que tu es condamné définitif, tu n'as plus droit qu'à deux parloirs par semaine, c'était comme ça à l'époque.)
Avec Jean-Jacques, mon co-cellulaire, on finissait par bien se connaître. On s'entendait très bien. Nous avons partagé la même cellule pendant plus de douze mois.
Tous les deux, on était bien assistés, et donc on pouvait cantiner l'un et l'autre. Et si, à un moment, l'un de nous ne recevait rien, alors on partageait. On s'arrangeait à ne manquer de rien.
On parlait de nos amis communs. Des amis de dedans mais aussi de dehors. Nous avions des connaissances communes. Rouen est un petit milieu. J'ai revu Jean-Jacques plus tard. Il est retombé par la suite, à plusieurs reprises : ainsi va le monde !
De toute façon à Bonne-Nouvelle tu ne peux pas être seul en cellule. Et encore, on ne se plaignait pas : on n'était que deux, Jean-Jacques et moi, alors que d'autres s'entassaient à trois voire à quatre dans neuf mètres carrés comme c'est encore le cas aujourd'hui.
Nous disposions d'une chauffe, d'une chauffe faite maison pour réchauffer nos plats : une canette de bière coupée en deux tenues par quatre tiges de fer, dans laquelle on mettait à tremper des bouts de serpillière dans le l'huile. Une allumette et hop ! Tu as ta chauffe ! Cet équipement améliorait l'ordinaire de la gamelle tiède qu'on nous servait habituellement. Bien sûr, il fallait pas se faire piquer par les matons !
La nuit, pendant que nous dormions, les rats faisaient leur ronde dans les coursives, et les souris venaient déposer leur crotte dans nos baskets que nous mettions sur le rebord de la fenêtre...
Bon, nous avions la télévision !
Bien entendu, ce n'était pas comme à Poissy. Poissy c'était différent : Poissy c'est une maison centrale. A Rouen, les douches étaient pourries. De toute façon, dans cette prison, tout était pourrie. La prison s'appelle 'Bonne-Nouvelle'. Nouvelle ? Tu parles ! Une vieille prison ou tout était à refaire, du sol au plafond. La cellule aussi était pourrie, et les WC juste séparés par un petit muret. Il fallait bien s'y faire. Pour le reste, tout était affaire de démerde. Et nous nous y faisions au mieux...
La promenade c'était deux fois par jour, une heure seulement. Chaque fois qu'on sortait, les matons nous fouillaient, enfin : nous palper les vêtements. Vu le nombre qu'on était – une bonne soixantaine -, on passait plus de temps à être fouillé qu'à prendre l'air. Mais on veillait quand même à ce que les matons ne grignotent pas nos heures de promenade. Ça non ! Le jeu de pétanque était sacré. Nous sortions dans la cour en même temps que ceux du deuxième étage. On jouait les gâteaux du dimanche et les parties allaient bon train.
Bon, en plus nous avions la télévision ! La télévision c'est bien surtout quand il pleut. Attention : la télévision tu pouvais l'avoir si tu avais l'argent pour te la payer. Sinon t'avais droit à rien ! En prison tout se cantine, même le journal de 20 heures sur TF1 !
Pour le reste, les rapports avec les surveillants étaient normaux : si tu ne les fais pas chier, ils ne te font pas chier non plus. Mais c'est comme partout il y a des cons et des moins cons. Il y en a qui sont toujours prêts à te coller un rapport. Il paraît même que c'est pire à présent.
A quoi bon la liberté conditionnelle ?
Quant aux autres détenus, tout se passait bien avec eux. Beaucoup ne m'étaient pas inconnus. Je les avais déjà côtoyés dans les nuits rouennaises. C'est juste le cadre qui changeait.
Un beau jour – c'était en novembre 88 - l'assistante sociale me fit appeler. C'était une toute jeune, pas la même qui avait oublié de prévenir Christine quand j'avais été écroué, non : une autre, une toute jeune. Bon : jeune ou pas, je n'ai jamais eu grande confiance en ces gens-là. La plupart font le jeu de la pénitentiaire et jamais rien n'aboutit.
Elle voulait savoir si j'étais prêt à faire une demande de libération conditionnelle. Elle me dit qu'il me faudrait justifier d'un travail, d'un domicile, qu'ensuite on ferait une enquête et que suite à l'enquête, le JAP – le Juge d'application des peines – pourrait décider de me libérer... ou pas.
De sa libération conditionnelle, je n'en ai pas voulue. J'ai tenté de lui expliquer que je ne désirais pas rester sous le contrôle du JAP une année entière, une fois dehors. Elle m'a dit que c'était comme ça que ça se passait. Je lui ai répondu que je préférais alors accomplir ma peine jusqu'au bout et que je ne sortirais qu'entièrement libéré. L'affaire était réglée entre elle et moi. Nous étions quitte. Sa carotte, elle pouvait se la mettre où je pense. J'avais fait mes calculs : avec les remises de peines - si je touchais tout -, j'étais libérable en mai ou juin 89. Alors à quoi bon la liberté conditionnelle ?
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Maison d'arrêt de Rouen - Bonne-Nouvelle
Je quitte la maison d'arrêt de Rouen fin juin 1989. Christine m'attendait cette fois-ci encore devant la porte de la prison. Voilà, ça n'avait duré que trente mois. Presque une formalité. J'étais en bonne santé, jusqu'à la prochaine rechute...
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Chapitre 5 : Ecumes de Bretagne
1991 – Saint Malo : Jusqu'à la prochaine rechute
La prochaine rechute arriva en 91. Là, j'en reprends pour trois ans. Je suis d'abord incarcéré à Saint Malo et je termine ma peine à Rennes. Je n'en sortirai qu'en 1993
Après ma sortie de la prison Bonne-Nouvelle de Rouen j'ai coulé quelques mois, quelques semaines et quelques jours tranquilles. Christine et moi nous voyageâmes. J'allais souvent voir un ami d'enfance qui s'était installé dans le Sud de la France du côté de salon-de-Provence. Changer d'air me ferait du bien. Le grand soleil, après la prison, le pastis et la pétanque me procuraientpresque une vie de pacha... ou de retraité. Et cela m'allait bien.
Pendant deux années je me suis tenu à carreau
Mais la vie de farniente ne pouvait pas durer éternellement. Finalement, j'ai dû reprendre du service. Un soir, en rentrant du Midi, je rencontrais Bernard. C'était un ancien client de mon bar, le Fétich Club. Je le voyais depuis parfois lors de mes sorties nocturnes. Il avait été condamné pour quelques escroqueries et vols. Il n'y avait pas grand mal à ça. Nous avions sympathisé.
Il voyageait souvent, de-ci, de-là, un peu partout en France et il gagnait sa vie ainsi. Il me proposa de travailler avec lui : une association en quelque sorte. Et ce ne fut pas de refus : j'avais grand besoin alors de gagner plus convenablement ma vie, et l'affaire me paraissait sûre. Bernard, c'était du sérieux : un gars solide... enfin, je le croyais.
La semaine suivante, donc, nous levions l'ancre et nous prenions la route. Nous partions traverser la France, tels des écumeurs de mer, de villes en villes, à l'abordage des belles maisons bourgeoises. Enfin, je trouvais de quoi vivre à nouveau : de quoi manger, de quoi payer mes frais et aussi d'arroser mes sorties nocturnes, quand nous rentrions à Rouen, notre port d'attache, après nos longues chevauchées. En ce temps-là, j'aimais beaucoup sortir la nuit.
Ce n'était pas le casse du siècle
Nous écumions ainsi la Normandie : Caen, Plomb, Avranches et Pontorson... et puis nous franchissions les portes de Bretagne : Dole, Saint-Malo, Dinard, Cancale, Dinan,... d'autres villes et patelins du coin nous ouvraient leurs portes. Et s'il fallait nous les forcions un peu. A la fin, nous finissions par assez bien connaître la région.
Il faut dire que le travail restait encore, à l'époque, plus facile qu'aujourd'hui. Il n'y avait pas encore tous ces systèmes d'alarmes qu'on trouve maintenant. Les villas s'offraient à nous et notre petite entreprise fonctionna à merveille, tout ça une bonne dizaine de mois.
Saint-Malo : Les remparts
Nous étions en avril 1991...
Ce fut à Saint Malo, à la sortie d'une villa, que nous fûmes pris la main dans le sac, Bernard et moi : en flagrant délit, alors que nous étions en plein travail. La police qui nous interpella perquisitionna aussi la bagnole, celle de Bernard. Ils y trouvèrent, malencontreusement oubliés, quelques objets provenant d'autres butins. Ce fut-là le petit grain de sel qui précipita notre chute et nous conduisit tout droit jusqu'à la case prison.
On nous amena, menottes aux mains bien entendu, jusqu'au commissariat de Saint Malo. Saint-Malo... Une bien jolie petite ville : ses remparts, ses vieilles rues... Je vous en conseille la visite.
Bon, mais ce n'était pas le casse du siècle, après tout... quoique tout de même : au lieu de nous retrouver avec une seule affaire sur le dos, on était bon pour être suspecté d'une série de cambriolages.
Lors de la garde-à-vue, dans les murs du commissariat, nous fûmes mis chacun dans un coin et pendant que moi je contestais tout, Bernard passa à table : il reconnut pas moins de six cambriolages ! Et, en plus, il me mit en cause ouvertement, ce con !
Devant les flics, j'ai tout contesté
Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, parmi tous ces cambriolages, je dus en reconnaître au moins un : juste le dernier, celui de St Malo. Faut dire que nous avions été pris en flagrant délit. C'était difficile de tout nier. C'est vrai aussi qu'ils avaient trouvé un Herstal 9 millimètres dans mes affaires. Et ça c'était pas un jouet. Mais à part ça, je n'avais rien à me reprocher !
Je demandais donc immédiatement, alors que nous étions encore les locaux du commissariat, pendant le temps de notre garde-à-vue, à ce que nous soyons confrontés. Bernard et moi, il fallait qu'on explique...
Et là, devant moi, le voilà pas qu'il persiste et signe à me mettre en cause. Pour de bon, sur le moment, il m'a pris la haine et, en même temps, j'éprouvais comme une sorte de pitié pour lui. Il pleurait à grosses larmes, devant moi, comme un môme, et ça me surprenait : un pauvre malheureux, on aurait cru que j'allais le manger...
Et puis je me suis dit aussi que c'était de ma faute : c'est bien moi tout seul qui avais voulu travailler avec lui. Je n'avais qu'a m'en prendre qu'à moi-même : moi qui pensais que c'était un gars sérieux !
Comme de bien entendu, devant les flics, j'ai tout contesté.
Nous avons passé la nuit dans le commissariat de St Malo. On nous a fait dormir séparément. C'est dommage, j'aurais eu deux mots à lui dire, à Bernard. Les flics m'ont servi un casse-croûte et un verre d'eau et rien de plus pour tout repas. Au commissariat de Saint-Malo, ils sont chiches avec la bouffe. Pour Bernard, je ne sais pas ce qui lui ont servi, à cette balance : de toute façon, il était déjà passé à table !
Le palais de justice de Rouen
Un petit palais de justice
Après notre nuit de garde-à-vue on nous conduisit ensemble jusqu'au Palais de justice de Saint-Malo. C'était un petit palais de justice, à une quinzaine de minutes du commissariat. Vraiment petit et pas très grand : rien à voir à voir avec le majestueux Palais de justice Renaissance de Rouen.
Un jeune juge d'instruction pris alors l'affaire en main. Il nous entendit séparément Bernard et moi. Moi, je restais sur mes déclarations... et Bernard sur les siennes. Je n'avais pas d'avocat. A l’époque, les avocats ne pouvait intervenir pendant les gardes-à-vue. Il fallait que j'en choisisse un vite fait dans le coin. Je me dis que faire venir ici ma petite avocate de Rouen, en terre inconnue de Bretagne, n'aurait pas était bon. Alors, je désignai le bâtonnier de Saint-Malo. Un avocat qui avait sûrement du métier.
Bernard et moi nous fûmes placés sous mandat de dépôt. Avant que de quitter son bureau, je demandais au juge s'il acceptait que ma femme puisse venir me rendre visite en prison. Il ne s'y opposa pas et cela m'arrangeait : j'allais pouvoir au moins récupérer du linge propre et voir ma femme.
Si j'étais autorisé à voir Christine, nous avions par contre interdiction, Bernard et moi, de nous fréquenter. Nous allions donc être détenus séparément, chacun de notre côté, entre les murs de la petite maison d'arrêt de Saint-Malo. Et c'était bien dommage.
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1991-1992 - Saint-Malo : « Bernard, t'es un gros enculé ! »
Alors que nous écumions quelques villas de Bretagne, nous venions d'être arrêtés puis écroués, Bernard et moi, à la Maison d'arrêt de Saint-Malo.
La prison était à un vol d'oiseau du palais de justice. Saint-Malo est une petite ville, bien jolie, tout de même. Bernard et moi avions été transportés séparément. Bernard avait fait le chemin avant moi : le court chemin qui mène du palais de justice à la prison. Nous allions être tenus à distance, bien que la taule de Saint-Malo fût bien petite : une taule à l'échelle de la ville, et aussi ancienne que ses remparts peut-être...
Une ambiance très 'familiale'
J'étais donc seul quand j'arrivai. Là, passage aux greffes obligatoire : empreintes, dépôts des affaires personnelles et ensuite direction le petit vestiaire pour la fouille au corps.
(Saint-Malo : Prison de l'Espérance)
J'avais le sentiment de pénétrer dans une pension de famille. Sauf, bien entendu, que les matons et moi on n'est pas de la même famille. C'est ça : une ambiance très 'familiale'... Disons que c'est le genre de prison où personne ne cherche à te faire chier, ce qui est déjà pas mal...
Ils me donnèrent mon paquetage d'accueil et ensuite me logèrent dans une cellule. Pour moi, ce fut dans l'aile centrale, tandis que Bernard fut placé dans une autre partie du bâtiment, de manière à ce qu'on ne communique pas. De toute façon, je n'avais pas envie de lui parler à celui-là ! Depuis qu'il m'avait balancé, c'était clair : il valait mieux qu'on nous tienne éloignés l'un de l'autre.
Dans la cellule quand j'entrai, il y avait déjà deux autres types. Nous fîmes connaissance. Un gars était de Nantes et l'autre venait de Suisse : un peintre. Attention, un 'artiste-peintre', pas un vulgaire peintre en bâtiment ! Il était là pour une histoire de trafic de bagnoles, je crois : un gentil garçon, bien élevé.
Le gars de Nantes s'appelé José et le Suisse - enfin un Français résident en Suisse - s'appelait Marc, dit Marco. José, lui était écroué pour une tentative de meurtre. Bon, mais l'un dans l'autre c'était aussi un brave mec.
Un carton pour faire office de séparation
Entre nous trois le courant est bien passé. Ça vaut mieux quand on est trois à loger dans la même cellule. Une cellule des plus rudimentaires : dans neuf mètres-carrés réglementaires, étaient disposés un lit superposé d'un côté et un lit normal de l'autre. Des lits en ferraille, bien arrimés au sol, pour les fortes tempêtes.
Je pris la dernière couche libre : celle du haut, sous le plafond : côté ciel. Je dormais en hauteur. Sur le fond, une petite lucarne s'ouvrait au-dessus. C'était notre seule fenêtre. Une fenêtre avec des barreaux et vue sur les promenades. Les toilettes étaient posées près de l'entrée, à la vue de tous. On avait mis un carton pour faire office de séparation.
La douche se prenait deux fois par semaine. Elles étaient situées à l'extérieur, sur le même palier, en rez-de-chaussée : de vieilles douches pleines de moisissures où nous y entrions par groupe de six. Le reste du temps, un lavabo d'eau froide nous servait, été comme hiver, pour nos ablutions.
On nous distribuait les repas vers 11 heures 45 et le soir vers 17 heures 15. Suivant l'ordre de distribution, la bouffe était tiède, et parfois chaude quand on avait la chance d'être servi parmi les premiers. Sinon, comme d'habitude, nous avions recours aux bonnes vieilles méthodes : la 'chauffe'. Une chauffe fabriquée à partir d'un bout de serpillière ou d'un drap déchiré qui nous servait de mèche.
Fabrication d'une chauffe : mode d'emploi
Nous étions en Bretagne
Pour améliorer l'ordinaire, il n'y avait pas grand-chose à se mettre sous la dent : des boîtes de conserves et du fromage qu'on pouvait cantiner. Nous mangions autour d'une petite table. Collés les uns les autres, assis chacun sur un tabouret, nous étions un peu à l'étroit...
La majorité des gars, une grande partie en tout cas, qui étaient détenus là, c'était pour des délits liés à l'alcool (conduite en état d'ivresse ou autres). C'est normal, nous étions en Bretagne.
Même si l'ambiance n'était pas mauvaise, un petit verre nous aurait bien réchauffé le cœur à tous. En effet, il n'y avait rien à faire dans cette prison toute tristounette.
Il y avait bien un petit terrain de sport tout minuscule, où on pouvait jouer au volley une fois par semaine, lorsqu'un maton voulait bien être là en faction pour surveiller, sinon, le reste du temps, on le passait en promenade. Nous avions promenade le matin et l’après midi.
Les cours étaient 'à camembert', étroites et toute grillagées par-dessus. On n'y tenait pas à plus de dix bonhommes, tellement les parts étaient petites ! Ni table ni préau : s'il pleuvait (ce qui arrive parfois en Bretagne), on restait debout sous la pluie. Hormis de faire des pompes et de jouer aux cartes assis par terre, il n'y avait guère d'autres activités pour nous distraire.
The Koestler Trust : Diptysh
Alors souvent on restait en cellule
Quand il pleuvait ou qu'il faisait maussade, j'occupais mon temps en cellule, à bricoler : le Suisse peignait des tableaux, alors il m'apprit à peindre. Il construisait aussi de petits meubles avec des allumettes, alors, je m'y suis mis aussi. Ça me plaisait bien. J'apprenais tant bien que mal. Mon premier tableau représentait un soleil avec deux mains qui essayaient de l'attraper. Les copains ont éclaté de rire en voyant le chef-d’œuvre, j'en ris encore aujourd'hui.
Lorsque j'ai quitté la prison j'ai ramené cette toile avec moi. Le seul qui en a voulu, de mon tableau, c'est un gamin : le fils d'un pote de Rouen. Alors, je lui en ai fait cadeau au môme, de mon tableau.Tout le monde ne s'improvise pas Picasso : disons que la peinture est un don : c'est pas évident
L'avantage c'est que nous disposions de tout le matériel : peintures, toiles, pinceaux et même chevalets. On pouvait les cantiner. Saint-Malo était une petite taule et le maton au service des cantines n'avait pas grand-chose à faire. Ce genre de commande était possible.
Bien qu'on n'avait droit qu'à un petit couteau à bout rond pour notre usage personnel, nous pouvions cantiner des cutters, pour le bricolage.
Les couteaux à bout pointu sont interdits en prison, de peur sûrement qu'il viendrait à l'idée de prendre un surveillant en otage, pourtant on nous autorisait les cutters ! Comme quoi, ça prouve bien que dans la Pénitentiaire, y a quelque chose qui ne tourne pas rond !
Avec Marco et José, en cellule, nous nous amusions à fabriquer de petits meubles miniatures en contre-plaqué et en bouts d'allumettes : des armoires, des bahuts, des tables,...
On se refaisait ainsi tout un mobilier à l'échelle miniature, le mobilier dont nous ne disposions pas. Ça nous passait le temps et ça nous changeait de nos sempiternelles parties de cartes. En prison, faut avoir de la patience et Saint-Malo était une prison bien tristounette, dans laquelle nous manquions d'activités.
Van Gogh : cour de prison
Un climat particulièrement froid
Au bout d'un mois, Christine est venue me voir depuis Rouen. Christine : toujours fidèle. C'est son père qui l'avait amenée en voiture : près de six cents bornes aller-retour. Elle vint ensuite au parloir ainsi tous les quinze jours et jamais un reproche, et cela pendant vingt-sept mois, jusqu'à ma sortie de prison, à Rennes.
Pendant ce temps, mon affaire se poursuivait. Bernard et moi nous eûmes plusieurs rencontres avec le juge d'instruction, dont une confrontation qui se déroula dans un climat particulièrement froid et tendu. Bernard ne voulait rien entendre et continuait d'affirmer que j'avais participé à l'ensemble des cambriolages.
De mon côté, je n'en reconnaissais qu'un seul mais, par contre, je ne niais pas que l'arme qu'ils avaient retrouvée était bien la mienne. Pour ça, j'ai toujours été honnête : je l'ai répété du début à la fin.
Ah, Bernard ! J'aurais voulu le frapper. Mon avocat est intervenu à deux ou trois reprises durant l'entretien et le juge me disait de me calmer.
Bernard, lui insistait : inventant une histoire cousue de toute pièce, disant que je le menaçais d'entre les murs-mêmes de la maison d'arrêt s'il ne revenait pas sur sa déposition. Et il en rajoutait, le con ! Et il en inventait contre moi, devant le juge : il se foutait carrément de moi. Il se sentait en confiance : en présence du juge il risquait rien le gaillard ! En tête-à-tête, là, je l'aurais frappé.
Je fus condamné et Bernard aussi
Au bout de sept mois l'instruction fut bouclée et nous fûmes renvoyés tous les deux devant le tribunal correctionnel de Saint-Malo. Nous étions en janvier 92.
Mon avocat, le bâtonnier du coin, qui connaissait bien toutes les ficelles du palais, avait tâté le terrain. Il ne savait pas trop quoi plaider. Il affirma que j'étais arrivé la veille du cambriolage, par train, que je ne connaissais pas Saint-Malo (une jolie petite ville, pourtant), que j'étais venu pour retrouver Bernard et que donc, je ne pouvais pas avoir participé à tous ces cambriolages, comme le prétendait mon complice.
Bernard, de son côté, devant le Tribunal n'en démordit pas. Il répéta que j'avais toujours été avec lui, qu'on avait fait plusieurs casses ensemble, que j'étais venu de Rouen avec lui en voiture... Bon, au total, le verdict ne fut pas une grande surprise : je fus condamné et Bernard aussi. Moi à 36 mois et Bernard à 30...
En quittant l'audience j'eus à peine le temps de lui exprimer mes sentiments : « Bernard, t'es un gros enculé ! »
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Prison Jacque Cartier de Rennes
1992-1993 - A Rennes, au moins, je pouvais faire du sport et respirer !
En audience correctionnelle, au Tribunal de Saint-Malo, je venais d'être condamné à 36 mois de détention. Bernard, qui m'avait balancé s'en était tiré avec 30 mois seulement...
Là, pour de bon, je me suis posé la question de faire appel ou non. Le lendemain du verdict, mon avocat est passé à la maison d'arrêt. Il m'a bien expliqué qu'avec mes antécédents, et surtout l'arme qu'on avait trouvée dans mes affaires, cela n'allait pas arranger les choses. C'est vrai qu'à chaque fois que j'avais été pris, j’étais en possession d'arme : à Saintes, à Rouen, et là, à Saint-Malo : ça faisait pas mal.
Donc après avoir mûrement réfléchi, je décidai de ne pas faire appel. J'avais déjà effectué neuf mois de préventive et il y aurait toujours des grâces à toucher. Mon seul vœu était de ne pas moisir plus longtemps dans cette taule. L'ambiance malouine était tristounette et on ne pouvait même pas y faire du sport !
Mes vœux furent ainsi exhaussés
A Saint-Malo, en principe, au-dessus d'un an détention, ils ne te gardaient pas dès que tu étais condamné définitif. C'est ce qui s'est passé : mes vœux furent ainsi exhaussés puisque dès le délai d'appel terminé, l'administration s'occupa de mon transfert sur la maison d'arrêt de Rennes. Nous étions, je crois, si mes souvenirs sont bons en mars 92.
Le transport s'effectua en fourgon. Entre Saint-Malo et Rennes, il y a environ 70 kilomètres, soit près d'une heure et quart de route. J'étais seul, entravé aux pieds et menottés.
J'arrivais à Rennes, une ville que je ne connaissais pas. Enfin, que je n'avais pas encore eu le temps de visiter. Je savais seulement qu'on y jouait au foot. Il devait être trois heures et demie de l'après-midi.
Rituellement, je passais aux greffes, à la fouille, au vestiaire. Au premier contact, je retrouvais un peu l'ambiance de la prison de Rouen : une vieille taule, assez grande tout de même : ça avait l'air de circuler pas mal ici. Ça me changerait de Saint-Malo.
A part les matons et les auxis, je pus discuter avec quelques détenus que je croisais dans les couloirs, le temps de me rendre en cellule.
« Bonjour, ça va ? Ça va... Tu viens d'où ?... » .
Avant tout, je me renseignais pour savoir comment ça se passait dans cette taule. Même si elles se ressemblent toutes un peu , on aime bien savoir où on met les pieds.
En attendant, pour la nuit, je fus placé seul, dans une cellule située dans l’allée centrale. J'avais demandé à avoir la télé. J'ai donc passé la nuit devant le petit écran.
Le bricard, je le connaissais
Le lendemain, j'ai eu mon entretien avec le Brigadier Chef. Le hasard faisait bien les choses : le bricard, je le connaissais ou plutôt je l'avais connu à Poissy quelques années plus tôt quand il n'était que maton débutant. Lui ne m'avait pas reconnu : ça faisait plus de dix ans. Dans ma tête je cherchais où j'avais bien pu voir ce visage... « Vous étiez pas à Poissy, je parles : fin des années 70 début 80 ? » Effectivement.
Alors, nous avons tout simplement évoqué le vieux temps : Poissy et Orsini – Tonton Orsini – qui depuis était parti pour Pontoise. Lui me raconta qu'il avait atterri ici à Rennes, après avoir reçu ses galons de bricard-chef. C'était un Breton d'origine, alors Rennes, ça lui convenait bien. « Bon, Rennes, me confia-t-il,c'est pas une centrale, comme Poissy : c'est un maison d'arrêt, et ça n'a rien à voir... »
Pendant l'entretien, il me demanda si je voulais travailler et me proposa un poste aux cuisines. Pour moi c'était super – je devinais que j'allais améliorer mon ordinaire. J'ai commencé à travailler deux jours après, avant même de passer la visite médicale obligatoire. Voilà un entretien d’accueil qui s'était bien passé, comme quoi : avoir des connaissances, même en prison : ça aide...
Je dormais une nuit encore en cellule-arrivant. Le lendemain, on trouva à me loger dans cette même allée, au rez-de-chaussée. Je n'eus que quelques mètres à faire. J'avais ramené toutes mes affaires avec moi depuis Saint-Malo. Les tableaux, je les avais déjà fait sortir, par le parloir, quand Christine était venue me rendre visite. Les pinceaux et les tubes de peinture, je les avais offerts à mon ami Suisse, Marco, le jour de mon départ. Je savais qu'il en ferait bon usage.
En prison tous les murs ne sont pas en pierres
La cellule dans laquelle j'entrai était déjà occupée. Un gars tombé pour vol lui aussi. Il travaillait dans les cuisines de la prison. Il ne lui restait que huit mois à faire. Il s'appelait Alain, il était de Rennes. Un bien gentil garçon.
Il y avait une grande fenêtre donnant sur la promenade et vue sur le mirador. Une cellule tout ce qu'il y a de plus normal : neuf mètres carrés, une table, deux lits, deux chaises et des chiottes que nous séparions par un muret fait en carton. En prison tous les murs ne sont pas en pierres. Nous avions aussi la télé pour nous évader après le service.
Christine changea elle aussi sa destination. Elle vint me voir au parloir de Rennes au bout de trois semaines, le temps de faire la demande. Pour la distance, ça lui faisait à peu près pareil que pour Saint-Malo, une vingtaine de kilomètres de plus : 640 aller-retour depuis Rouen. C'est son père qui toujours l'accompagnait. Comme partout les parloirs étaient libres, c'est-à-dire surveillés.
Je fus classé aux cuisines
J'avais le choix de travailler ou pas. A Saint-Malo j'étais resté la plupart du temps en cellule et lors de mon séjour à la maison d'arrêt de Rouen je n'avais pas eu non plus beaucoup d'activités. J'ai accepté les cuisines. Ça pouvait m'occuper et je savais que me démerderais à améliorer l'ordinaire de la gamelle.
Pour bosser en cuisine il fallait que je passe une visite médicale. C'était bon, j'étais apte. De toute façon, j'avais déjà commencé le service. Je devenais balayeur.
Nous étions deux balayeurs en cuisine : deux balayeurs pour d'immenses cuisines. Pourtant le boulot n'était pas harassant du tout. En gros, je bossais trois heures par jour : une heure le matin, une heure après le repas de midi et une heure après le repas du soir.
Entre-temps, il y avait la pause casse-croûte et j'avais aussi la possibilité de circuler presque comme je voulais dans la taule : je trouvais toujours un moment pour m'en aller boire le café dans une cellule ou dans une autre, ou bien de jouer aux cartes.
Ceux qui bossaient en cuisine à préparer les gamelles n'avaient pas tant de liberté. Je revenais juste sous les coups de 11 heures pour sortir les chariots de bouffe que des auxis poussaient ensuite jusqu'aux étages.
En cuisine, nous en profitions tous : on pouvait se servir un peu sur la bouffe bien qu'ils nous surveillaient... Ils : le maton responsable des cuisines et les civils qui officiaient en cuisine. Mais, va ! on se démerdait tout de même, on mourait pas de faim !
Cour de la prison Jacques Cartier - Rennes - Extrait du film : le déménagement de C. Rechard
J'en profitais pour aller au sport quand je voulais
Mon boulot n'était pas trop compliqué : sortir les chariots et donner un coup de balai. En plus, ça me laissait tout le temps d'aller au sport.
Il y avait une salle de sport, une petite salle de musculation, où il y avait toujours du monde. Je pouvais m'y rendre quand je voulais en dehors de mes temps de travail, ou bien j'allais courir dans la cour. Il y avait aussi un terrain de sport et j'y jouais au foot lorsque il y avait du monde : et tout le monde n'y avait pas accès au terrain de sport, fallait y être admis !
Photo Jean Gaumy - Photo Magnum
J'avais 39 ans alors et une superbe condition physique. Pendant toutes mes années de détention j'ai toujours fait du sport, parfois comme j'ai pu, même si certaines prisons n'étaient pas équipées. Chaque jour, je courais au moins dix kilomètres (bien sûr, pas en ligne droite : dix kilomètres en rond dans les promenades...).
En taule, tu manges beaucoup de féculents, alors, si tu bouges pas tu t'empâtes vite fait ! J'ai couru même bien longtemps après ma sortie de prison. Je faisais aussi de la muscu et je touchais le ballon pas mal. Il y en avait d'autres qui s'entraînaient : des plus jeunes, des moins jeunes aussi. C'est primordial le sport en prison. Tout cela me changeait heureusement de Saint-Malo. A Rennes, au moins, je pouvais faire du sport et respirer !
'Pour maintien des liens familiaux.'
Au bout de huit mois, Alain, mon co-cellulaire, a quitté la prison. Ce fut Jean-Claude qui prit sa place. Lui aussi travaillait aux cuisines. En prison, aussitôt sorti, un autre prend ta place. La main-d’œuvre ne manque pas. Jean-Claude avait 24 ans, il était prévenu encore et il attendait d'être jugé, pour une affaire de destruction de véhicules, je crois. C'était un type sympa.
Durant ma détention à Rennes, j'ai rencontré par trois fois le service social : lors de mon arrivée, lors d'un entretien pour une demande de permission et six mois avant ma libération. Sans plus. La première fois, l'assistante sociale voulait seulement me demander si j'avais une personne à faire prévenir. Je leur ai répondu, que c'était déjà fait : par courrier. Heureusement que je ne comptais pas sur elle.
Pour Noël 92 , je faisais une demande de permission de sortie auprès du JAP – le juge d'application des peines - , 'pour maintien des liens familiaux' : j'arguais que je désirais pouvoir me rendre chez moi, à Rouen, auprès de mon épouse. A ce moment-là j'avais été reçu par l'assistante sociale. Je me souviens qu'elle eut le culot de me demander pourquoi je demandais une permission. Je lui avais répondu : « C'est écrit sur la demande : tenez, lisez : 'maintien des liens familiaux'... Là...» Je lui montrais où c'était écrit.
Je lui expliquai aussi qu'à Poissy, quelques années auparavant, j'avais obtenu des permissions de sortie avant ma fin de peine et que tout s'était passé sans problème, que j'avais toujours été réglo, qu'à chaque fois j'avais retrouvé le chemin de la prison. Elle nota tout ça sur sa fiche et transmit ces infos au JAP. Lorsque la réponse parvint, elle fut négative. Le motif donné par le juge était que la date de ma libération était encore trop lointaine.
J'espérais seulement de toucher mes grâces
Alors, vous pensez ! le jour où l'assistante sociale m'a reçu à nouveau, cette fois-ci pour me proposer de faire une demande de libération conditionnelle ! C'était la même assistante sociale : celle qui avait été incapable de m'obtenir une permission de sortie ! Je lui ai dit « Comment vous voulez que je trouve du travail pour justifier une telle demande, si vous ne m'avez même pas accordé de permissions de sortie ? Allons, madame : laissez tomber, je préfère ! » . Et je suis reparti pour ma cellule.
Vraiment, à ce moment-là, je n'attendais rien du service social et ils n'avaient rien à attendre de moi. De moi, ils n'ont rien obtenu, et je n'ai rien reçu de leur part. J'espérais seulement toucher mes grâces.
Et ce fut le cas. Sur 36 mois, je n'ai fait que 27 mois de détention, et ce, malgré un rapport qu'on m'avait collé à Saint-Malo, où j'avais envoyé chier un maton et où j'avais écopé de dix jours de mitard avec sursis.
Le JAP s'était empressé de me retirer des remises de peine, bien entendu, mais bon, malgré tout je m'y retrouvais dans cette affaire : cette fois-là j'eus droit aux grâces du 14 juillet. Nous étions en 1993. J'ai quitté la prison en août de cette année-là.
Christine, fidèle, m'attendait. Elle était venue me chercher avec mon beau-père. C'était le matin. Nous avons traversé la rue et nous sommes entrés dans un petit café situé juste en face : un bon petit noir et des croissants pour goûter à la liberté retrouvée. Et puis plus tard dans la journée, nous étions de retour à Rouen. Ça faisait plus de deux ans que je n'étais pas rentré à la maison...
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Chapitre 6 : 1999-2001 - Rouen, Division 3
Rouen 1999 : En flagrant délit
Je quitte la prison de Rennes en 93, en août 93. Je regagne alors mon domicile et je retrouve Christine, ma fidèle épouse, et Rouen ma ville d'adoption
De 1993 à 1999, date de ma nouvelle interpellation, j'ai vécu une bonne période, ponctuée, malheureusement, en 95 – novembre 95 -, par un accident cardiaque. Ça m'est arrivé Rue du Gros Horloge à Rouen, alors mon cœur pour instant s'est arrêté de battre.
Nous voyagions beaucoup Christine et moi à l'époque : dans le sud de la France, et de temps en temps en Italie et en Espagne. Rouen restait, malgré tout, mon port d'attache et j'y revenais régulièrement. J'y faisais quelques petites affaires aussi.
Le Grand Gaston
En 95, je retrouvai un vieil ami que j'avais connu à Paris dans les années 70 : le Grand Gaston qu'il s'appelait. Il venait d'acheter un hôtel – un hôtel à Rouen -, suite à la fermeture administrative d'une discothèque qu'il tenait précédemment à Paris, à Saint-Germain-des-Prés. Il avait travaillé aussi quelque temps dans l'hôtellerie, Rue Saint-Denis...
Avec Gaston, on s'était connu et puis on s'était perdu de vue, puis retrouver, puis reperdu et puis retrouver. Nous avions des amis communs sur Paris.
Le Grand Gaston, c'était plus qu'un ami, c'était un peu un père pour moi : un maître-à-penser, en quelque sorte. Il m'apprenait à bien gérer l'argent.
De 95 à 1998, nous nous sommes associés. Je m'occupais alors de placer avec lui des jeux-vidéo dans les bars rouennais (les machines-à-sous étaient bien entendu, interdites). Le business marchait bien, j'arrivais même à faire quelques économies, à mettre de l'argent de côté, pour les temps difficiles, ce que jamais je n'avais réussi à faire auparavant. Moi, gérer le fric, ça n'a jamais été vraiment mon truc.
'Bouge pas : mets les mains sur la tête... '
Pourquoi je vous parle de Gaston ? Il n'a aucun lien pourtant avec mon interpellation qui devait arriver. Mais, à l'époque, je travaillais avec lui, et les flics m'avaient vu en sa compagnie, je pense. Ils ont dû s'imaginer qu'il était dans le coup. Mais comme je l'ai toujours affirmé, ce n'était pas le cas : j'ai toujours agi seul ! Je vous jure, Gaston n'avait rien à voir là-dedans.
Nous étions en juin 1999. Très exactement le 24 juin. C'était le matin, je me rendais tranquillement jusqu'à un garage que je louais non loin de mon domicile et où j'entreposais quelques menues affaires. C'est là que je fus interpellé.
A peine avais-je ouvert la porte du local que j'ai vu débarquer des types qui ont bondi de cinq ou six voitures banalisées, les armes à la main en criant : « Police ! Bouge pas : mets les mains sur la tête ! »... Ce que je fis alors sans me faire prier.
On n'est jamais trop prudent !
Un juge avait lancé une commission rogatoire. L'opération était menée par le SRPJ de Rouen et la Brec (Brigade d'intervention et de recherche). Ils me surveillaient les mecs ! Depuis trois jours, à ce qu'ils m'ont dit, ils étaient en planque pour me coincer. Ils auraient pu me prévenir !
Dissimulés dans le garage, derrière des bâches et des couvertures, ils trouvèrent 200 kilos de résine de cannabis. Je dus bien reconnaître que toute cette marchandise m'appartenait : difficile de nier. Le garage était à mon nom et je me trouvais dedans quand ils m'ont interpellé.
En me fouillant l'officier de police tomba sur un Herstal de type Browning GP 35, - chargeur approvisionné et une balle dans le canon –, un pistolet que je portais par habitude à la ceinture.
J'avais aussi sur moi la modique somme de 20.000 francs (soit environ 3.000 euros d'aujourd'hui).
A l'époque je me baladais toujours avec du liquide dans les poches : jamais moins de 10.000 francs en général, en cas de pépins ou quoi. On n'est jamais trop prudent !
Ils mirent la main sur le magot
Du garage, ils me conduisirent directement jusqu'à mon domicile – situé à 100 mètres de là. La commission rogatoire du juge et mon flagrant délit leur permettaient d'y mener perquisition. Ils me soupçonnaient d'être impliqué dans une affaire de trafic de stupéfiants.
A mon domicile, ils découvrirent dans le conduit d'une cheminée un sac plastique habillement dissimulé qui contenait près de 300.000 francs (soit environ 45.000 euros). A l'époque ça faisait tout de même une jolie somme ! J'ai eu beau leur dire que c'étaient là toutes mes économies, ils ne voulurent rien entendre et mirent la main sur le magot.
Christine était là durant toute la perquisition. Elle fut amenée avec moi jusqu'au commissariat principal de Rouen. Nous étions placés tous les deux en garde-à-vue. Nous fûmes séparés l'un de l'autre et interrogés chacun à notre tour. Heureusement, elle ne fut pas trop inquiétée car elle ne pouvait se douter de mes agissements. Quant à l'argent, astucieusement planqué dans la cheminée, elle n'en savait rien.
Elle dormit pour la seconde fois de sa vie au poste de police. La fois précédente, c'était en 1987, lorsque j'avais été une première fois interpellé à Rouen. Elle fut relâchée aprés un peu plus de 40 heures de garde a vue - sans raison, puiqu'elle n'était au courant de rien. Quant à moi, ils me gardèrent pendant près de quatre jours...
J'avais une commission rogatoire au cul
Bon, l'un dans l'autre, ma garde-à-vue s'est déroulée correctement. Ils firent ça dans les règles : ils m'avaient signifié mes droits, m'avaient demandé si je voulais un voir un médecin et si je demandais le concours d'un avocat.
Pour le médecin j'ai dit oui. Je suivais un traitement pour le cœur et il fallait que je sois suivi. Pour l'avocat c'était vraiment pas la peine. De toute façon, sa présence n'aurait servi à rien. Dans ce genre d'interrogatoire, ton avocat, il ne peut pas grand-chose. De toute manière, j'avais une commission rogatoire au cul.
Ma priorité était qu'absolument je fasse décrocher Christine de cette affaire.
Voilà. Entre les interrogatoires, le comptage du pognon, le poids du cannabis, etc., je passai quatre jours et trois nuits dans ce commissariat pourri. En matière de stup, la garde-à-vue peut être prolongée jusqu'à quatre jours maximum.
Je ne vous dirai pas où je joue...
Les flics se montrèrent courtois pourtant. Devant moi, ils comptèrent consciencieusement le fric et le mirent sous scellés. C'est ça qui fut le plus long. Les interrogatoires, par eux-mêmes étaient plus rapides. Mes réponses étaient claires et franches : « Le cannabis ? Oui, il était à moi. D'où je l'avais eu ? Je vous le dirai pas. L'arme ? J'en conviens, c'est la mienne aussi. Quant à l'argent, je l'ai gagné au jeu. A quel jeu ? Je ne vous le dirai pas, ni même je vous dirai où je joue : vous risqueriez de vouloir y jouer aussi ! »
Devant les flics et, plus tard au palais de justice devant le magistrat, je ne variai pas d'un iota dans mes déclarations. Je restai droit dans mes bottes, fidèle à ma ligne de conduite. A la fin de ma garde-à-vue, je fus finalement présenté devant une juge d'instruction. Nous étions le 28 juin 1999.
C'était en fin d'après-midi. La Juge entendit ma version des faits en hochant la tête. Elle se montra cordiale, pas chiante du tout. Faut dire que je lui facilitais la tâche : je ne contestais pas les faits : j'avais été pris en flag, la main dans le sac. Pour tout avouer, je lui répétai que j'avais agi seul.
Elle m'inculpa donc pour infraction à la législation sur les stupéfiants et détention d'arme et décida dans la foulée de ma mise sous mandat de dépôt. J'étais bon : j'allais revoir en Normandie la prison de Rouen : la prison Bonne-Nouvelle. Une prison que j'avais déjà fréquentée quelques années auparavant.
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Rouen 1999 : En terrain connu
Le 28 juin 1999, je quittai le palais de justice de Rouen dans un fourgon cellulaire de la police qui faisait la navette entre le Palais de justice et la prison. Tous les jours, il amenait sa cargaison de détenus d'un endroit à un autre : pour les audiences ou les dépôts.
Avant que de partir, la juge d'instruction qui venait de prononcer ma mise sous écrou m'avait averti : « On se reverra ! », et elle délivra contre moi une nouvelle commission rogatoire. Elle pensait que je n'étais pas seul au cœur de ce trafic. Elle espérait sans doute que ses limiers lui fourniraient quelque piste...
« Grand bien lui fasse, pensais-je... » Je ne vois pas ce qu'elle pouvait encore trouver. Enfin, si telle était son idée, je n'allais pas la contrarier !
Rouen : Prison Bonne-Nouvelle
La taule, je la connaissais déjà
J'arrivai à Bonne-Nouvelle. Il était déjà tard. J'étais le seul arrivant ce soir-là. La prison devenait presque une habitude pour moi. A bonne-nouvelle j'y avais déjà tiré trois ans. Alors, la taule, je la connaissais déjà : le petit passage jusqu'au greffe et ensuite le local des fouilles et le vestiaire. Rien ne paraissait avoir changé. Je retrouvais les mêmes lieux, les mêmes lumières, presque les mêmes matons dans leur uniforme bleu-nuit.
Je reçus mon paquetage d'accueil et je rejoignis une cellule arrivant, située de plain-pied au niveau du quartier des mineurs. J'eus droit à un casse-croûte et de l'eau. Christine avant mon départ pour le Palais m'avait fait passer de quoi écrire (bloc, stylo, enveloppes et timbres) et aussi des clopes. J'avais de quoi fumer. Je sais : c'était pas bon pour mon cœur, mais j'avais alors encore besoin de ma dose de nicotine.
Christine était venue déposer quelques affaires pour moi, simplement, au commissariat. Elle avait demandé au lieutenant de police qui lui avait donné son accord. C'était aimable de sa part.
J'écrivis ce soir-là. Il fallait qu'elle puisse au plus vite faire les démarches pour obtenir le permis de visite et venir me voir. Il fallait aussi qu'elle prenne contact avec mon avocate. Celle qui m'avait défendu en 87.
C'était une jeune femme que j'avais connue alors qu'elle n'était encore que débutante. On avait sympathisé. Je suis toujours resté en contact avec elle.
Parfois, dans mes temps libres, je passais lui dire un petit bonjour à son cabinet. On avait convenu que quoi que ce soit qui m'arriverait, elle serait là et m'assisterait.
Une cellule pour moi tout seul
On me mit ce soir-là dans une cellule où je dormis seul. J'avais grand besoin de me reposer, après toutes ces heures passées en garde-à-vue.
Le lendemain, je fus reçu par le chef, pour mon affectation. Ce n'était pas le même que la dernière fois, douze ans auparavant : il avait changé. Je fus placé à la division 3. A cause de mes problèmes cardiaques on me logea au plus près de l'infirmerie, au cas où !
Dans la foulée, je fus reçu par une assistante sociale qui m'assura qu'elle allait prévenir ma femme. (Et, surprise, c'est ce qu'elle fit.) Je repassai aussi par le vestiaire et je récupérai quelques fringues que Christine avait pu me faire passer.
On m'appela pour la visite médicale, à l'infirmerie. J'avais avec moi un certificat médical qui indiquait mon état, et une ordonnance qui détaillait mon traitement. J'expliquai au médecin que j'étais cardiaque et je pus continuer à bénéficier de mon traitement, comme à l'extérieur.
Jean Gaumy : Prison Bonne-nouvelle © Jean Gaumy/Magnum
En prison, tu fais vite connaissance
Voilà. J'étais installé : maison d'arrêt Bonne-Nouvelle -Rouen -, Division 3, deuxième étage, dans une cellule qui donnait, par un grand vasistas, sur une station Esso, qu'on voyait se profiler en-dehors du mur d'enceinte, par-delà le terrain de sport de la prison. Une cellule où on me laissa seul. Je préférais, de toute façon. Elle était pourtant dotée de trois lits. Il n'y avait que cette cellule de disponible pour être logé au plus près de l'infirmerie. Je me fis placer la télé afin d'occuper mes soirées.
Mes premiers contacts avec les autres pensionnaires se sont bien passés. Il y en avait qui venaient d'autres prisons, en transfert disciplinaire ou non, d'autres que je connaissais plus ou moins de l'extérieur (Rouen est un petit milieu), et d'autres, enfin, que je ne connaissais pas du tout. Mais en général en prison tu fais vite connaissance !
Un mois après, j'eus mon premier parloir avec Christine. A l'époque encore les parloirs à Rouen étaient situés en sous-sol. Ils avaient été repeints mais tout était pareil que précédemment : un muret entre deux box pour toute séparation, et les matons qui passaient sans arrêt, sans vraiment d'intimité... Voilà : des parloirs toujours aussi « libres »...
Il faut bien que jeunesse se passe !
Christine était heureuse de me retrouver et moi aussi. De savoir qu'elle avait gardé le moral, cela me donnait le moral. C'était bien que la juge ne se fût pas opposée à ce droit de visite. Mais pourquoi se serait-elle opposée de toute façon, puisque mon épouse n'a rien avoir dans mes affaires ? Trente minutes pour nous voir et être ensemble. Trente minutes, trois fois par semaine, et pour Christine tout le soin de devoir à chaque fois prendre le rendez-vous, par téléphone.
Les jours passèrent ainsi, paisiblement, je faisais du sport – sur les conseils de mon cardiologue. Du sport pas trop violent quand même, et pour les haltères, une charge de pas plus de 50 kilos. Il fallait surtout que je ne prenne pas du poids. A l'extérieur, j'ai tendance à bien manger et c'est pas bon pour le cœur.
J'allais régulièrement en promenade où je me passionnais pour la pétanque. Mes nombreux séjours dans le sud de la France, en Provence, m'avais rendu féru de cette discipline.
Souvent aussi, l'après-midi, je faisais la sieste. Il faut bien que jeunesse se passe ! Je venais d'avoir 47 ans.
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Rouen : Palais de justice
Rouen 1999-2001 : Entre parloirs et instruction
Voilà. J'étais installé en division 3, à la prison Bonne-Nouvelle de Rouen. Quelques années auparavant, j'y avais été déjà incarcéré. Je connaissais la maison.
Au mois de septembre 1999, je fus enfin convoqué par la juge d'instruction. Elle y avait mis du sien. Pendant les mois d'été précédents, à la suite d'une commission rogatoire, elle avait enquêté et relevé tous mes numéros de téléphone. Pas de chance pour elle : elle ne trouva que ceux de ma famille et de mes proches.
Coco avait le vice du braquage
La vie continuait ainsi : entre parloirs et instruction. Une instruction qui ne donnait rien d'ailleurs, puisque tout avait été dit. Je fus convoqué deux fois, en octobre et en novembre 99. La juge mena de nouvelles recherches, mais tout cela ne la conduisit nulle part.
De guerre lasse, elle se résolut à clore le dossier. J'en fus ravi. Voilà : en un peu plus de six mois tout avait été éclairci ! A mes yeux, c'était un flagrant délit. Apparemment, ce n'était pas le cas pour elle... Malgré tout, l'instruction avait été rondement menée et c'était tant mieux !
Durant toute l'instruction, ma petite avocate rouennaise avait été là, qui me défendait, bien présente à mes côtés. Pour bien faire, en vue de mon procès, je décidai de lui adjoindre un avocat du barreau de Paris. Je savais qu'il serait très regardant en cas de vice de forme. C'était un très très bon plaideur...
Une cellule de la prison Bonne-Nouvelle à Rouen - Stéphanie Jaume
Pendant tous ces longs mois, Christine est venue me voir fidèlement, chaque semaine.
Entre-temps, on m'avait changé de cellule. Nous étions en novembre 1999. Mon codétenu se nommait Coco, enfin, c'est comme ça qu'on le surnommait. A mon arrivée, il était déjà à Bonne nouvelle depuis plus d'un an mais il se trouvait au début dans une autre division.
On venait de le déplacer à la division 3 pour lui attribuer une cellule en face du mirador. D'un commun accord, nous demandâmes de loger ensemble. Coco, je le connaissais d'en-dehors : nos routes s'étaient croisées quelques années auparavant. Ça faisait un moment que je ne l'avais pas vu. La dernière fois c'était ici-même : à Bonne-Nouvelle. Je me demandais ce qu'il était devenu...
Il repartait pour un séjour à l'ombre prolongé. Il avait déjà tiré douze piges en taule, je crois, et il venait de retomber pour braquage. Plus tard, j'ai appris qu'il en avait encore repris pour dix-sept ans. Coco avait le vice du braquage ! Mais vraiment, c'était un brave mec.
Et encore, je m'en tirais bien
Nous avons ainsi vécu ensemble, dans 9 mètres carrés, - bon an, mal an -, pendant 13 mois, jusqu'à ce que je sois transféré. Nous passâmes deux Noël ensemble. Nous avions reçu notre colis pour les fêtes - celui que les familles ont le droit, exceptionnellement, de faire passer aux détenus en cette période de l'année - : cinq kilos de bonne bouffe et de gâteries chacun. Un colis pour moi, que m'avait confectionné Christine, mon épouse, et un colis qu'avait reçu Coco de son côté. Bien sûr, on a partagé et, ce Noël-là, je peux dire qu'on s'est gavé.
En mars 2000, je fus renvoyé devant le tribunal correctionnel de Rouen. Mon avocat, Maître Philippe ... m'avait prévenu « Ça va vous valoir de cinq à sept ans, vu votre passé et aussi l'arme que vous portiez, à nouveau... ». C'est lui qui plaida.
Je ne fus condamné qu'à cinq ans fermes, grâce à sa superbe plaidoirie. Le Procureur avait réclamé sept ans ! Donc je m'en tirais bien, mieux que ce que je pouvais craindre. En matière de stup, la peine maximale était de dix années, en correctionnelle. Les juges m'avaient autant jugé pour les faits eux-mêmes qu'au regard de tout mon passé, et mon passé, c'est vrai, ne plaidait pas en ma faveur.
Un an presque à rien foutre
Bon : cinq ans... Je me dis que cela aurait pu être pire : tout finissait bien, en quelque sorte. Je décidai surtout de ne pas faire appel.
Après le verdict, je restai détenu à Bonne-Nouvelle. J'espérais tout de même pouvoir être transféré. Bonne-Nouvelle, comme maison d'arrêt, en 2000 c'était encore la misère : pas grand-chose à s'occuper, à part jouer aux cartes et faire un peu de sport. Autrement, 22 heures sur 24 en cellule et rien à foutre... En centrale j'espérais quelques avantages : des permissions de sorties peut-être, plus d'activités, et d'occupations... du travail qui sait ?
En octobre de cette année-là, ma mère décéda. C'est Christine qui m'en avertit. Je demandai à l'assistante sociale qu'elle se rapproche du Juge d'application des peines (JAP) de Rouen, pour que je puisse bénéficier d'une permission de sortie afin que de me rendre à l'enterrement.
J'eus droit à une permission de cinq heures, pas plus. La JAP me fit escorter par des flics en civil pour la cérémonie jusqu'au cimetière. Mon père était décédé en 1985. Il y avait-là la famille de Christine et quelques amis. Juste le temps de se recueillir et de dire bonjour à mes proches. L'après-midi-même, je réintégrais ma cellule.
Voilà, pas grand-chose de plus : un an presque à rien foutre. Tout cela traîna jusqu'en février 2001...
Une fouille de cellule
Je crois que ça va pas être possible...
Au total, ça faisait près de 20 mois que j'étais détenu à Bonne-Nouvelle, depuis mon incarcération, avant mon procès et maintenant depuis ma condamnation. Heureusement qu'on était une équipe de bons copains et que tout était bon pour faire chier les matons et rester le moins possible enfermés en cellule.
Coco et moi, nous n'avons eu qu'un seul problème : une fouille générale de notre cellule. Les matons recherchaient un téléphone portable. Ce genre d'objet qu'on commençait à trouver dans le commerce. Nous, nous n'en avions pas... enfin : pas en cellule. Ils ne trouvèrent rien. Pourtant on fut bons tous les deux pour 15 jours de mitard, et, pour ma pomme, en plus, comme j'étais condamné, ils en profitèrent pour m'enlever quelques remises de peine. Un mec pour une perm nous avait balancé...
Zebda : "Je crois que ça va pas être possible"
En novembre ou décembre 2000, un orienteur me fit appeler. Il me demanda si j'avais une 'préférence' : une préférence quant à mon futur transfert. Je n'arrêtais pas de faire des demandes pour qu'on me change de taule. Le coup de la fouille avait peut-être accéléré les choses. Je demandais Poissy. Poissy, je connaissais déjà, j'en avais gardé un bon souvenir. Il me dit : « Je crois que ça va pas être possible... »
Il avança le fait que les centrales n'étaient réservées que pour les peines les plus longues. Je savais qu'il me prenait pour un con : quand on m'y avait mis la première fois, à Poissy, mon reliquat de peines n'était pas bien lourd pourtant. Alors je lui ai proposé Val-de-Reuil, une taule à 20 kilomètres de Rouen. « Trop d'attente, me répondit-il ».
Tout à une fin
« Alors, transférez-moi où vous voulez, que je lui ai dit. Mais pas trop loin de chez moi... ai-je rajouté ». Il acquiesça et nota mes desiderata sur sa fiche. Vraiment : on ne peut pas faire confiance à ces gens-là !
Je n'avais plus qu'à attendre : tout à une fin, comme on dit. En février 2001, un matin, on me pria de faire mes bagages. Je fis mes adieux à Coco, mon poto : nous nous séparions comme de vieux briscards entre lesquels tout s'est bien passé : plus d'un an de vie commune !
Par la suite, alors qu'il était retombé et qu'il purgeait sa peine à Clairvaux, - moi libéré -, nous nous sommes écrit. Je savais qu'il avait été condamné et qu'il en avait repris pour 17 piges. Aux dernières nouvelles, maintenant, il est ressorti. Il s'est installé dans le Sud de la France. Coco : vraiment c'était un brave mec!
Je pris rapidement mon paquetage, je repassais par le vestiaire. On me descendit dans une cellule d'attente, située dans le quartier des mineurs, où, à midi, on me servit à bouffer.
A 14 heures, j'étais aux greffes et, ensuite, on m'embarqua, entravé aux mains et aux pieds, - au cas où je décide de prendre la poudre d'escampette-, encadré par cinq matons et un bricard.
La direction m'était inconnue. Je savais seulement que je quittais Rouen, ma ville d'adoption, et ce pour quelques années.
*
* *
CHAPITRE 7 : 2001-2003 - Laon, dernières foulées vers la Liberté
Au bout de l'horizon : la prison de Laon
2001 Laon, c'est loin !
Nous étions en février 2001, fin février. On m'avait mis dans un fourgon cellulaire, un fourgon bleu – tout ce qu'il y a de plus banal. J'étais seul et je quittais la maison d'arrêt de Rouen, pieds et mains liées. Dans le véhicule, devant, une grille me séparait d'avec le chauffeur et le bricard d'escorte.
J'étais entravé et cinq matons étaient assis à mes côtés, et pas moyen de m'échapper ! Les matons ça va : je les connaissais, ils n'étaient pas trop chiants. Ça discutait fort entre eux, ça les rendait heureux de partir s'aérer un peu hors de leur prison quotidienne : ils partaient en 'ballade'... comme si sortir une maison d'arrêt pour en rejoindre une autre était affaire de promenade !
Laon c'est pas la porte à côté
Alors que nous roulions depuis un moment, l'un d'eux m'informa que nous étions en route pour le centre pénitentiaire de Laon. Laon ? Ça commençait bien...
Je gambergeais un peu : « Laon c'est pas la porte à côté... que je me suis dit. »
En fait, je ne savais pas exactement où c'était. A Laon, je n'y avais jamais foutu les pieds. J'ai eu le temps ensuite d'apprendre que ça se situe dans l'Aisne – le 02 -, à plus de 200 kilomètres de Rouen, plus à l'est. Pour le 'rapprochement familial' ça risquait de pas être terrible !
La route n'en finissait pas : plus de deux cents bornes par les nationales. A l'allure du fourgon, on n'était pas près d'arriver...
En plus, en chemin, il a fallu qu'on s'arrête à Compiègne. A la maison d'arrêt de Compiègne. Les matons devaient prendre un gars qu'ils devaient amener à Laon avec moi. Arrivés à Compiègne, comme prévu, le colis était là : le gars nous attendait. Il fallait juste lui passer les entraves et régler les formalités d'embarquement.
La halte dura près d'une heure. On me permit quand même de sortir, pour me dégourdir les jambes et aller faire un petit pipi. A part Compiègne, il n'y eut pas d'autre pause durant le trajet : ni bistro, ni resto ! La nuit était déjà tombée que le fourgon roulait encore.
Centre pénitentiaire de Laon
Un immense portail coulissant métallique s'ouvrit
Après Compiègne, il nous restait encore 80 kilomètres à faire. Je pus causer avec mon co-passager. C'était un gars de la région. Il ne lui restait que 9 mois à faire et il rejoignait la maison d'arrêt de Laon pour y terminer sa peine. Là, d'après ce qu'il me dit, il devait être placé en semi-liberté et travailler à l'extérieur...
Quand nous sommes arrivés, il devait être sur les coups de 20 heures. Devant nous, un immense portail coulissant métallique s'ouvrit. Le fourgon s'engouffra dans une cour intérieure. On nous fit descendre. Il n'y avait pas l'ombre d'un surveillant ici – excepté celui qui gardait l'entrée, juché dans une grande guérite vitrée.
Le Bricard sonna à une petite porte. Les matons de l'escorte descendirent nos cartons d'affaires du véhicule et les déposèrent là, à même le sol. Leur mission était terminée. Nous fûmes libérés de nos entraves. Ils nous remirent entre les mains du personnel local, en nous souhaitant bon courage et bonne continuation !
Laon : une prison moderne
Laon, une prison moderne
Laon, une prison moderne. Enfin une prison que le Ministère qualifie de 'moderne'. Elle dispose d'un quartier de maison d'arrêt (MA) et d'un centre de détention (CD). La maison d'arrêt est destinée aux prévenus et aux condamnés à de courte peine (quoique j'appris qu'il y avait aussi certaines longues peines). Le centre de détention ne reçoit, quant à lui, que les condamnés à des peines plus longues. Mais tout compte fait on y trouve toute sorte de condamnations.
C'est la première fois que j'entrais dans une taule moderne, une taule où tout fonctionne à l'électronique. J'allais découvrir plein de nouvelles choses : les cabines téléphoniques en prison (une par étage et une au rez-de-chaussée) - très important ces cabines téléphoniques ! Le fait aussi qu'on te donnait la clé de ta cellule... j'avais jamais vu ça !
Bon, moi franchement, j'ai toujours préféré les anciennes taules. Dans les anciennes taules tu subissais le bruit sans arrêt, certes, mais tu avais plus de contacts humains, et la population pénale n'était pas la même non plus, comme à l'époque, à Poissy.
Dans ces nouvelles prisons, les gars, - pas tous et heureusement -, sont à moitié dans le cirage, et c'est l'infirmerie qui se charge de la tranquillité générale :merci Subutex, tout va bien !
Dans ces nouvelles prisons, le silence est complet, pesant. Tout est automatisé, robotisé même la population pénale, on dirait qu'elle a muté !
C'est plus comme avant... Dans le temps nous étions solidaires. Maintenant, c'est moins le cas et c'est dommage. Il y aurait tant à refaire dans ces nouvelles taules ! Moi, personnellement j'ai toujours préféré les anciennes.
Terminus : le centre de détention
A l'intérieur, un maton nous conduisit jusqu'au greffe pour les formalités d'usage : empreintes, photo pour la 'carte d'identité' intérieure, avec ton numéro d'écrou,... enfin tout ce qui fait que, quand tu rentres dans une taule, tu es fiché ! Puis nous fûmes conduits jusqu'au vestiaire. Nos cartons furent posés sur un chariot. On nous assura qu'on les récupérerait dès le lendemain.
Des paquetages avaient été préparés à notre attention : deux couvertures, deux draps, une taie d'oreiller, des couverts, une trousse de toilette, et l'habituel rouleau de papier-cul. En attendant que d'autres matons viennent nous chercher, on nous mit dans une cellule d'attente disposant d'un banc et de toilettes. Puis trois gardiens sont venus nous chercher.
En passant, 'à la croisée du chemin', sur un chariot roulant : deux casse-croûte et de l'eau avaient été déposés pour nous : c'était là notre repas du soir. Ensuite nous avons longé un long couloir jusqu'à ce que nous soyons séparés, mon compagnon de convoyage et moi. Lui prit sur la gauche, vers la maison d'arrêt, et moi on m'emmena jusque tout au bout : terminus, le centre de détention.
Paquetage d'arrivée : couverts et produits d'hygiène
Là tout était électronique
J'avais franchi déjà au moins sept portes, et ce n'était pas encore fini. Que des portes automatiques... (Mais les surveillants avaient toujours des clés sur eux, en cas de pannes électriques, je suppose.) Juste devant l'entrée du centre de détention, il y avait une petite guérite fermée. De là, un maton commandait toutes les portes.
Ensuite, une fois entré, je longeais encore un nouveau couloir et au bout, il y un nouveau rond-point, un autre guichet, un dernier sas, une dernière porte qui donnait accès au centre de détention. La maison était déserte. Là tout était électronique. C'était la nuit. Je ne voyais personne. L'ambiance était calme et sereine. On n'entendait que le son des téléviseurs...
Cette première nuit on me mit dans une cellule au rez-de-chaussée. La peinture de la piaule était beige clair et blanc. Il avait un WC et un lavabo, avec un grand muret de séparation, un lit, une table, une chaise, mais pas de télé. A l'heure où j'étais arrivé, la Pénitentiaire ne livrait plus de petit écran.
Je fis mon lit, et comme on dit : 'comme on fait son lit, on se couche'. J'étais bien fatigué ce soir-là. J'avalai mon casse-croûte et je me couchai tôt. Je me suis endormi d'un sommeil profond. Je savais que le lendemain serait un autre jour.
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Laon 2001 : Juste prendre ses marques
Vers 7 h30, après la première ronde des gardiens, j'eus droit à mon café-petit déj, distribué par deux auxis. A Laon, les petits déj et les repas sont posés sur un chariot. Tu sors de ta cellule et ce sont les auxis qui te servent. J'en profitai pour prendre auprès d'eux mes premiers renseignements.
Je vois un peu les gars, et je comprends vite que ce ne sont plus là les mêmes que ceux que j'avais côtoyés, jadis, à Poissy. Les années étaient passées, il y avait beaucoup de jeunes.
Circuler 'librement'
Je bus mon café tranquille tout en réfléchissant sur le temps qui passe et d'autres choses encore. La porte de cellule était restée ouverte. A Laon, pendant la journée les portes des cellules étaient ouvertes : tu possèdes la clé de ta cellule, et tu la fermes quand tu sors.
Tu peux circuler 'librement'. Enfin, 'librement', je m'explique : tout en restant dans ton aile, pas trop loin. Entre midi et deux, les portes se referment automatiquement, pour le comptage des détenus et, bien entendu, le soir après 18 h30 aussi, une fois que l'infirmière qui distribue les cachetons est passée.
Ce matin-là, je n'avais pas encore de clé, j'étais arrivé la veille au soir, tard, et, vue l'heure, ce sont les matons qui m'avaient bouclé en cellule pour la nuit.
Après mon petit-déjeuner, je pus sortir pour aller prendre une douche tranquille. A Laon, tu prenais la douche quand tu voulais : le local était toujours ouvert. En chemin, j'ai croisé d'autres détenus, je pus en savoir plus sur le fonctionnement de la maison : comment ça se passait pour le téléphone, les parloirs, enfin : tout le tsoin-tsoin.
Connaître où on met les pieds, quand on entre en prison, c'est bien normal !
Faites comme-ci, faites comme-ça
Vers 9 heures on m'appela au bureau des Brigadiers. Je fus reçu par deux bricards en uniforme. J'eus droit à l'explication du règlement intérieur et le cinéma habituel : faites comme-ci, faites comme-ca et tout ira bien...
J'avais quand même une longueur d'avance sur eux : c'étaient des jeunots. Je leur ai dit que j'étais un habitué des établissements pénitentiaires, un vieux de la vieille et ça depuis 1972 ! Alors, leurs règlements, tu parles que je les connaissais !
C'est vrai qu'il y avait, à Laon, des choses nouvelles, qu'il me fallait découvrir. D'abord l'existence des cabines téléphoniques, et la clé pour les cellules aussi. Oui : ça c'était du nouveau. Le reste : plus ou moins je connaissais.
Les bricards m'expliquèrent dans quel quartier j'allais être logé. Ils me remirent officiellement la clé de ma future cellule. C'était bien la première fois de ma vie que je tenais entre les mains la clé d'une prison ! Ils me prévinrent qu'il fallait qu'à chaque fois que je sors de bien fermer la porte, car, paraît-il, il y avait des vols ! Même en prison, il faut se méfier...
Pour le téléphone, il s'avéra qu'à Laon on pouvait téléphoner presque comme on voulait., enfin il y avait des jours a respecter, Il fallait pour cela acheter une carte de téléphone et bien sûr donner les numéros des gens qu'on désirait appeler. On pouvait pas appeler n'importe qui et en plus on était sur écoute. La pénitentiaire est passée maître dans l'art vous espionner !
A chaque étage, il y avait une cabine. Ça c'était bien.
Deux bons hypocrites ces braves bricards
Pendant l'interview, Les bricards me demandèrent si j'étais intéressé pour travailler.
Pour le boulot, je leur ai pas dit non, mais je ne voulais surtout pas me retrouver en atelier. Le travail d'atelier, ça ne m'intéressait pas. Ils te payent à coup de lance-pierre et tu es marron pour faire du sport ou d'autres activités pendant le reste de la journée. Mais auxi ça oui : ça m'intéressait. Quand tu es auxi, tu peux circuler partout.
« Au pire, trouvez-moi une place d'auxi, pourquoi pas ? je leur ai dit, sinon rien d'autre. » J'étais catégorique. De toute façon, me répondirent-ils, il n'y avait pas de boulot pour le moment. 'C'est la crise ici aussi, pensais-je, les places sont chères !' Il fallait attendre qu'un poste se libère ou qu'un auxi s'évade...
L'entretien fut aussi bref que courtois : deux bons hypocrites ces braves bricards ! comme beaucoup d'autres d'ailleurs dans ce milieu, malgré eux peut-être... Leur règlement, j'en avais rien à péter ! J'en imposais et je savais mieux qu'eux naviguer dans l'eau plus ou moins trouble des prisons.
Une cellule avec ma propre clé
En sortant, je passai par le vestiaire pour récupérer mes affaires personnelles et je mis le tout, avec le paquetage qu'on m'avait fourni la veille, dans le monte-charge. Direction le deuxième étage. C'est là qu'on m'avait affecté.
A Laon, le centre de détention est sur deux étages : un rez-de-chaussée et deux étages. A chaque étage, il y a quatre ailes et un rond-point. Par aile, il faut compter 35 cellules, si mes souvenirs sont bons, soient environ 140 cellules par étage, mais, quand j'y étais, toutes les cellules n'étaient pas occupées. Elles sont toutes individuelles, avec, au bout de chaque aile, quelques 'triplettes', pour des détenus qui veulent être ensemble – mais en CD, ce genre de détenus ça ne court pas les rues !
Laon : plan de l'étage - cliquez pour agrandir
Arrivé au deuxième étage, à la sortie du monte-charge, au niveau du rond point-central, deux matons s'occupaient d'ouvrir et de fermer les portes donnant sur chaque aile. J'avais avec moi la clé qu'on m'avait remise et mon numéro de cellule. Ils ne firent pas de difficulté pour me laisser rentrer. En chemin, deux mecs sont venus me demander si je voulais un coup de main, et ils m'invitèrent à prendre le café.
Là, je voyais le jour
D'abord, je m'installai dans mes meubles. C'est la première fois que j'ouvrais la porte d'une cellule avec ma propre clé. L'endroit était assez propre, pareil exactement à la cellule où j'avais dormi la veille. Même dimension : environ 9 ou 10 mètres carrés, meublée d'un lit, d'une table d'une chaise et d'un grand placard. WC et lavabo étaient cloisonnés.
En plus, de ma fenêtre, j'avais vue sur le terrain de sport ! Une grande fenêtre qui me changeait bien de Rouen où l'on manquait de lumière. Là, je voyais le jour, même s'il y avait toujours ces satanés barreaux pour me gâcher le paysage...
Les douches étaient à l'extérieur, dans un local. Et sur chaque aile, nous disposions un espace-cuisine avec une grande cuisinière et un chauffe-plat. Il fallait juste que je fasse installer la télé et le frigo dans ma cellule.
Car à Laon, tu pouvais disposer d'un frigo, et même d'une plaque chauffante, une plaque chauffante que tu cantines ce qui évite de fabriquer une chauffe comme a Rouen... . Ça c'était nouveau aussi. Bien entendu, tout ça, j'allais le payer. Rien n'est offert par la Pénitentiaire ! Tu paies mensuellement, tout est en location. sauf la plaque tu l'achètes!
Je voulais la rassurer
Je pris à peine le temps de déposer mes affaires. En ressortant, je demandai à un gars de l'étage de me prêter sa carte de téléphone. Je ne pouvais pas attendre que la mienne fût prête (je ne la reçus que deux jours plus tard). Je voulais absolument téléphoner à Christine dès maintenant pour la rassurer.
Il fallait que je la prévienne, que je luis dise que le transfert s'était bien passé, que je lui parle. Comme un fou je suis allé voir le maton en faction au rond-point pour lui demander la permission d'appeler mon épouse.
La cabine était vide, il m'en donna l'autorisation. Quand j'eus Christine au bout du fil, elle pensa un moment que j'étais dehors ! C'était la première fois que je pouvais ainsi lui téléphoner depuis l'intérieur d'une prison. J'étais heureux de pouvoir lui parler.
Les bricards m'avaient averti que le permis de visite avait suivi depuis Rouen, je l'informai qu'elle pouvait prendre déjà le rendez-vous pour venir me voir. Et comme Laon c'est pas la porte à côté, je lui dis aussi de demander un double-parloir, pour qu'on puisse se voir une heure au lieu d'une demi-heure.
A Laon, il faut frapper tout le temps
Dans le couloir, à cette heure-là, il y avait du monde. Les portes des cellules étaient ouvertes et les mecs allaient et venaient. Ça circulait pas mal. Je retournais voir les deux gars qui m'avaient offert le coup de main et le café. Il y avait un gars de Beauvais et l'autre d'Amiens, ils étaient là eux aussi pour les stups. Pour l'un, il lui restait 15 mois à faire et pour l'autre trois ans, quelque chose comme ça.
On discuta un moment de choses à d'autres. Je leur dis que je voulais faire du sport. L'un d'eux me proposa qu'on aille voir les moniteurs, au rez-de-chaussée. « OK, je te suis ! que je lui dis »... Avec lui, j'allais faire ma première excursion, dans ma nouvelle demeure.
Pour changer d'étage, il fallait d'abord ressortir de l'aile. Devant la porte qui donnait accès au rond-point, il frappa comme un dingue afin que les matons qui créchaient là nous ouvrent. C'est vrai qu'ils devaient s'occupaient des quatre ailes en même temps, les bougres : ils ne chômaient pas ! De toute façon, à Laon, il faut frapper tout le temps aux grandes portes avant que quelqu'un t'ouvre !
On leur dit qu'on allait voir les profs de sport et ils nous ouvrirent. Ensuite, on a pris par l'escalier et franchi encore quelques portes. Enfin, en bas, il fallu de nouveau s'arrêter au rond-point. Forcément, avec tous ces ronds-points, ça prend plus de temps qu'il n'en faut !
J'ai pu m'inscrire sans problème
Les équipements sportifs se situaient au bout du long couloir, - celui que j'avais pris la veille en arrivant -, sur la gauche, attenant au quartier de la maison d'arrêt.
Les profs étaient sur le terrain. C'étaient deux matons en survêtes, des matons spécialisés, et qui ne font que du sport. En fait, ils sont surtout là pour te surveiller et ne font pas grand-chose d'autre. Mais c'étaient des mecs sympas et pas chiants du tout. On a discuté un moment et j'ai pu m'inscrire sans problème.
J'en profitai pour visiter l'ensemble des installations, toujours accompagné par le gars de l'étage qui me servait de guide. Il y avait une grande salle de musculation ainsi qu'un grand stade de foot, avec une piste tout autour pour courir, des cours de tennis et aussi pour un terrain pour le volley et basket. Tout s'annonçait assez facile. Rien à voir avec Bonne-Nouvelle à Rouen question équipement !
Je pouvais faire du sport
Plus tard, je fus appelé pour la visite médicale. A Laon, les appels se font par haut-parleur, depuis le rond-point. C'est le maton de faction qui t'appelle par ton nom et ton numéro de cellule. Des messages brefs et laconique : « Bernard, cellule tant, vous êtes demandé à l'infirmerie... ». C'est tout.
Il fallait que de toute façon je voie le médecin pour mon traitement cardiaque. Mon dossier médical avait suivi lui aussi depuis Rouen, il fallait juste qu'on me donne mon traitement. Mais je pouvais faire du sport, il me fallait ça pour entretenir ma santé : mon cardiologue, celui de dehors, me l'avait bien recommandé.
Au moindre problème, je savais qu'il serait intervenu ! Un brave docteur, ce cardiologue, cet homme avait le cœur sur la main ! Il ne m'a jamais laissé tomber pendant tout le temps de mon incarcération. Il me suivait à distance et prenais régulièrement de mes nouvelles.
J'ai toujours eu grande confiance en lui et beaucoup moins, je l'avoue, en la médecine pénitentiaire !
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Laon 2001 : JP, L'auxi-Télé
Voilà. A présent, j'étais installé : en 'résidence' au Centre de détention de Laon, 2ième étage – Aile numéro 1. Une prison 'moderne' où nous disposions chacun de la clé de notre propre cellule. Presque, j'aurais pu me passer de tous ces gardiens !
Je faisais du sport à fond
Dès le lendemain de mon arrivée, je descendis au gymnase et je commençais l'entraînement. On pouvait y allait quand on voulait. Régulièrement, je courais le matin et je jouais au foot l'après-midi. Après la course à pied, je faisais même un peu de musculation.
Par la suite, je me suis aussi inscrit à des cours d'informatiques : des cours de base, deux ou trois fois une heure par semaine. J'ai débuté cette activité au bout d'un mois. C'est là où j'appris à me servir d'un ordinateur, mais pas d'Internet. Internet à l'époque en prison, ça n'existait pas.
Le matin, les matons venaient nous ouvrir les portes pour nous compter, voir s'il ne manquait personne ou que personne ne s'était pendu pendant la nuit. Ensuite, nous pouvions circuler dans notre aile, et vaquer à nos activités.
Les repas se prenaient vers 11 heures 45 et, le soir, à 18 heures.
On pouvait cantiner de tout. Je m'étais équipé d'une plaque électrique et donc je me mis un peu à cuisiner. Il fallait seulement que je fasse attention à ma ligne. C'est pour cela aussi que je faisais du sport à fond.
Entre amis
Très vite, je me fis de nouveaux potes. En particulier à l'entraînement, au gymnase et sur le terrain de sport. Je retrouvai aussi d'anciennes relations, des types que j'avais connus lors de mes divers séjours à l'ombre.
Parmi eux, il y avait un Corse, un ancien de la centrale de Poissy, des années 80 -, et qui devait être transféré sur Arles où l'attendait son frangin emprisonné là-bas. Il en avait repris pour 15 piges le gars, à cause d'un braquage mal négocié, je crois.
Il y avait Philippe, un pote à moi de Villejuif, qui n'avait plus que trois piges à tirer et plusieurs gars de Rouen qui, pour la plupart étaient logés à la maison d'arrêt, à côté de chez nous.
(The Koestler Trust : Long Walk Home)
Certains étaient en transit pour Fresnes ou bien pour ailleurs, mais on réussissait à se voir sur le terrain du sport – et nous étions bien heureux quand même de nous retrouver.
Bien sûr, je me fis aussi d'autres connaissances. La prison ça permet d'élargir le cercle de ses amis. Il y a avait un mec de Creil et un autre de Beauvais : Freddy. Freddy devint vite mon nouveau partenaire, celui avec lequel je m'entraînais à la course à pied. C'était un garçon courageux.
Et les matons fermaient les yeux
Mon premier parloir avec Christine eut lieu trois semaines après mon arrivée. Un double-parloir d'une heure. Comme à Rouen, nous étions séparés par une tablette, mais les matons ne venaient pas nous déranger et cela renforçait notre intimité.
Son père me l'amena par la suite tous les quinze jours. Rouen-Laon, aller-retour, ça fait bien 500 kilomètres, c'est pas la porte à côté. Mais nous pouvions aussi nous téléphoner régulièrement et cela rompait ma solitude.
(Laurent Jacqua : L'oiseau libre)
Les jours s'écoulaient ainsi, tranquillement, entre sport, promenade, cours d'informatique et sieste aussi. Et puis de temps en temps, même si c'était pas trop autorisé, je m'en allais boire le café dans une autre aile, et les matons fermaient les yeux...
Un boulot pas trop chiant
Au mois de juin 2001 – ça faisait alors quatre mois que j'étais arrivé -, je parlai au gars qui était chargé d'installer les postes de télé dans les cellules. Il était libérable. Il allait être remplacé. Je lui dis que son job pouvait me convenir.
Je lui proposai d'en toucher deux mots aux bricards. De mon côté, je fis une demande par écrit. Peu après le chef m'appela pour me demander si la place d'auxi TV m'intéressait. Bien sûr que ça m'intéressait !
Le boulot consistait à installer la télé aux arrivants et à récupérer les postes dans la cellule des libérables. Il me dit qu'il me faudrait aussi pouvoir donner un coup de main au gameleur, midi et soir. C'est ainsi que j'ai installé des télés jusqu'à ma libération.
C'est un travail qui me convenait parfaitement : un boulot pas trop chiant et qui me permettait de naviguer à gauche et à droite dans tout le centre de détention. En plus, tous mes potes de sport étaient auxis et avec eux on formait une bonne équipe.
En prison, y a pas de petites économies
Le boulot était tranquille. Ça me laissait suffisamment de temps libre pour mes autres activités, et même je pouvais passer, de temps en temps, sur la maison d'arrêt d'à côté, histoire de dépanner.
L'avantage, c'est que j'avais droit à la télé gratuite et même pour le frigo, je n'avais plus à payer la location. En prison, y a pas de petites économies : les petits avantages, il faut pas les négliger !
Sans oublier le fait que de filer la main à l'auxi pour les gamelles, midi et soir, me donnait accès aux cuisines ! Et donc à de la bouffe en plus...
Bon, côté salaire c'était pas mirobolant. Je touchais 800 francs par mois. Quand j'ai commencé, c'était on était encore payés en francs. Quand je suis sorti on comptait en euros, et en euros ça faisait beaucoup moins !
Je travaillais seul. J'avais les clés du local où on entreposait le matériel, juste à côté du salon de coiffure. J'organisais ma journée. Quelques mois avant ma sortie, ils m'ont collé une matonne, pour contrôler que je n'aille pas installer du matériel dans des cellules où les détenus n'avaient pas le sou pour payer la location. Moi, Trafiquer ! à mon âge ! Mais pour qui me prenaient-ils ?
La matonne passa son temps à faire et refaire l'inventaire, sans arrêt, et elle me confisqua les clés du local. Je crois qu'elle n'avait pas confiance. Je n'avais plus qu'à espérer mettre la main, tôt ou tard, sur une autre clé : la clé des champs, qui me permettrait enfin de sortir enfin de cette prison.
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Laon 2002 : A l'air libre
Au centre de détention de Laon, j'étais devenu l'auxi-Télé. Cette activité et le reste occupaient mes journées, mais entre les murs d'une prison, à force, forcément, on se sent à l'étroit. Je n'espérais plus que de pouvoir aller respirer un grand bol d'air. L'idée de l'évasion ne m'étant pas venue l'esprit, je décidai d'attaquer le problème autrement et de demander à bénéficier d'une permission de sortie.
La demande de permission
A la rentrée de septembre 2001, je demandais à voir les gars du SPIP (le service de probation et d'insertion pénitentiaire). Ça allait faire 28 mois pleins que j'étais incarcéré, le moment était venu pour tenter une sortie...
Le surlendemain, une jeune-femme me fit appeler. Je ne l'avais jamais vue. D'ailleurs, je n'avais jamais vu personne du SPIP depuis mon arrivée. Ce devait être des gens très discrets. Je lui présentai ma demande. Je désirais poser une permission pour me rendre à mon domicile, à Rouen.
Elle ne s'y montra pas favorable. Elle me suggéra de la poser plus tard. Je lui dis : « Je pose. Je bosse ici, je suis marié, j'ai un domicile, y'a pas de raison ! Je pose... » Déterminé, j'ai ajouté que j'allais lui transmettre rapidement les documents. Le motif ? 'Pour maintien des liens familiaux'.
Christine s'occupa de rassembler alors tous les papiers nécessaires et de les transmettre. Il fallait compter entre deux ou trois semaines pour l'enquête. Rien ni personne ne s'opposait à une permission sur Rouen : je n'avais pas d'interdiction de séjour. Ni même les flics ne pouvaient s'y opposer. C'est d'ailleurs ce que dira l'enquête.
La commission des permissions se réunissait le troisième jeudi de chaque mois. Ma demande fut examinée fin octobre. J'attendis la réponse. En principe, c'est le bricard qui vient t'avertir. Tu dois alors signer la notification d'acceptation ou le refus. C'est seulement à ce moment-là que tu sais si c'est bon... ou pas.
Merci le cadeau !
Le chef me fit appeler le jour-même, après la commission, en fin d'après-midi. Ma demande était refusée. En voyant mon désappointement, il tenta de m'expliquer que la première fois, les demandes de permission étaient souvent refusées. Je lui dis qu'à Poissy, j'avais obtenu des permissions et que j'étais toujours rentré. « Je sais..., me répondit-il »... Je sais, je sais... A quoi bon discuter !
J'étais déçu mais je ne perdis pas espoir. Je renouvelai ma demande environ trois semaines plus tard. Je savais qu'il y aurait deux commissions en décembre, coup sur coup, sur deux jours, à cause des fêtes. Pour les fêtes, les détenus demandent plus de permissions de sortie.
En centre de détention, une fois que tu as effectué les deux-tiers de ta peine, les permissions c'est un droit. Enfin, comme toujours, un droit soumis à l'appréciation du JAP, le juge d'application des peines. C'est lui qui décide, en fin de compte. Tu as droit à 5 jours tous les trois mois (plus un délai de route) et une fois par an à 10 jours de permission, pour maintien des liens familiaux.
J'attendis donc la commission du mois de décembre 2001. Nous n'étions plus très loin de Noël. Et là : merci le cadeau ! ma demande fut enfin acceptée. Je pourrais sortir le 30 décembre, pile pour la Saint-Sylvestre. J'allais fêter le passage à la nouvelle année en 'liberté' ! Mon premier Réveillon à l'air libre depuis plus de deux ans.
Un peu de pub
En attendant cette future sortie – toute provisoire-, mais à présent certaine, tous les matins je m'entraînais. Je courais 10 kilomètres en rond sur la piste du terrain de sport. Je courais avec Freddy, un petit jeune de Beauvais qui était devenu mon partenaire d'entraînement. Tous les deux on courait bien et on se donnait du courage.
Un jour, en parcourant la presse locale, - dans L'Aisne Matin -, je remarquai que la course à pied se pratiquait pas mal dans le secteur. De nombreux critériums étaient organisés régulièrement dans les quatre coins du département. Je pris l'initiative de m'adresser aux profs de sport, enfin : aux matons qui étaient chargés de l'encadrement sportif.
« Ça serait pas mal que vous en tapiez deux mots aux JAP et à la directrice, que je leur ai dit. Ils pourraient nous autoriser des permissions de sorties, pour aller courir en-dehors, avec des gens de l'extérieur... Et ça serait bien pour vous que des détenus représentent le centre pénitentiaire de Laon ! Ça vous ferait un peu de pub ! »
L'idée leur a bien plu
L'idée leur a bien plu puisque peu après je rencontrai la directrice – la sous-directrice, pour être précis -, alors qu'elle effectuait un passage à la salle de sport. C'était une petite jeune femme, fraîchement sortie de l'école. (De l'école de la Pénitentiaire, pas de l'école primaire !)
Laon devait être son premier poste. Je ne la connaissais pas personnellement : je n'avais jamais eu affaire à elle. Elle venait d'arriver depuis pas longtemps. On la voyait dans les coursives ou sur le terrain de sport quand elle passait.
L'entretien fut direct. J'étais avec Freddy. Elle paraissait ouverte à nous écouter. Je lui ai expliqué l'intérêt, de nous donner la permission, même escortés, de participer à une course-à-pied organisée à l'extérieur. Elle trouva l'idée intéressante. Elle nous dit qu'elle avait l'idée d'organiser des randonnées en VTT, aussi sous forme de permissions ou accompagnées, pour des détenus.
Mais elle rajouta, pour se garantir : « Vous savez, ce n'est pas moi qui décide, c'est le juge d'application des peines... » Elle se montra néanmoins disposée à appuyer notre demande. C'est sûr : l'idée était bonne !
Et pour Freddy et moi, si ça marchait, cela nous permettrait de sortir entre deux permissions. Nous avions vraiment l'envie d'aller respirer un bol d'air à l'extérieur ! Je me chargerais les jours suivants de trouver des courses dans le secteur, et de transmettre l'info via les moniteurs de sport.
En attendant il fallait voir et attendre pour savoir si ça allait intéresser le JAP. De toute façon, il fallait son accord. Pour ça, c'était lui le chef.
La compète après les fêtes
Le projet remonta toute la chaîne. Chaque fois que je rencontrais la sous-directrice, je ne la lâchais pas. En décembre nous obtenions une réponse favorable. Le JAP ne s'opposait pas. Il y mettait seulement une condition : ce ne serait que des permissions à la journée : sorti le matin et rentré le soir !
Bien sûr, tout ça restait encore à confirmer. L'accord n'était que verbal : rien de définitif. Il fallait concrétiser. Cela renforça ma motivation. Nous décidâmes, Freddy et moi, d'attaquer la compète après les fêtes, une fois rentrés de permission. Chaque matin, je parcourais plus assidûment les pages de L'Aisne-Matin afin de trouver les dates des futurs critériums.
Le 30 décembre 2001 au matin, pour ma sortie en permission, Christine était à l'heure et son père était là aussi. C'était notre fidèle chauffeur. Elle sonna à la porte de la prison, elle donna son nom et le mien. Il fallait cela pour que je puisse sortir. Sans cela ils ne m'auraient pas lâché.
Ça y est, j'étais dehors ! Provisoirement bien sûr, mais dehors et à l'air libre. J'ai pu passer le Réveillon et fêter la Nouvelle année à Rouen ! Ce furent cinq jours merveilleux, avec mon épouse, bien loin au-delà des murs de ma prison.
Rouen l'hiver
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Laon 2002 : Les foulées de la liberté
Je venais d'obtenir ma première permission depuis que j'étais retombé en 1999. J'avais passé cinq jours heureux à Rouen avec Christine, mon épouse. Mais, comme on dit : toutes les bonnes choses ont une fin et je regagnai Laon, et son centre de détention, en temps et heure. A partir de ce moment, j'ai pu bénéficier régulièrement de perm, une fois tous les trois mois, jusqu'à ma sortie, qui eut lieu en mars 2003. J'obtins même 10 jours pour les fêtes, fin 2002.
Un bon café noir et nous stimuler
En ce début d'année, j'étais fort occupé. Dès mon retour en taule, je me mis à feuilleter les pages du journal local à la recherche des courses-à-pied régionales. Dès que j'en remarquais une, j'allai voir les profs de sport, avec l'article sous le bras...
C'est ainsi que Freddy et moi, on déposa ainsi notre première demande de sortie. Dans L'Aine Nouvelle, il y avait eu l'annonce d'une course pour le premier dimanche de mars. Elle devait se dérouler à Laon, à l'intérieur des remparts de la ville.
Le Juge d'application des peines nous accorda une permission d'une journée, comme prévu. Nous sortirions de 8 heures le matin et serions de retour, le soir, à 18 heures : obligation de rentrer en prison à la fin de la course, et pas le droit de s'évader ! Ça nous laissait quand même un peu de temps libre : la course ne débutait qu'à 10 heures. Freddy avait donné rendez-vous à son frangin en-dehors pour qu'il vienne nous chercher.
Nous sommes sortis vers 8 heures 15, après une fouille légère et qu'on soit passé au greffe pour récupérer un peu d'argent de poche. Le frère de Freddy nous attendait dans sa bagnole. Le départ de la course se situait bien à 4 ou 5 kilomètres de la taule, valait mieux être véhiculé si on voulait arriver en forme.
En route, nous avons fait une halte pour prendre un bon café noir et nous stimuler. Puis nous sommes allés nous présenter aux commissaires de course et nous avons reçu nos dossards à accrocher sur nos maillots. Il ne fallait pas rater le départ.
Fallait pas se griller
Une course de 10 kilomètres ça se prépare. Ces 10 kilomètres n'avaient rien à voir avoir ceux qu'on courait habituellement dans la cour. Je peux dire que j'en ai chié. Dans la cour, tu cours en rond, sur du plat. Mais là, y avait des côtes et des descentes. Rien à voir avec le circuit de la prison !
Faut dire aussi qu'on avait aussi affaire à des adversaires coriaces : de sacrés bons coureurs ! Dans l'Aisne, ils courent bien les mecs ! Ils se connaissaient tous, c'étaient toujours les mêmes. Pour Freddy, la course fut plus facile, c'est qu'il avait une bonne foulée lui aussi, le bougre ! et qu'il était plus jeune que moi. L'âge, ça compte.
Et le résultat fut, cette fois-là, un peu pareil aux fois suivantes. Freddy arriva dans les premiers bien avant moi. Et moi j'étais dans les derniers. Mais le principal, n'est-ce pas de participer ? Et surtout, pour Freddy et moi, qu'on soit dehors !
Après la course, avec le frangin de Freddy, pour nous restaurer on se trouva un bon petit resto du côté de la gare et, ensuite, on a même fait un petit tour de ville, comme de vrais touristes ! A six heures moins le quart, le frangin nous a déposé devant la maison d'arrêt, 15 minutes avant l'heure fatidique, pour pas qu'on dise qu'on avait du retard. Fallait pas se griller si on voulait renouveler l'affaire !
Ça m'allait bien
Au départ, nous n'étions que deux : Freddy et moi, deux de la prison, je veux dire. D'abord on ne savait pas si on aurait l'accord de la direction et du JAP. Jusqu'au dernier moment tout pouvait être remis en cause. Une sortie en permission de la sorte, c'est comme un plan d'évasion. Jusqu'au dernier moment, on n'est jamais sûr.
C'était un projet qui se mettait en route. La sous-directrice ne voulait pas entendre qu'il y ait plus de deux ou trois détenus par sortie : pas un régiment ! Fallait aussi que ça tourne, que ce ne soient pas toujours les mêmes, c'est normal. Et comme ça a marché, ça a permis à d'autres d'en profiter aussi.
Pour moi, cela m'allait bien. Ça me faisait des coupures entre deux permissions à Rouen. En gros, je ne me souviens plus exactement, mais j'ai dû participer à une bonne dizaine de courses.
Tout roulait et tout le monde était contents. Y avait pas de jaloux : d'autres gars pouvaient en profiter, les moniteurs de sport et la sous-directrice étaient ravis. Cette expérience leur a même permis d'organiser d'autres sorties, en randonnées VTT, pour d'autres détenus.
J'ai souffert mille morts
Je participai à plusieurs courses de côtes et même de montagnes. Parce que l'Aisne, ça monte et ça descend. Une fois je terminai second, second des vétérans, attention... bien loin derrière les jeunes premiers ! Mais le plus souvent, je me hissais péniblement à l'avant-dernière place. C'est la dure loi du sport : faut un premier et un (avant-)dernier !
« Jean-Pierre a souffert mille morts pour arriver au but », souligna le journal local, qui fit un article sur notre participation à la célèbre course de Villeneuve-Saint-Germain. (voir ci-joint). Et c'est vrai que je transpirais beaucoup. Tous mes potes du centre de détention étaient heureux, surtout quand je ne finissais pas à la toute dernière place !
Les matons eux, pour la plupart, s'en foutaient, - à part un ou deux qui nous demandaient si ça s'était bien passé. La course à pied ne les passionnait guère. Quant à la Direction, tant qu'on rentrait à l'heure et qu'on ne s'évadait pas, elle n'y trouvait rien à redire.
(L'Aisne-Matin - cliquez pour agrandir)
Durant ces compétitions, je rencontrais les célébrités locales de la course de fond : Jacques Friedrich ou José Bastos : des pointures du footing, ces gars ! José est même venu, plus tard, en prison, pour le Téléthon.
Je pense que l'expérience se poursuit encore aujourd'hui, au sein de la prison de Laon. Au moins, j'avais réussi-là quelque chose de bien - après toutes ces années passées derrière les barreaux ! Grâce au soutien, c'est vrai, pour une fois, de l'Administration pénitentiaire : des matons-moniteurs de sport et de la petite sous-directrice.
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Laon 2002 : A boulets rouges
A la prison de Laon, j'étais à présent un détenu très bien intégré. Je travaillais comme auxi-Télé : j'installais quotidiennement des postes et des frigos dans les cellules et je m'arrangeais pour donner un coup de main à la distribution des gamelles. Je sortais régulièrement en permission, tous les trois mois, et je participais à la vie sportive locale, lors de courses et de critériums où je figurais très honorablement. Pour cela, je m'entraînais dur, quotidiennement, à la salle de sport et sur le terrain.
Mes relations avec les autres détenus étaient super. Je connaissais tout le monde à présent. J'ai toujours été un gars correct pendant toutes mes incarcérations. A partir du moment où tu es correct et droit, en prison on te considère bien.
Fouille générale
En 2012, nous eûmes droit à une fouille générale : fouille générale de toute la prison. Le bruit avait couru qu'un flingue se cachait quelque part. Nous avons passé une journée entière, le CD tout entier dans la cour, le temps de la fouille. Ils n'ont rien trouvé d'ailleurs, et ont fini la journée bredouille.
Mais nous, de notre côté, on a commencé à gueuler : on commençait à se les geler, dehors comme ça à poireauter. Certains avaient démonté les poteaux de volley-ball pour s'en servir comme bélier afin de défoncer la porte. On voulait rentrer en cellule : on avait froid !
Une délégation a demandé à rencontrer le Directeur régional, puisque le bonhomme était présent pour la fouille. Il promit qu'à 17 heures tout serait terminé. Ce qui fut le cas. Mais en regagnant nos cellules : quel désastre ! Tout avait été mis sens dessus dessous, nos affaires renversées, les photos que nous avions collées sur les murs avaient été arrachées.
On eut beau protester. On obtint seulement qu'on nous rendît certaines affaires qui nous avaient été confisquées, en particulier nos réchauds, que les surveillants avaient emportés, va savoir pourquoi. Voilà, pas un mot d'excuse. Pour eux, c'était normal. C'était comme si des cambrioleurs s'étaient introduits dans nos chambres. Il ne nous restait plus qu'à tout ranger...
Une fouille de cellule - Bernard Georges. © DR
Le Foyer Saint-Paul
A cette période, je retournais à Rouen régulièrement : une fois tous les trois mois en permission. Christine et son père venaient à chaque fois me chercher en bagnole. Et Rouen, depuis Laon, je peux vous dire que c'est pas la porte à côté !
Je me réhabituais petit à petit à la vie civile et cela me permettait d'envisager ma future sortie plus sereinement. Parce qu'il fallait bien qu'un jour, quand même, je sorte ! C'est au cours d'une de ces permissions que je trouvai à Rouen un foyer, le foyer Saint Paul, qui proposait du travail aux détenus, en lien avec le JAP de Rouen.
C'était un centre d'hébergement qui accueillait des sortants de prisons, ou bien des gens de l'extérieur sans domicile, des femmes seules ou avec enfants, etc. Il se trouvait (et se trouve toujours), à vol d'oiseau, à deux kilomètres de chez moi.
J'ai pris mon courage à deux mains et je leur expliquai ma situation, où j'étais détenu, et que je cherchais du boulot. Je leur demandai s'ils pouvaient me prendre en semi-liberté. L'idée était que je dormirais le soir sur le foyer et le week-end en permission à mon domicile.
Elle ne voyait les choses comme moi
Le responsable me donna son accord de principe, mais pas avant fin octobre, me dit-il. Il fallait qu'une place se libère. Nous étions alors début septembre (2002). Il désirait bien sûr me rencontrer pour un entretien plus approfondi, et c'était bien normal.
Il s'engagea à écrire au SPIP de Laon (et de m'adresser un double – au cas où le SPIP égarerait le courrier – en prison, parfois, il y a aussi des lettres qui se perdent !) Le type tint parole et écrivit. C'était bon ça : en plus ça me ferait une permission supplémentaire : pour me rendre à l'entretien !
De retour en taule, tout content, je demandais à rencontrer le SPIP, le service de probation et d'insertion. j'étais heureux de pouvoir les informer de toutes mes démarches. Je fus reçu le surlendemain.
Aïe ! C'était la même bonne femme que j'avais vue la fois précédente, la seule fois où j'avais voulu utiliser leur service. D'avance, c'était clair que je ne m'entendrais pas avec elle. Elle ne voyait pas les choses comme moi. Elle le portait sur elle. Elle m'était franchement antipathique.
Il fallait juste qu'elle m'accorde une perm, pour me rendre à cet entretien : j'avais-là un emploi à la clé, je tenais le bon bout : celui de ma réinsertion ! Je plaidai ma cause avec vigueur. La réinsertion ? J'avais l'impression de parler dans le vide. Butée, la nana, comme la plupart des gens du SPIP.
Elle m'écouta attentivement en hochant la tête... Elle me dit de revenir quand elle aurait reçu le courrier de mon éventuel employeur.
Merci le SPIP !
Quand elle me reçut la seconde fois, elle avait la lettre du foyer entre les mains. Très vite, elle me fit comprendre que je ne pourrais pas, de toute façon, me rendre à Rouen pour la bonne raison que je venais à peine de rentrer de permission. Je n'avais qu'à attendre ma prochaine perm, dans trois mois, fin décembre.
«Je crois que ça va pas être possible : vous auriez dû nous faire part de votre demande plus tôt. Le juge d'application des peines va sûrement refuser... me dit-elle, ». Elle tenta de m'amadouer en me proposant de faire une demande de libération conditionnelle. Pas folle la guêpe ! Elle voulait me tendre une carotte avec sa conditionnelle...
Elle avait fait le calcul pour moi : avec toutes mes remises de peine et tout, j'étais libérable au printemps 2003. «C'est vrai qu'avec toutes vos condamnations, rajouta-t-elle pour me réconforter, il y a de fortes chances que même la libération conditionnelle vous soit refusée ! »
Alors de sa conditionnelle, tu parles si j'en n'en voulais ! « Posez quand même ma demande de permission auprès du juge !» lui ai-je demandé pour conclure. Elle ne me répondit pas. Je suis alors sorti de son bureau avec les boules. C'était mal barré.
Je tirai à boulets rouges
La demande, fut déposée mais la réponse du JAP fut évidemment négative.
Sans appui du SPIP, c'était râpé d'avance, bien entendu. Comme d'habitude, c'est le bricard qui vint m'annoncer la nouvelle : « Refusée ». Et lorsque je lui ai demandé des explications, il me dit simplement que lui ne siégeait pas à la commission, qu'il ne savait pas, que je n'avais qu'à m'adresser au SPIP.
J'écrivis donc, et je fus à nouveau reçu par la même bonne femme. Toujours aussi antipathique. « La commission a refusée parce que vous êtes trop près de votre libération. Je vous l'avais dit ! Et, en plus, vous avez refusé d'envisager une procédure de demande de libération conditionnelle ! Vous auriez dû m'écouter... ».
Voilà, l'affaire était close. Bravo le soutien pour la réinsertion des détenus ! Merci le SPIP ! Pour une fois que je me levais le cul pour leur trouver une 'solution' : ça m'apprendra. Après ça, je n'ai plus rien tenté.
L'Aisne Nouvelle (03/07/03) : "A la sortie, on à la rage"
Quelque temps plus tard, il est paru dans le journal de L'Aisne un papier sur le SPIP et la prison. Ils vantaient leur service et le bon fonctionnement de la taule ! Là, ni une ni deux : j'ai écrit à la journaliste qui avait commis l'article.
Elle fit un nouvel article où elle reprit ce que je lui avais transmis. Je tirai à boulets rouges sur les conseillers d'insertion et sur tout le fonctionnement de la prison.
L'Aisne Nouvelle : A boulets rouges sur la prison (cliquez pour agrandir)
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Laon 2003 - Epilogue
Je n'avais donc plus qu'à attendre la fin de mon incarcération. Je savais à présent que je ne bénéficierais jamais d'une quelconque libération anticipée. J'ai pu toute de même bénéficier sans problème de mes permissions trimestrielles de cinq jours – et, pour les fêtes de fin d'année 2002, j'ai même eu droit à dix jours. J'avais au fond de moi les boules de me dire que la seule permission qui me fût refusée fut celle pour me rendre à un entretien d'embauche !
Mes adieux
Bon, mais l'un dans l'autre, tout se passa bien jusqu'à ma remise en liberté. J'ai pu avoir toutes mes remises de peines - sauf les grâces du 14 juillet car dans les affaires de stups tu ne touches pas de grâce -, et je fus libéré le 1er mars 2003.
Mes adieux à la prison de Laon furent des plus rapides. Un au-revoir à mes potes, à ceux avec qui je jouais au foot et je m'entraînais, un adieu aux gars avec qui je partageais la gamelle. Quant à Freddy, je savais qu'on allait se revoir. Il devait sortir quelques mois plus tard. En juillet 2003, nous étions ensemble à Rouen pour admirer l'Armada, le grand rassemblement de bateaux, venus des quatre coins du monde.
Mon job d'auxi-télé, je l'ai refilé à un gars qui était arrivé quelques mois plus tôt du centre de détention du Val-de-Reuil. Un mec bien, un gars de Paris, que j'ai revu plus tard du côté de Saint Maur-des-fossés. Quant à la petite sous-directrice qui nous avait permis à Freddy et moi, et puis à tant d'autres ensuite, de s'aérer en participant aux compétitions locales de courses-à-pied ou aux sorties en VTT, je ne sais pas ce qu'elle est devenue. C'est vrai que sans elle il n'y aurait pas eu de permissions sportives...
La prison, ça te marque à vie
Devant la porte de la prison Christine la fidèle était là, comme d'habitude, et son père aussi. Nous avons pris la route ensemble et nous sommes rentrés tranquillement à Rouen. Je laissai derrière moi ma vie de taulard. Je retrouvai mon appartement, une petite vie tranquille, et Rouen, ma ville d'adoption.
Depuis, je coule une petite vie pépère, une vie de retraité. Bien entendu je ne regrette rien. J'ai payé ma dette à la société. Mais aujourd'hui encore je vis avec la prison. La prison, ça te marque à vie, tu ne l'oublies jamais. Tu la quittes, certes, mais elle, elle ne te quitte pas.
Bien souvent encore, j'aime à m'isoler, j'aime à penser à tous ceux qui y sont restés, à ceux qui sont tombés après moi, et qui souffrent là-bas, où les peines sont de plus en plus longues.
Pendant toutes ces années passées en détention, j'ai gardé mes amis. Je m'en suis fait d'autres aussi : la prison ça vous permet de connaître aussi des gens bien. Certains sont vivants, d'autres sont morts depuis. Je pense à mon ami, le Grand Gaston, qui fut comme mon deuxième père et mon maître à penser. Il est décédé il y a de ça 6 ans maintenant. Je lui dois beaucoup, Paix en ton Ame, l'Ami !
Christine la fidèle
Pendant toutes ces années, Christine, mon épouse a toujours était présente à mes côtés. Elle en a fait des kilomètres et des kilomètres pour venir me voir ! Elle n'a jamais loupé un parloir. Elle a tout sacrifié pour moi : toutes ses plus belles années. Elle a tout fait pour que jamais je ne manque de rien et je sais qu'elle a dû souffrir aussi parfois. Elle m'a tant donné ! Elle est mon grand Amour et je lui dois mon plus grand respect.
Mes Parents aujourd'hui ne sont plus là. Eux aussi répondirent toujours présents. Mon seul regret c'est d'avoir vu pour la dernière fois ma mère dans un cercueil alors que j'étais escorté par des flics. Les Parents de Christine ont toujours été là aussi, pour nous soutenir.
Nicoby et Sylvain Ricard : 20 ans ferme (2012)
Pas grand-chose n'a évolué
Nous sommes à présent en 2014, début 2014. Depuis, je n'ai pas remis les pieds dans une prison. Enfin : pas de nouveau ! Je préfère me battre avec beaucoup d'autres anciens détenus.
Dans un pays, comme la France, où on nous parle de réinsertion d'un côté, mais où on inflige des peines de plus en plus lourdes, de l'autre, comment s'étonner si la prison reste un problème ?
La Société et ses gouvernants portent une lourde responsabilité. Toujours le double langage, celui de la carotte et du bâton : dire une chose et faire son contraire.
Réagir ! Réagir et lutter contre cette administration pénitentiaire qui n'en fait toujours qu'a sa tête, à coups de brimades, d'humiliations, de pressions et de menaces, sur les détenus mais aussi sur leur famille. C'est ainsi que marche la Pénitentiaire.
© Maryse Clerget Delpech
En prison, j'ai connu toutes les époques, depuis les années 70 et, quoiqu'on en dise, pas grand-chose n'a évolué depuis.