journal d'un détenu au quartier des "Isolés" - Prison des Baumettes à Marseille
En bas, un sol recouvert de déchets
Poubelles vidées aux fenêtres
Nourriture, bouteilles ou vêtements
En face, un mur de pierre
Chemin de ronde et caméra
Pointée sur ma cellule
A côté, un gros câble barbelé
Avec fils électriques branchés
Et lames de rasoirs dressées
En haut, enfin, un peu de ciel
Morceau juste assez grand
Pour voir l’humeur du temps
La liberté est là
Sous les bruits de clés
Ou dehors, des grosses cylindrées
Mêlés à celui de la pluie
Ou des gens qui crient
Détenu anonyme publié par Ban Public
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Poètons ensemble, ô Poètes de l'ombre...
Parmi les plus grands poètes, quelques-uns ont fait l'expérience d'un séjour à l'ombre...
Voici quelques de leurs poèmes. Je pense qu'ils les auraient volontiers dédiés à tous ceux qui ne connaîtront jamais le vertige de la chute. Pour eux : point de salut...
IMPRIMER LES PAGES PUBLIEZ VOUS AUSSI
Poètes d'aujourd'hui : Kamel : Slam aux Baumettes (2014) Laurent Jacqua (2013) : Prison, je vomis ton nom... Josina Godelet : Fantomes Patrick Moreau : Deux poèmes Tentatives d'évasion (2014) : Ombres et Lumières à Clairvaux Le billet-poème : Paroles de détenus Lutz Bassmann (2008) : Haïkus de prison Philippe Leclercq (2006) : Murmures emmurés Luigi Ciardelli (2001-2002) : Deux poèmes Jacques Mesrine (1980) : Le Mitard
Poètes d'hier : François Villon, Paul Pellisson-Fontanier, Alfred de Musset, Paul Verlaine Oscar Wilde, Guillaume Apollinaire, Jean Genêt,
Poèmes en taule d'un Résistant et d'un Collaborateur : Robert Desnos, Robert Brasillach Des deux qui fut l'Ange et qui fut le Diable ?
Enfin, il aurait bien mérité cet Enfer afin que d'y rêver plus d'une saison : Arthur Rimbaud* Et le poème d'un mineur anonyme détenu au début du XX° siècle à la prison de la Petite Roquette à Paris : "Ma cellule"
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Debout écrit par David Etre derrière des barreaux, mais être debout (Journal : l'envolée 2001)
*** Poètes d'ailleurs : |
D'autres liens :
Talents cachés // Paroles d'artistes
Sud Ouest (19/08/13) : Des poètes prisonniers récompensés
Des poètes derrière les barreaux, de F. Balandier (2012)
Poètes en prison // Poèmes de prisonniers, (2004)
"En lisant vos poésies" extrait du Cercle des Poètes Détenus
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Kamel a 25 ans et vient d'être jugé en première instance à 25 années de réclusion...
Pour écrire à Kamel :
CENTRE PÉNITENTIAIRE DES BAUMETTES
Bouabdallah Kamel, numéro 173535
239 CHEMIN DE MORGIOU
13404 MARSEILLE CEDEX 20
Sur Facebook : Kamel Collectif
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Laurent Jacqua (2013) : Prison je vomis ton nom...
LIRE LA SUITE : Laurent Jacqua : Prison je vomis ton nom
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Patrick Moreau - deux poèmes
Le diable connait la chanson
Caméra sur la rue, Mirador à l’affût. Et à perte de vue, Des murs, des barbelés, Via l’arbitraire des féodés. Les barreaux aux fenêtres, Les matons, le parloir. Les cris dans les couloirs. Pour les îles au soleil, On verra ça plus loin. Plus tard. Dans leurs prisons, ta cellule, c’est ton horizon. Dans leurs prisons, le diable connait la chanson. Brimades, humiliations, Quelles que soient les raisons. Traquenards et croche-pieds. Si t’as pas le bon ticket, Ils te le feront cher payer. Le prétoire, le mitard, Les ordres aboyés. Les sévices en loucedé. Dans ce monde infernal, Même le pire en est banal. Dans leurs prisons, la loi, c’est celle du talion. Dans leurs prisons, le diable connait la chanson. Dans cet univers clos, Aux âpres surveillances, Prends-garde aux faut dévots Et entre en résistance. Ne laisse personne avoir ta peau. Devant l’autorité Castratrice des cours, Comment ne pas hurler ? Comment aimer d’amour Si le cœur n’est d’aucun secours ? Dans leurs prisons, à t’en faire perdre la raison, Dans leurs prisons, le diable connait la chanson. Dans leurs prisons, la nuit trinque avec les démons. Dans leurs prison, le diable est l’ami des matons.
Flash back
J’n’avais rien bu de la semaine Ni même fumé, enfin, à peine. La télé mentait au salon. Le chat jouait sur le balcon. Quand, d’un seul homme, ils sont entrés, Sans un sourire et m‘ont sonné. Ils m’ont balancé sur le sol. Do ré mi do ré mi fa sol.
Coincé dans ce pandémonium, Entre barbelé et valium, Je ronge mon frein et ma santé. La vie, tu sais, n’est pas un conte, Faut pas croire tout c’qu’on te raconte. On ne fait rien que nous enfumer.
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J’ai pris 10 piges comme qui rigole, Ça m’apprendra à faire le mariol. Braqueur de banques, c’est un métier. Y’a des trucs, faut pas y toucher. Sitôt sorti du pourrissoir Où j’ai vaincu ma peur du noir, Je m’suis payé une conduite, À crédit et un peu recuite.
La vie, tu sais, n’est pas un conte, Faut pas croire tout c’qu’on te raconte. On ne fait rien que nous enfumer. La gauche, la droite et tout l’toutim, C’est tout pareil à un champ d’mines. Attention où tu mets les pieds.
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La gauche, la droite et tout l’toutim,
C’est tout pareil à un champ d’mines.
Faudrait voir à se réveiller !!
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Fantomes par Josina Godelet
Les Fantômes la Nuit font revivre ces murs
Combien de désespoir, de souffrance et d'attentes ?
Dans ces pierres gravées depuis combien d années ?
Combien de femmes enfermées de coupables et d'innocents ?
De familles brisées par une longue attente..
Ils en ont vus ces murs divisant la prison
ces murs où sont gravés d'étranges souvenirs
Quand vient le nuit ils se parlent , ils gémissent et ils souffrent
ils transpirent de haines et de lointains soupirs
ils transpirent un parfum plus âcre que le souffre
9 mètres carrés forment une société
de 2 numéros sans personnalité
9 mètres carrés où à deux serrées
il n'y pas plus de place pour savoir espérer
Ces murs ont un passe, une histoire profonde
un désespoir aigu grave en chaque pierre
une accumulation de haines et de frondes...
Lire :
Josina Godelet (2013) : Journal de bord d'une détenue - brunodesbaumettes.overblog.com
En prison on en devient ses murs....& * * * &Je regardais la route, nous approchions du but, la direction fut prise, nous nous éloignions de la ville. Depuis un moment nous longions un mur si haut...
http://brunodesbaumettes.overblog.com/2014/05/josina-godelet-2013-journal-de-bord-d-une-detenue.html
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Le billet-poème (2010) : Paroles de détenus
Nicolas Lebeau a animé en 2010 des ateliers d'écriture poétique à la Maison d’Arrêt des Hommes deFleury-Mérogis. Sur son blog : lebilletpoeme.fr, il nous permet de le suivre pas à pas, dans cette 'aventure'.
Au fil de l’eau, ce sont 43 textes qui sont récoltés, lus devant tous, corrigés, approuvés par le groupe... 7 détenus au total ont participé au travail d’écriture. Ils se la sont appropriée...
Patou, Loïc, Oumar, Johan, David, Mohamed, Todor, Alain, Bakari, Jean Pierre, voici sept de leurs poèmes, mis en image par Murielle Poudoulec, infographiste
Lire l'article complet : Le billet-poème : Paroles de détenus (2010)
Contact : Le billet-poeme.fr
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Tentatives d'évasion
Ombres et lumières à Clairvaux
Ouvrage collectif
Sous la direction d'A-M Sallé & J. Salmon
Jacky, Frank, Kirru, Jean-Pierre, Éric, Agustin, Hadi, Dumé, Adrien, Bruno, Christophe, Denis, François, Gilles, Ilich, Djamel, Pascal, Sébastien, Neimo, Pierrot, Régis, Takezo, Tonio, Vincent, Yasine, Ali sont ou ont été détenus à la prison centrale de Clairvaux. Ils ont participé à ce travail d'écriture et de photographies...
"Les détenus auteurs des textes de cet ouvrage ont participé à des ateliers d'écriture et de photographie en collaboration avec les compositeurs invités du festival de musique « Ombres et lumières» et des artistes de différentes disciplines ; l’objectif – atteint comme l'atteste la qualité des textes produits – étant de libérer la parole des détenus et de leur offrir une possibilité d'évasion par la culture."
Ces textes retracent leur expérience, leur vie au sein de la prison, et des photos qu'ils ont pris de leur quotidien dans la maison centrale.
Vous pourrez aussi y trouver des textes des intervenants qui ont participé aux activités culturelles proposées aux détenus.
Les textes ont par la suite été mis en musique par des compositeurs de musique classique dans le cadre du festival "Ombre et Lumières" de Clairvaux. Les détenus ont été invités à assister au concert, dans le cadre du festival pour ceux qui avaient une autorisation de sortie, et au sein de la maison centrale où a été organisé un concert privé pour ceux qui ne pouvaient pas assister au festival.
Pour plus d'infos : Editions Loco
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Jardin d’hiver (pour la cour de promenade)
poèmes écrits par Takezo
Ici j’ai vu périr hirondelles et nuages
En cage, le vent et les étoiles
Le bleu du ciel sous les barbelés et grillages
De vous à moi
De ma cellule à votre maison
Ce n’est qu’une question de perception
De l’odeur du mélèze
De la liberté
J’ai tout oublié
Dans l’écume de mon amertume
J’ai plongé ma plume
En mon cœur fané
Parfum de liberté
Demeure jusqu’à la fin de l’été
Destin brisés, chairs brûlées
Que de regrets ! "
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Lutz Bassmann (2008) Haïkus de prison
La feuille d’appel s’est envolée
trente détenus virevoltent
entre voie ferrée et nuages
Lutz Bassmann figure parmi les prisonniers fantasmatiques au passé révolutionnaire qui constituent le collectif des narrateurs du post‑exotisme, ce genre littéraire inventé par Volodine et théorisé dans Le Post‑exotisme en dix leçons, leçon onze.
Lutz Bassmann est donc un écrivain imaginaire. Il figure, dans la page qui porte d’ordinaire pour mention « du même auteur »...
Lire l'article complet : Lutz Bassmann (2008) Haïkus de prison
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Philippe Leclercq (2006) : Murmures emmurés
Le temps de l’autre côté des grilles
S’amasse en un confus brouillard
Où les traits du dessin s'accusent
Comme après la pluie les pavés
Ont des yeux de mica qui fusent…
Voici, en résumé, le début de son hagiographie :
"Philippe Leclercq est né meldois en 1960, et a vécu columérien sa prime jeunesse. Aîné d’une famille de trois enfants , il n’attendit pas son seizième anniversaire pour fuir ces “Trouloyaux”, et commencer une vie d’aventures , qui le mena de sa Seine-et-Marne natale aux terres du Nouveau Continent, en passant par l’Afrique noire, puis à la prison de la Santé, où il écrivit son premier livre, “Cuisine entre 4 murs”...
En 2006, il publie Murmures emmurées, un recueil de poèmes écrit à la Santé (la prison de la Santé), entre 1996 et 1998. Des mots et des phrases qui riment comme des ritournelles, murmures emmurés faisant écho aux vers d'Apollinaire...
(Disponible chez l’éditeur, pardefaut@cosmagora.com)
Convoi
Petit fourgon gris anonyme
Aux vitres calfeutrées de bleu
Qui emporte en catimini
Sans gyrophare ni sirène
D’entre les hauts murs de la Santé
Le suicidé de la nuit
Qui emporte en catimini
Les morts de la peine de mort abolie.
(Illustration : Laurent Jacqua : La mort et le prisonnier)
Musette
C’est la valse du prisonnier,
Sans droguet, casquette et musette
Sur le mur avec un clou rouillé,
Un jour encore c’est une barrette.
Derrière les pierres de la Santé
Y’a plus d’relègue ou d’départ pour Cayenne,
Y’a plus de chaîne aux pieds ferrés,
Mais toujours de la place pour la haine.
L’œil du gaffe à l’œilleton,
La prom’nade, les rations
Du rata que l’auxi véhicule…
Pesamment, derrière lui,
Les matons à grand bruit
Chiave en main referment les cellules.
C’est la valse des enchristés,
Sans droguet, casquette et musette
Sur le mur leurs larmes séchées
Ont tracé d’étranges silhouettes.
Derrière les murs de la Santé
Y’a plus les bois dans l’petit matin blême
Y’a plus d’son ni de sang dans l’panier
Mais toujours y’a des gars qu’on emmène.
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(Photo : Andrea Zani)
Luigi Ciardelli (2001-2002) Deux poèmes
Ces deux poèmes je les ai écrits quand j'étais aux Baumettes en 2001-2002...Les cafards qui sont encore là-bas sont les fils de ceux que j'ai décrit dans mon poème. Cachot aussi quand j'étais là en haut Q.D....presque dans le ciel. (Q.D. : quartier disciplinaire)
CAFARD
Dans mes cinq mètres sur trois,
Je vis en concubinage
Avec quelques cafards.
Je vis dans l'hygiène et j'aime la propreté,
Mais ils sont là !
Leurs trajectoires géométriques ne m'importunent pas,
Leur ascension des parois ne m'affole pas.
Aucune sensation de panique.
Phobie ?
Parce qu'ils sont porteurs de maladies,
Vecteurs d'infection ?
Voilà bien leur seule utilité.
Aucune odeur, aucune puanteur !
Leur langue n'est ni travestie, ni idiote,
Ni fausseté ni hypocrisie,
Ni jalousie, ni envie.
Ils ne vous font pas d'illusion,
Ils ne vivent ni d'amour intéressé,
Ni d'amitié mercenaire.
Qu'ils soient noirs, jaunes ou marrons,
Ils remuent leurs petites cornes …
Qu'ils sont loin, heureusement ! de l'humanité,
Celle qui a les vraies cornes !
Eux n'ont rien d'humain,
Ce sont seulement de petits êtres futiles
Qui sillonnent mes murs,
Dans une incessante recherche de nourriture.
Ils vivent dans les placards.
Je suis au placard avec mes cafards.
L'homme sillonne les planètes,
Semant haines et rancoeurs,
Labourant la tyrannies et ramassant son sang.
Qui est le véritable cafard ?
Homme, ne sens-tu pas l'odeur de ta conscience ?
Les maîtres de la planète devraient peut-être
Adopter des cafards sur leurs étendards.
CACHOT
J'aime le silence du châtiment
J'adore les privations qui lui appartiennent
Je cherche sans cesse le mal-être.
Une forme de masochisme ?
Ou plutôt une déviance innée à la souffrance ?
Difficile d'accepter l'idée,
Je suis si bien quand je souffre !
Peu m'importe comment.
Peut-être par manque d'amour,
Ou serait-ce le manque de drogue ?
L'auto-destruction poussée jusqu'à l'essence
De la douleur et de la rage.
(La prison de KARZER - dessin de J Thuet )
J'habite la prison,
Lieu de souffrance, lieu si familier…
Souffrance, serre-moi, tu es toujours là,
Je ne peux pas vivre sans toi.
Inceste ?
Lorsque tu m'habites,
Tu ouvres devant moi des méandres inconnus.
Labyrinthe de ma mémoire.
J'avoue que tu m'as aidé,
Dans les moments les plus difficiles,
Ma vie n'a fait que te chercher,
Comme tout homme cherche l'amour.
Je t'ai connue dans les limbes de l'enfance,
Je t'ai toujours retrouvée…
(Le Piranèse : Les Prisons imaginaires)
Difficile,
La façon dont l'homme pense trouver l'authentique souffrance,
Palpable dans toute son atrocité.
Lire aussi : Luigi Ciardelli : J'aime pas. L'aube...
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Jacques Mesrine : Le Mitard
Oui, madame ! Il tourne, il tourne en des milliers de pas Qui ne mènent nulle part Dans un monde béton, aux arbres de barreaux Fleuris de désespoir Inhumain..., rétréci..., sans aucun lendemain. Sa pitance est glissée sous une grille à terre Et dans un bol l'eau... pour qu'il se désaltère. Il est seul..., sans soleil Et n'a même plus son ombre. Infidèle compagne, elle s'en est allée Refusant d'être esclave de ce vivant mort-né. Il tourne... il tourne et tournera toujours Jusqu'au jour où vaincu en animal blessé Après avoir gémi en une unique plainte Il tombera à terre et se laissera crever. Fleury-Mérogis... Un jour de septembre 1976 Où j'existais si peu Que je n'étais même pas "personne" Fleury-Mérogis... Un jour de septembre 1976 Où j'existais si peu... |
Je vous vois une larme...! Pourquoi vous attrister ? Pauvre chien, me dites-vous ! En voilà une erreur... C'est un homme, Madame, Il est emprisonné. C'est celui que vos pairs ont si bien condamné En rendant la justice au nom des libertés. Fleury-Mérogis... Un jour de septembre 1976 Où j'existais si peu Que je n'étais même pas "personne" Fleury-Mérogis... Un jour de septembre 1976 Où j'existais
Je vous vois une larme...! Pourquoi vous attrister ? Pauvre chien, me dites-vous ! En voilà une erreur... C'est un homme, Madame, Il est emprisonné. C'est celui que vos pairs ont si bien condamné En rendant la justice au nom des libertés. si peu... Il tourne, il tourne, et tournera toujours,
Jusqu'au jour où vaincu en animal blessé Il tombera à terre et se laissera crever.
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Texte : Jacques Mesrine réuni par Trust |
Trust (1980) Le Mitard - Texte de Jacques Mesrine
Lire aussi : Jacques Mesrine (2008) : L'instinct de mort
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POETES D'HIER
François VILLON (1431-1463 ?)
Condamné à être pendu, François Villon fut sûrement le premier poète de l'ombre. Il est admis, même si ce fait n'est pas clairement établi, que Villon composa La ballade des pendus lors de sa détention en attente de son exécution.
Sa peine fut commuée et il fut banni. Il a 32 ans quand on perd sa trace en 1463. Peut-être hante-t-il encore quelque geôle ...
Léo Ferré interprète la Ballade des pendus
Frères humains qui après nous vivez
N'ayez les coeurs contre nous endurciz,
Car, ce pitié de nous pauvres avez,
Dieu en aura plus tost de vous merciz.
Vous nous voyez ci, attachés cinq, six
Quant de la chair, que trop avons nourrie,
Elle est piéca devorée et pourrie,
Et nous les os, devenons cendre et pouldre.
De nostre mal personne ne s'en rie :
Mais priez Dieu que tous nous veuille absouldre !
Lire le poème dans son intégralité !
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Paul Pellisson-Fontanier (1624-1693) :
A la Bastille
Doubles grilles à gros clous,
Triples portes, forts verrous,
Aux âmes vraiment méchantes
Vous représentez l’enfer ;
Mais aux âmes innocentes
Vous n’êtes que du bois, des pierres et du fer.
Pellisson est emprisonné à la Bastille après avoir été arrêté à Nantes, de 1661 à 1666. Il est arrêté avec le surintendant des finances, Nicolas Fouquet, dont il est le secrétaire particulier et le premier commis. Si les premières années, il bénéficient de conditions d'incarcération 'confortables', par la suite, en 1663, il subit alors le régime carcéral dans sa plus grande rigueur. Il est transféré dans un cachot étroit, humide et peu éclairé, il est privé de visites et de tout moyen de communiquer...
Mais qu'on se rassure, il ne finira pas sur l'échafaud : réhabilité (et ayant abjuré sa foi protestante), il deviendra l'historiographe du Roy de France...
(Source : Michèle Rosellini (2011) « Pourquoi écrire des poèmes en prison ? Le cas de Paul Pellisson à la Bastille », Les Dossiers du Grihl)
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Alfred de Musset (1810-1857)
Poète romantique, Alfred de Musset,en 1841, se dérobe au service de la Garde nationale.
Il passe plusieurs jours en prison. Prison qu'il retrouvera en 1843, puis en 1849...
(Extraits - Lire l'intégralité du poème)
Le mie prigioni (mes prisons)
On dit : " Triste comme la porte |
Je suis, depuis une semaine, Je vais bouder à la fenêtre, |
C'est une belle perspective,
De grand matin,
Que des gens qui font la lessive
Dans le lointain.
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Paul VERLAINE (1844 - 1896)
Verlaine et Rimbaud quittent la France pour l'Angleterre et la Belgique.
En juillet 1873, Verlaine tire sur son ami deux coups de feu et pour cela il est condamné à deux ans de prison à Mons en Belgique.
En détention, il écrira 'Cellulairement', un recueil de poèmes jamais publié...
En 2013, une exposition lui est consacrée par le Musée du Livre et du Manuscript de Paris. Voir une courte vidéo de présentation...
Impression fausse
Dame souris trotte, Noire dans le gris du soir, Dame souris trotte Grise dans le noir.
On sonne la cloche, Dormez, les bons prisonniers ! On sonne la cloche : Faut que vous dormiez.
Pas de mauvais rêve, Ne pensez qu’à vos amours. Pas de mauvais rêve : Les belles toujours !
Le grand clair de lune ! On ronfle ferme à côté. Le grand clair de lune En réalité !
Un nuage passe, Il fait noir comme en un four. Un nuage passe. Tiens, le petit jour !
Dame souris trotte, Rose dans les rayons bleus. Dame souris trotte : Debout, paresseux ! |
Le ciel est par-dessus le toit
Le ciel est, par-dessus le toit, Si bleu, si calme ! Un arbre, par-dessus le toit, Berce sa palme.
La cloche, dans le ciel qu'on voit, Doucement tinte. Un oiseau sur l'arbre qu'on voit Chante sa plainte.
Mon Dieu, mon Dieu, la vie est là Simple et tranquille. Cette paisible rumeur-là Vient de la ville.
Qu'as-tu fait, ô toi que voilà Pleurant sans cesse, Dis, qu'as-tu fait, toi que voilà, De ta jeunesse ? |
Reynaldo Hahn : 'D'une prison' poème de Verlaine chanté par Tino Rossi (1935)
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Arthur Rimbaud (1854 – 1891)
Allez ! Je ne résiste pas à mettre Rimbaud au donjon, avec Verlaine qui fut son compagnon - c'est bien fait pour eux, z'avaient kappa !
Il aurait bien mérité qu'on l'y foute, le bougre ! Seulement, il s'évada avant, il s'évada toujours, et aucun surveillant ne sut le retenir. Seule la Mort peut-être a pu le susprendre à la plus haute branche, la tête dans les étoiles et les pieds à l'envers...
Le Bal des pendus
Au gibet noir, manchot aimable,
Dansent, dansent les paladins,
Les maigres paladins du diable,
Les squelettes de Saladins.
Messire Belzébuth tire par la cravate
Ses petits pantins noirs grimaçant sur le ciel,
Et, leur claquant au front un revers de savate,
Les fait danser, danser aux sons d'un vieux Noël !
Et les pantins choqués enlacent leurs bras grêles :
Comme des orgues noirs, les poitrines à jour
Que serraient autrefois les gentes damoiselles,
Se heurtent longuement dans un hideux amour.
Hurrah ! les gais danseurs qui n'avez plus de panse !
On peut cabrioler, les tréteaux sont si longs !
Hop ! qu'on ne cache plus si c'est bataille ou danse !
Belzébuth enragé racle ses violons !
O durs talons, jamais on n'use sa sandale !
Presque tous ont quitté la chemise de peau ;
Le reste est peu gênant et se voit sans scandale.
Sur les crânes, la neige applique un blanc chapeau :
Le corbeau fait panache à ces têtes fêlées,
Un morceau de chair tremble à leur maigre menton :
On dirait, tournoyant dans les sombres mêlées,
Des preux, raides, heurtant armures de carton.
Hurrah ! la bise siffle au grand bal des squelettes !
Le gibet noir mugit comme un orgue de fer !
Les loups vont répondant des forêts violettes :
À l'horizon, le ciel est d'un rouge d'enfer...
Holà, secouez-moi ces capitans funèbres
Qui défilent, sournois, de leurs gros doigts cassés
Un chapelet d'amour sur leurs pâles vertèbres :
Ce n'est pas un moustier ici, les trépassés !
Oh ! voilà qu'au milieu de la danse macabre
Bondit dans le ciel rouge un grand squelette fou
Emporté par l'élan, comme un cheval se cabre :
Et, se sentant encor la corde raide au cou,
Crispe ses petits doigts sur son fémur qui craque
Avec des cris pareils à des ricanements,
Et, comme un baladin rentre dans la baraque,
Rebondit dans le bal au chant des ossements.
Au gibet noir, manchot aimable,
Dansent, dansent les paladins,
Les maigres paladins du diable,
Les squelettes de Saladins.
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Dessin d'un mineur incarcéré à la Prison de la Petite Roquette à Paris (début du XX° siècle)
Ma Cellule Une pièce aux murs nus et dont l'aspect vous glace. Un lit, une paillasse où l'on dort par besoin. Comme distraction, des punaises en masse. Un lavabo au mur, les W.C. dans un coin.
Quatre mètres sur deux et des murs de Bastille, Les meubles y sont fixes et le linge grossier. La croisée haut placée est close d'une grille. Une nuée de gardiens rôde dans l'escalier... |
Ma cellule, poème écrit par un mineu emprisonné à la Petite Roquette (vers 1909 ?) |
Où donc est le printemps, l'air la verdure Liberté que l'on aime que quand on la perdue Il me faut aujourd'hui reposé sur la dure Que je regrette fort tous mes beaux jours perdus |
Je suis jeune en entrant, sortirai-je de même M'en irai-je gracié, condamné ou mort Après avoir gâché le bel âge où l'on aime Sortirai-je d'ici comme un vieillard en sort |
Source : Le Blog de Philippe Poisson (08/09/14) : Les enfants de la Petite Roquette
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Oscar Wilde (1854-1900)
En 1895, Oscar Wilde est condamné par la Justice anglaise pour homosexualité. Il purgera sa peine au bagne, sous le matricule C.3.3. Deux ans après, il est libéré et quitte définitivement l'Angleterre. La Ballade de la geôle de Reading (1897) raconte son univers carcéral alors qu'on s'apprête à pendre un condamné. Oscar Wilde n'écrira plus jamais par la suite. Il mourra en exil...
Oscar Wilde © Fotolia_Andreas Hilger
Lire le texte intégral en français, Lire la version originale : Ballad of Reading Gaol / Listen
La Ballade de la geôle de Reading – Traduction J. Guiloineau - Extraits
I
Son pas semblait gai et léger, Mais dans ses yeux ouverts au jour Jamais ne vis tant de regret.
Tant de regret jamais ne vis Dans les yeux d’un homme, levés Vers la petite tente bleue Qu’est le ciel pour les prisonniers, Vers chaque nuage qui passe Toutes voiles d’argent gonflées. |
II
Parmi d’autres âmes en peine, Dans l’autre cercle je marchais, En me demandant si cet homme Avait commis un grand forfait, Quand une voix a dit tout bas : « Ce gars-là va se balancer ».
A en mourir de mort honteuse Par un sombre jour de disgrâce. Sous lui ses pieds ne tombent pas |
Dans le grand vide de l’espace.
III
Il ne s’assied pas avec ceux Qui restent pour le surveiller, Au cas où il voudrait soustraire A la prison son prisonnier, Quand il laisse couler ses larmes Ou quand il essaie de prier.
Il ne s’éveille pas pour voir L’effroi dans le petit matin, Il ne se lève pas en hâte Pour se vêtir en condamné, Sous le rire gras du docteur Qui note ses tics affolés, Lui dont la montre fait le bruit De coups de marteau assénés. |
IV
Quand son âme angoissée lui dit Qu’il n’est pas mort, et qu’il pénètre Au coeur de cet horrible abri, Il ne regarde pas le ciel Au-delà de ce toit de verre, Pour que meure son angoisse, Lèvre d’argile sans prière.
Mon Dieu ! Les murs de la prison Soudain se mirent à tourner ; Le ciel au-dessus de ma tête Brûla comme un casque d’acier. Et bien qu’étant une âme en peine Ma peine cessai d’éprouver.
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Et je savais quelle hantise
Animait son pas et levait
Son regard vers le jour brutal
Chacun tue ce qu’il aime...
(Fin du Poème) XXIX
Aucun nom sur sa tombe écrit.
Laissons cet homme reposer. Nul besoin de gâcher vos larmes Ni d’exhaler de vains remords.
Il avait tué son amour Aussi pour cela il est mort.
Pourtant chacun tue ce qu’il aime, Salut à tout bon entendeur. Aucun nom sur sa tombe écrit.
Laissons cet homme reposer. Nul besoin de gâcher vos larmes Ni d’exhaler de vains remords.
Il avait tué son amour Aussi pour cela il est mort.
Pourtant chacun tue ce qu’il aime, Salut à tout bon entendeur. |
Oscar Wilde et Alfred Douglas Lire : Le procès d'Oscar Wilde |
Guillaume APPOLINAIRE (1880-1918)
En 1911, Apollinaire, mis en cause dans une affaire de vol de statuettes au musée du Louvre, est incarcéré peu de temps à la prison de la Santé, à Paris. Il meurt 'pour la France' en 1918. Il est alors âgé de 38 ans.
Lire : Franck Balandier in Criminocorpus (25/05/10) 'Les prisons d’Apollinaire'
Jean-Pierre Marielle : A la Santé
A la Santé
I
Avant d'entrer dans ma cellule Il a fallu me mettre nu Et quelle voix sinistre ulule Guillaume qu'es-tu devenu
Le Lazare entrant dans la tombe Au lieu d'en sortir comme il fit Adieu adieu chantante ronde Ô mes années ô jeunes filles |
II Non je ne me sens plus là Moi-même Je suis le quinze de la Onzième Le soleil filtre à travers Les vitres Ses rayons font sur mes vers Les pitres Et dansent sur le papier J'écoute Quelqu'un qui frappe du pied La voûte |
III
Dans une fosse comme un ours Chaque matin je me promène Tournons tournons tournons toujours
Le ciel est bleu comme une chaîne Dans une fosse comme un ours Chaque matin je me promène
Dans la cellule d'à côté On y fait couler la fontaine Avec les clefs qu'il fait tinter
Que le geôlier aille et revienne Dans la cellule d'à côté On y fait couler la fontaine |
IV
Que je m'ennuie entre ces murs tout nus Et peints de couleurs pâles Une mouche sur le papier à pas menus Parcourt mes lignes inégales
Que deviendrai-je ô Dieu qui connais ma douleur Toi qui me l'as donnée Prends en pitié mes yeux sans larmes ma pâleur Le bruit de ma chaise enchaînée
Et tous ces pauvres cœurs battant dans la prison L'Amour qui m'accompagne Prends en pitié surtout ma débile raison Et ce désespoir qui la gagne |
V
Que lentement passent les heures Comme passe un enterrement Tu pleureras l'heure où tu pleures Qui passera trop vitement Comme passent toutes les heures |
VI
J'écoute les bruits de la ville Et prisonnier sans horizon Je ne vois rien qu'un ciel hostile Et les murs nus de ma prison |
Le jour s'en va voici que brûle
Une lampe dans la prison
Nous sommes seuls dans ma cellule
Belle clarté Chère raison
Robert Desnos (1900 – 1945)
Robert Desnos est arrêté en 1944. Il est mené à la prison de Compiègne d'où il sera déporté à Buchenwald puis jusqu'à Theresienstadt, en Tchécoslovaquie. Epuisé et malade, il meurt l'année suivante, en juin 45, un mois après la libération du camp par les Russes.
'Je pense à toi Desnos qui partit de Compiègne'... (L.Aragon)
Le Zèbre
Le zèbre, cheval des ténèbres, Lève le pied, ferme les yeux Et fait résonner ses vertèbres En hennissant d’un air joyeux.
Au clair soleil de Barbarie, Il sort alors de l’écurie Et va brouter dans la prairie Les herbes de sorcellerie.
Mais la prison sur son pelage, A laissé l’ombre du grillage. |
Robert Brasillach (1909 - 1945)
Condamné à mort à la Libération pour son engagement dans la Collaboration sous l'Occupation, il fut emprisonné à Fresnes. Il fut fusillé au Fort de Mont-Rouge le 9 février 1945.
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Bijoux
Je n'ai jamais eu de bijoux, Ni bagues, ni chaîne aux poignets Ce sont choses mal vues chez nous: Mais on m'a mis la chaîne aux pieds.
On dit que ce n'est pas viril, Les bijoux sont faits pour les filles: Aujourd'hui comment se fait-il Qu'on m'ait mis la chaîne aux chevilles ?
Il faut connaître toutes choses, Être curieux du nouveau : Étrange est l'habit qu'on m'impose Et bizarre ce double anneau.
Le mur est froid, la soupe est maigre Mais je marche, ma foi, très fier, Tout résonnant comme un roi nègre Paré de ses bijoux de fer. |
Jean Genêt (1910 - 1986)
Enfin ! un poète qui est mort vieux ! Cela rassurera peut-être certains d'entre nous...
'Le condamné à mort' est un poème écrit en 1942 par Jean Genet qui est alors incarcéré à la Prison de Fresnes pour vol. Il y développe les thèmes de l'homosexualité entre prisonniers.
Lire aussi : Jean Genêt (1946) : Miracle de la Rose
Jean Genet © Fotolia_Andreas Hilger
Ecoutez le poème dit par Mouloudji !
Lire aussi la présentation de sa pièce théâtre : Haute surveillance, écrite dans le même temps que "Le condamné à mort", alors que Genêt était emprisonné à la prison de Fresnes.
Le condamné à mort
A la mémoire de Maurice PILORGE
assassin de vingt ans
Le vent qui roule un cœur sur le pavé des cours,
Un ange qui sanglote accroché dans un arbre,
La colonne d'azur qu'entortille le marbre
Font ouvrir dans ma nuit des portes de secours.
Un pauvre oiseau qui tombe et le goût de la cendre,
Le souvenir d'un œil endormi sur le mur,
Et ce poing douloureux qui menace l'azur
Font au creux de ma main ton visage descendre.
(...)
Appelez le soleil, qu'il vienne et me console.
Etranglez tous ces coqs ! Endormez le bourreau !
Le jour sourit mauvais derrière mon carreau.
La prison pour mourir est une fade école.
(...)
Ce n'est pas ce matin que l'on me guillotine.
Je peux dormir tranquille. A l'étage au-dessus
Mon mignon paresseux, ma perle, mon jésus,
S'éveille. Il va cogner de sa dure bottine
A mon crâne tondu.
Il paraît qu'à côté vit un épileptique.
La prison dort debout au noir d'un chant des morts.
Si des marins sur l'eau voient s'avancer les ports
Mes dormeurs vont s'enfuir vers une autre Amérique.
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Albertine SARRAZIN (1937 - 1967)
Arrêtée à seize ans, après un hold-up, Albertine Sarrazin fut emprisonnée à Fresnes.
Elle est morte à 29 ans, dont plus de huit passés en prison.
Putain et poétesse, son espérance de vie fut pour elle bien plus brève encore que celle de ses frères maudits...
Lire aussi : Albertine Sarrazin : Journaux de Prison
Voir le site qui lui est dédié et ses principales oeuvres.
Il y a des mois que j'écoute Les nuits et les minuits tomber Et les camions dérober La grande vitesse à la route Et grogner l'heureuse dormeuse Et manger la prison les vers Printemps étés automnes hivers Pour moi n'ont aucune berceuse Car je suis inutile et belle |
En ce lit où l'on n'est plus qu'un Lasse de ma peau sans parfum Que pâlit cette ombre cruelle La nuit crisse et froisse des choses Par le carreau que j'ai cassé Où s'engouffre l'air du passé Tourbillonnant en mille poses C'est le drap frais le dessin mièvre Léchant aux murs le reposoir |
Mais C'est la voix maternelle un soir
Où l'on criait parmi la fièvre
Le grand jeu d'amant et maîtresse
Fut bien pire que celui-là
C'est lui pourtant qui reste là
Car je suis nue et sans caresss
Veux dormir ceci annule
Les précédents Ah m'évader
Dans les pavots ne plus compter
Les pas de cellule en cellule
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Wafae Charaf - emprisonnée au Maroc
Wafae CHARAF , une jeune Marocaine emprisonnée
suite à son soutien aux luttes syndicales, dans sa ville de Tanger
Wafae Charaf, poème du fond de sa cellule
(Traduit de l'arabe par Aziz Hmoudane)
S'il vous plait, ne m'interrogez pas
Est-ce une vérité ?
Est-ce un rêve ?
Interrogez-moi...oui...interrogez-moi
Je suis liberté éternelle absolue
Je suis la patrie libre
Je suis une femme révolutionnaire
Je suis une jeune rebelle
Je suis une jeune militante...J'ai abandonné ma famille et mes camarades
Je suis derrière les barreaux des cellules de la réaction
Ma voix..Résistance.
Ma voix...Révolution
Mon amour...Résistance.
Mon militantisme...continu
Emprisonnée, opprimée, réprimée et j'ai souffert
Je me suis rebellé et je me rebellerai...J'ai milité et je militerai
Je réfléchi et je dis
S'il vous plait, avez-vous vu une détenue se consoler elle-même ?
Je renouvelle confiance en moi
Mon sourire augmente d'avantage mon espoir
Mon amour est celui d'une patrie libre
Mon amour est celui de la femme libre
Prisonnière je le suis mais libre malgré les chaines
Source : L'Humanité (08/03/15)
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Faraj Bayrakdar (2012) : Ni vivant ni mort
Initialement écrit sur du papier cigarette alors qu’il avait été enfermé dans les geôles syriennes comme opposant au régime d’Hafez el Hassad, l'ouvrage a été complété par l'auteur, aujourd'hui en liberté, et le poète Saïd Nourine.
La malédiction lui a dit : sois
et il fut
Ses yeux, deux boutons de cuivre noirci
Son nez, un point d’exclamation
mal dessiné
Sa bouche, le silencieux d’un revolver
Et dans le détonateur, sa langue
Sur ses épaules, des paons en insigne
bouffis de défaites
Ses dettes
menacent les banques du sang
d’une faillite retentissante
De son cœur aveugle
il nous protège
et de barbelés
nous garde
Ses intentions sont piégées
et son sourire annonce la boucherie
La mort lui tient lieu de sagesse
et l’enfer de justice
Excusez-moi, je m’arrête
J’ai la nausée
Peut-être n’est-il pas tout à fait ainsi
Et pourtant
Prison de Saidnaya, février 1993.
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Miguel Hernández (1910-1942) :
Martyre de l'Espagne franquiste
En été 1936, quand la Guerre d'Espagne éclate, Miguel Hernández s'engage avec l'armée aux côtés des Républicains. Arrêté en 1939, alors qu'il essayait de fuir l'Espagne, il est condamné à mort en 1940. La sentence fut commuée en 30 ans d'emprisonnement mais Hernández, atteint de tuberculose, mouru en prison à Alicante en mar 1942.
Pablo Neruda, dans le Chant Général (Canto General) lui a dédié un de ses poèmes : À Miguel Hernandez, assassiné dans les prisons de d'Espagne
Las cárceles - Les prisons
Las cárceles se arrastran por la humedad del mundo, van por la tenebrosa vía de los juzgados: buscan a un hombre, buscan a un pueblo, lo persiguen, lo absorben, se lo tragan.
No se ve, que se escucha la pena de metal, el sollozo del hierro que atropellan y escupen: el llanto de la espada puesta sobre los jueces de cemento fangoso.
Allí, bajo la cárcel, la fábrica del llanto, el telar de la lágrima que no ha de ser estéril, el casco de los odios y de las esperanzas, fabrican, tejen, hunden.
Cuando están las perdices más roncas y acopladas, y el azul amoroso de las fuerzas expansivas, un hombre hace memoria de la luz, de la tierra, húmedamente negro. Se da contra las piedras la libertad, el día, el paso galopante de un hombre, la cabeza, la boca con espuma, con decisión de espuma, la libertad, un hombre.
Un hombre que cosecha y arroja todo el viento desde su corazón donde crece un plumaje: un hombre que es el mismo dentro de cada frío, de cada calabozo.
Un hombre que ha soñado con las aguas del mar, y destroza sus alas como un rayo amarrado, y estremece las rejas, y se clava los dientes en los dientes del trueno. |
Les prisons se glissent dans l'humidité du monde, elle s'en vont sur le sombre chemin des tribunaux : à la recherche d'un homme, à la recherche d'un peuple, pour les poursuivre, les absorber, les avaler.
On ne voit pas, on entend pas leur peine métallique, ni les sanglots du fer qui piétinent et qui crachent : ni les pleurs de l'épée suspendue au-dessus de ces juges faits de ciment fangeux. Ici en-dessous c'est la prison, c'est usine aux pleurs,
le métier qui tisse les larmes fertiles, le casque de la haine et de l'espérance, qui fabriquent, qui tissent, qui submergent.
Et lorsque les perdrix accouplées se font plus rauques, et le bleu amoureux des forces plus explosives encore, un homme se souvient alors de la lumière, et de la terre, humide et noire.
Contre ces pierres il cogne, voici sa liberté, voilà le jour, c'est le passage d'un homme au galop, la tête et la bouche débordant d'écume, déterminé,
la liberté, un homme.
Un homme qui récolte et sème tous les vents
depuis le fond de son cœur où pousse un plumage : un homme qui reste le même quelque soit la froidure, de chaque donjon.
Un homme qui a rêvé d'eau marine, un homme qui a détruit ses ailes comme un rayon de lumière, un homme qui secoue ses barreaux, et qui plantent ses propres dents aux dents de la foudre et du tonnerre. |
(Traduction très personnelle de Bruno des Baumettes)
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Marcos Ana : Un poète du peuple
Fernando Macarro Castillo (né en 1920), connu sous le nom de Marcos Ana, est un poète espagnol. Il fut condamné à mort en 1943 par le régime franquiste, mais étant mineur, sa peine fut commuée en 30 ans de réclusion. Il fut incarcéré pendant vingt-deux ans, jusqu'en 1961.
« Vivre pour les autres est la meilleure manière de vivre pour soi-même »
Ma vie,
Je peux vous dire en deux mots:
Une cour.
Et un morceau de ciel
où passent parfois
un nuage
et un oiseau qui fuient leurs ailes.
Autobiographie
Mon péché est terrible :
j’ai voulu remplir d’étoiles
le cœur de l’homme.
Et pour cela, derrière les barreaux,
en vingt-deux hivers
j’ai perdu mes printemps.
Prisonnier depuis l’enfance
et condamné à la mort,
la lumière de mes yeux
dessèche sur les pierres.
Mais pas l’ombre d’un archange
Prisons - Solidarité Espagne (1972) vengeur dans mes veines :
Cliquez sur l'image L’Espagne n’est que le cri
de ma douleur qui rêve.
A lire : Poésie Danger (23/01/13) : Marcos Ana, poète du peuple
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* *
Marcos Ana (2010) : Dites-moi à quoi ressemble un arbre
Mémoires de prison et de vie
"Je me dois à mes frères qui sont encore en prison, je dois sans relâche porter leur témoignage dans le monde. Mais Pablo insistait : - Tu dois te fier au pouvoir du témoignage écrit, la parole est fugace. Il s'agit de donner vie et de fixer sur le papier les histoires que tu m'as racontées cette nuit."
Ce livre est la preuve que Marcos Ana écouta, enfin, les conseils du poète chilien Pablo Neruda. Mémoires d'un homme qui fut condamné à mort à 19 ans et qui resta prisonnier 23 ans des geôles franquistes.
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Armando Valladares - Ils m'ont tout enlevé...
Armando Valladares fut un opposant politique cubain. Accusé de terrorisme, il fut arrêté en 1960. Il ne sortit de prison que 22 ans plus tard... Il a 73 ans aujourd'hui. Comme quoi, les geôles castrises, ça conserve !
Ils m’ont tout enlevé , les porte-plumes
les crayons, l’encre
car, eux,
ils n’aiment pas que j’écrive.
Et ils m’ont enfoui
dans cette cellule de châtiment
mais même ainsi
ils n’étoufferont pas ma révolte.
Ils m’ont tout enlevé
– enfin, presque tout –
car il me reste le sourire
l’orgueil de me sentir un homme libre
(…)
Ils m’ont tout enlevé, les porte-plumes, les crayons.
Mais il me reste l’encre de la vie
– mon propre sang - et avec lui,
j’écris encore des vers.
*
* *
Armando Valladares (2000) : Mémoires de prison
Un témoignage hallucinant sur les prisons de Castro où il fut détenu pendant 22 ans.
A la suite d'une campagne internationale, il fut libéré en 1983. Le président des Etats Unis Ronald Reagan le nomma alors ambassadeur des États-Unis auprès de la Commission des Droits de l'Homme aux Nations unies.
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Oscar Wilde - La ballade de la Geôle de Reading (suite)
V
Mais dans ses yeux ouverts au jour Jamais ne vis tant de regret. Tant de regret jamais ne vis Dans les yeux d’un homme, levés Vers la petite tente bleue Qu’est le ciel pour les prisonniers, Vers chaque nuage qui traîne Sa toison blanche échevelée.
Sans mains tordues, comme ces hommes, Ces pauvres hommes sans espoir, Qui osent nourrir l’espérance Dans le caveau du désespoir : Il regardait vers le soleil Et buvait l’air frais jusqu’au soir.
Sans mains tordues, sans une larme, Sans un regard ni un soupir, Il buvait l’air comme l’on boit, Pour oublier, un élixir ; La bouche pleine de soleil Comme de vin ou de désir. |
VI
Et les âmes en peine et moi, Dans l’autre cercle nous marchions. Etions-nous maudits et coupables D’un crime, d’un forfait ou non ?
Et nous regardions d’un oeil las Le promis à la pendaison.
Etrange de l’apercevoir, Passer d’un pas gai et léger. Etrange ce regret surpris Dans ses yeux vers le jour levés.
Etrange de penser enfin Qu’il aurait sa dette à payer.
Lugubre est l’arbre du gibet, Racine mordue des vipères. Mais sec ou vert, l’homme y mourra Avant les fruits que l’on espère.
La Vie et l’Amour sont précieux... |
VII
Nous l’observions, jour après jour, Lourds de questions, l’oeil indiscret, En craignant que chacun de nous Ne finisse sur le gibet, Car qui sait vers quel rouge Enfer L’âme aveugle peut s’égarer.
Bientôt le mort ne marcha plus Parmi les Hommes en Procès, Et je sus qu’il était debout Dans le banc noir des accusés, Et que, par bonheur ou malheur, Jamais je ne le reverrais.
Tels des vaisseaux dans la tempête, Nos deux chemins s’étaient croisés, Sans même un signe et sans un mot, Nous n’avions mot à déclarer ; Nous n’étions pas dans la nuit sainte Mais dans le jour déshonoré. |
VIII
Entourés d’un mur de prison, Nous n’étions que deux réprouvés Chassés tous deux du coeur du monde, Et de Dieu même abandonnés : Nous étions pris aux dents de fer Du piège tendu au péché.
Dans la cour les pavés sont durs, Le mur suintant est élevé. C’était ici qu’il prenait l’air Sous le ciel de plomb, escorté (Car on craignait que l’homme meure), Par deux gardiens à ses côtés.
Ou il s’asseyait avec ceux Qui jour et nuit le surveillaient, Au cas où il voudrait soustraire A l’échafaud son condamné, Quand il se levait pour pleurer, Quand il se baissait pour prier. |
IX
Le gouverneur se montrait ferme Sur le règlement, la pratique. Le docteur expliquait la mort Comme un simple fait scientifique.
Et dans son âme résolue La peur ne pouvait se cacher.
Souvent il se disait heureux Que le jour du bourreau soit près. Pourquoi cette parole étrange Qu’aucun gardien ne demandait ?
Car celui qui a pour destin D’être gardien, de surveiller, Doit avoir pour visage un masque Et garder les lèvres scellées.
Sinon il pourrait s’émouvoir, Essayer de réconforter. |
X Que ferait la Pitié Humaine Dans le Trou clos des Meurtriers ? Quel mot de grâce en un tel lieu Dire à son frère pour l’aider ?
Nous nous traînions dans notre cercle Comme des Fous à la Parade ! Peu importait, car nous étions Du Diable la triste Brigade : Tête rasée et pieds de plomb, Quelle joyeuse mascarade !
Comme une mer alourdie d’algues Les jours se traînaient lentement. Mais un soir, rentrant de corvée On passa près d’un trou béant.
La gueule jaune de la tombe Une proie vivante attendait, Et la boue réclamait du sang Au cercle d’asphalte assoiffé. |
XI
Nous sûmes qu’avant l’aube claire Un homme se balancerait. La Mort, la Peur et le Destin, Nous laissèrent l’âme occupée.
Le bourreau et son petit sac Traversèrent l’obscurité : Chacun trembla en se glissant Dans sa tombe numérotée.
Ce soir-là, des formes de peur Remplirent les couloirs déserts ; Des pas glissèrent en silence Dans toute la cité de fer ; Près des barreaux, nuit sans étoiles, Des visages blêmes guettèrent.
Il reposait comme on repose Et rêve, en un plaisant jardin. Les gardiens l’observaient dormir Et se demandaient incertains : Comment peut-on rester si calme Quand le bourreau vient au matin ? |
XII
Point de sommeil quand vont pleurer Ceux-là qui n’ont jamais pleuré : Car nous - escrocs, dupes, fripons - Toute la nuit avons veillé.
Nos esprits et nos mains de peine Vivaient la peur du condamné.
Eprouver le remords d’un autre ! Comment supporter cette horreur ? Percés de l’épée du Péché Jusqu’à sa garde de malheur.
Le sang que nous n’avions versé Coulait dans le plomb de nos pleurs.
Et les gardiens chaussés de feutre Venaient aux portes verrouillées Pour observer, l’oeil plein d’effroi, Des hommes gris agenouillés, Etonnés de voir en prière Ceux qui n’avaient jamais prié.
|
XIII
Nuit de prières à genoux, Comme les veilleurs fous d’un mort !. Chant du coq gris, puis du coq rouge, Mais le jour ne s’est pas levé.
Les formes tordues de la peur Rampaient où nous étions couchés. Les esprits malins de la nuit Par devant nous semblaient jouer.
Ils passaient et repassaient vite, Tels des voyageurs dans la brume, En délicats tours et détours D’un rigodon devant la lune.
Au rendez-vous vinrent les spectres, Grâce formelle, inopportune. On les vit s’enfuir grimaçants, Ombres frêles, main dans la main ; Ici et là, troupe fantôme Qui menait le bal du Malin. |
XIV
Arabesques, damnés grotesques, Le vent sur le sable au matin ! Pirouettes de marionnettes, Danse des pieds, danse des corps, Et leurs flûtes soufflaient la peur.
Un chant si long, un chant si fort, Pour une affreuse mascarade, Un chant à réveiller le mort.
Ho ! criaient-ils. Le monde est vaste ! Jeter les dés une ou deux fois : Perd qui joue avec le Péché.
Ces bouffons étaient bien réels Qui folâtraient avec gaîté.
Pour ceux qui étaient dans les fers, Dont les vies souffraient enchaînées, Plaies du Christ ! ils étaient vivants Et terribles à regarder. |
Ici, là, ils valsaient, tournaient ;
Ceux-là, en couple, minaudant ;
Ricanement, oeillade en coin,
Dans nos prières nous aidant.
XV
Le vent du matin a gémi Mais la nuit poursuivit sa veille, Car sur son métier géant, l’ombre Tissait sa trame de merveille. Et en priant, nous prenions peur De la justice du Soleil.
Le vent du chagrin vint rôder Aux murs de la prison des pleurs, Et une roue d’acier grava Chaque minute en notre coeur.
Vent du chagrin ! Qu’avions-nous fait Pour mériter tel commandeur ?
Puis je vis l’ombre des barreaux Comme un treillis de plomb fondu, Devant mon lit fait de trois planches, Trembler sur le mur blanc et nu. Et, sur le monde, la terrible Aurore de Dieu répandue. |
XVI
A six heures, grand nettoyage, A sept heures, tout se calmait. Mais l’envol d’une aile puissante Dans la prison sembla vibrer. Souffle glacé, le Dieu de Mort, Venait d’y entrer pour tuer.
Il n’avait pas l’éclat du pourpre, Ne montait pas de blanc coursier. Rien qu’une corde et une trappe Que la potence réclamait ; Le Héraut du lacet de honte Accomplissait l’acte secret.
Comme des hommes qui tâtonnent Dans l’ordure d’un marais noir, Nous n’osions dire une prière Ni montrer notre désespoir.
Une chose était morte en nous Et cette chose était l’Espoir. |
XVII
La sinistre Justice humaine Suit droit sa route rigoureuse. Fauche le fort, fauche le faible, D’une démarche malheureuse.
Et nous attendions les huit heures, La langue de soif épaissie ; Les huit coups sont ceux du Destin Par lequel un homme est maudit. Le Destin prend un noeud coulant Pour le meilleur et le bandit. |
XVIII
Comme des rochers solitaires Nous restions sans bouger, muets, Mais chaque coeur battait très fort Comme un tambour de forcené !
Puis l’horloge de la prison A fait vibrer l’air brusquement, Et la geôle émit une plainte Dans son désespoir impuissant, Cri de lépreux dans son repaire Au fond de marais effrayants. |
Car nous n’avions rien d’autre à faire
Qu’attendre que l’heure ait sonné.
XIX
Comme on voit des choses horribles Dans le cristal d’un rêve enfui, Nous vîmes la corde de chanvre Fixée à la poutre noicie, Et le bourreau qui étranglait Une prière dans un cri.
Cette douleur qui l’étreignit, Jusqu’à pousser ce cri hanté, Regrets violents, sueur de sang, Nul mieux que moi ne les connaît : Qui a vécu plus d’une vie, Plus d’une mort doit éprouver. |
XX
Pas d’office dans la chapelle Le jour où un homme est pendu. L’aumônier a le coeur trop faible Ou le visage trop tendu, Ou ce qui s’écrit dans ses yeux Par aucun ne doit être lu.
On nous boucle jusqu’à midi, Puis on sonne la cloche vive. Des gardiens la clef sonore ouvre Les cellules trop attentives. Pour prendre l’escalier de fer De son Enfer chacun s’esquive. |
Dans l’air pur de Dieu nous sortons,
Mais pas comme à l’accoutumée,
Car un visage est blanc de peur,
Gris l’autre visage levé,
Mais dans des yeux ouverts au jour
Jamais ne vis tant de regret.
XXI
Tant de regret jamais ne vis Dans les yeux des hommes, levés Vers la petite tente bleue Qu’est le ciel pour les prisonniers, Vers chaque nuage qui passe Dans une heureuse liberté.
Parmi nous, il y avait ceux Qui avançaient tête baissée. Ils savaient qu’une vraie justice Aurait dû les exécuter.
Il n’avait tué qu’un vivant. Eux, c’est le mort qu’ils avaient tué. |
XXII
Singes, clowns, habits monstrueux Marqués de flèches étoilées, Nous tournions, sans fin, en silence, Glissant dans le cercle asphalté,
Nous tournions, sans fin, en silence, Sans qu’un seul mot soit prononcé.
Nous tournions, sans fin, en silence, Et soufflait le terrible vent, Dans l’esprit vide de chaque homme, De ses souvenirs effrayants. Car si l’Horreur rampait derrière, La Terreur paradait devant. |
XXIII
Surveillant leur troupeau de brutes, Tous les gardiens se rengorgeaient, Avec leur tenue du dimanche, L’uniforme qui reluisait ; Mais la chaux vive de leur bottes Nous disait ce qu’ils avaient fait.
Il n’y avait que sable et boue Où s’était ouverte la tombe. Le long des murs de la prison On ne voyait aucune tombe.
Un petit tas de chaux ardente Servait de linceul à cette ombre.
Ce misérable a un linceul Que peu pourraient revendiquer : Au fond d’une cour de prison, Et pour sa honte dénudé, C’est là qu’il gît, les fers aux pieds, D’un drap de flamme enveloppé. |
XXIV
Très lentement, la chaux ardente Ronge chair et os tour à tour ; Pendant la nuit, les os cassants, La chair tendre pendant le jour ; Ronge chair et os lentement, Mais ronge les coeurs pour toujours.
Pendant trois ans, on ne pourra Ici, ni planter ni semer. Pendant trois ans, l’endroit maudit Sera stérile et désolé, Et, sans reproche, il fixera Le ciel d’un regard étonné.
Un coeur d’assassin souillerait, Croient-ils, le grain semé ici. Faux ! La tendre terre de Dieu Est plus tendre qu’on ne le dit.
La rose rouge y est plus rouge, Et la rose blanche y fleurit. |
XXV
Pour sa bouche une rose rouge Et une blanche pour son coeur.
Les roses blanc de lait ou rouges, Ici, jamais ne fleuriront. Car on ne veut nous accorder Que cailloux, silex et tessons.
Ils savent que les fleurs apaisent Le désespoir de la prison.
Et des roses rouges ou blanches, Jamais pétales ne tomberont Sur ce sable et sur cette boue, Près de l’affreux mur de prison.
Aussi, bien que le mur affreux L’entoure de tous les côtés, Bien qu’un esprit ne puisse errer La nuit avec les fers aux pieds, Bien qu’il ne puisse que pleurer Qui repose en terre damnée, Il est en paix - ce misérable - Ou la paix sera vite en lui : Plus rien ne peut le rendre fou, Pas de Terreur en plein midi, Car il n’est ni Soleil ni Lune Dans la Terre obscure où il gît. |
XXVI
Ils l’ont pendu comme une bête : Le glas n’a même pas sonné, Un requiem qui eût offert La paix à son âme angoissée.
Puis ils l’ont emporté très vite Et dans un trou ils l’ont caché.
Ils lui ont ôté ses habits, Aux mouches l’ont abandonné : Ils ont raillé son regard fixe Et sa gorge rouge et enflée, Puis ont jeté avec un rire Leur linceul sur leur condamné.
Mais tout est bien ; il a franchi La borne à la Vie assignée : Les larmes d’autrui empliront L’urne brisée de la Pitié ; Des réprouvés le pleureront ; Toujours pleurent les réprouvés.
Je ne sais si la Loi a tort Ou si la Loi est équitable ; En prison on sait seulement Que le mur est infranchissable ; Que chaque jour est une année Dont les jours sont interminables. |
XXVII
Je sais aussi - il serait sage Que chacun en soit informé - Que les prisons bâties par l’homme Sont de briques d’iniquité, L’homme par l’homme mutilé.
Des barreaux la lune est confuse Et le bon soleil aveuglé ; Ils ont bien raison de cacher Leur Enfer, car nul ne doit le contempler !
Les viles actions, comme l’herbe Empoisonnée s’y épanouissent ; Seules les qualités de l’homme S’y épuisent et s’y flétrissent ; Au lourd portail l’Angoisse veille Et le Désespoir aux supplices.
Certains deviennent fous ou pire Et cela sans qu’un mot soit dit. La cellule étroite où l’on vit Est latrine obscure et souillée ; Le souffle puant de la mort Obstrue la lucarne grillée ; Et tout est réduit en poussière Dans la machine Humanité.
Ils nous donnent une eau saumâtre Troublée de limon répugnant ; Un pain dur, lourd de craie, de chaux, Que l’on pèse soigneusement ; Le Sommeil, hagard, ne dort pas, Il marche en implorant le temps.
La faim maigre et la verte soif Luttent tels vipère et aspic ; Mais peu importe la pitance, Ce qui nous glace et nous détruit, C’est la pierre levée le jour Qui devient notre coeur la nuit. |
XXVIII
Minuit au coeur dans la cellule Sombre, nous tournons le foret, Nous rompons la corde en étoupe, Chacun dans son Enfer privé, Et le silence est plus affreux Que la cloche d’airain sonnée. Et jamais une voix humaine Ne nous dit un mot d’amitié ; Car l’oeil derrière le judas Reste sévère et sans pitié.
Là nous pourrissons dans l’oubli, Le corps et l’âme saccagés. Et ainsi, nous rouillons la chaîne De la vie, seuls et dégradés. Certains jurent et d’autres pleurent, Lui ne s’est jamais lamenté.
Dans la cellule ou dans la cour, De chacun se brise le coeur, Ah ! Heureux l’homme au coeur brisé Qui gagne du pardon la paix !
L’homme en rouge qui lit la Loi Lui laissa trois semaines de calme. C’est un temps bien court pour soigner Son âme en lutte avec son âme, Et laver les gouttes de sang Sur la main qui tenait la lame.
Et ses larmes de sang lavèrent La lame et la main qui la tint ; Seul le sang peut laver le sang, Et les larmes donner les soins.
Dedans la geôle de Reading Est une tombe d’infamie. Dévoré pas des dents de flamme, C’est là qu’un misérable gît, Il gît dans un linceul ardent.
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XXIX
Aucun nom sur sa tombe écrit.
Laissons cet homme reposer. Nul besoin de gâcher vos larmes Ni d’exhaler de vains remords.
Il avait tué son amour Aussi pour cela il est mort.
Pourtant chacun tue ce qu’il aime, Salut à tout bon entendeur. Aucun nom sur sa tombe écrit.
Laissons cet homme reposer. Nul besoin de gâcher vos larmes Ni d’exhaler de vains remords.
Il avait tué son amour Aussi pour cela il est mort.
Pourtant chacun tue ce qu’il aime, Salut à tout bon entendeur. |
Oscar Wilde et Alfred Douglas Lire : Le procès d'Oscar Wilde |
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Jean Genêt : Le condamné à mort- poème
A la mémoire de Maurice PILORGE
assassin de vingt ans
Le vent qui roule un cœur sur le pavé des cours,
Un ange qui sanglote accroché dans un arbre,
La colonne d'azur qu'entortille le marbre
Font ouvrir dans ma nuit des portes de secours.
Un pauvre oiseau qui tombe et le goût de la cendre,
Le souvenir d'un œil endormi sur le mur,
Et ce poing douloureux qui menace l'azur
Font au creux de ma main ton visage descendre.
Ce visage plus dur et plus léger qu'un masque,
Et plus lourd à ma main qu'aux doigts du récéleur
Le joyau qu'il convoite ; il est noyé de pleurs.
Il est sombre et féroce, un bouquet vert le casque.
Ton visage est sévère : il est d'un pâtre grec.
Il reste frémissant aux creux de mes mains closes.
Ta bouche est d'une morte et tes yeux sont des roses,
Et ton nez d'un archange est peut-être le bec.
Le gel étincelant de ta pudeur méchante
Qui poudrait tes cheveux de clairs astres d'acier,
Qui couronnait ton front des pines du rosier
Quel haut-mal l'a fondu si ton visage chante ?
Dis-moi quel malheur fou fait éclater ton œil
D'un désespoir si haut que la douleur farouche,
Affolée, en personne, orne ta ronde bouche
Malgré tes pleurs glacés, d'un sourire de deuil ?
Ne chante pas ce soir les <<Costauds de la Lune>> !
Gamin d'or sois plutôt princesse d'une tour
Rêvant mélancolique à notre pauvre amour ;
Ou sois le mousse blond qui veille à la grand'hune.
Et descend vers le soir pour chanter sur le pont
Parmi les matelots à genoux et nus tête
L'ave maris stella. Chaque marin tient prête
Sa verge qui bondit dans sa main de fripon.
Et c'est pour t'emmancher, beau mousse d'aventure
Qu'ils bandent sous leur froc les matelots musclés.
Mon Amour, mon Amour, voleras-tu les clés
Qui m'ouvriront ce ciel où tremble la mature
D'où tu sèmes, royal, les blancs enchantements
Qui neigent sur mon page, en ma prison muette :
L'épouvante, les morts dans les fleurs de violette....
La mort avec ses coqs ; Ses fantômes d'amants...
Sur ses pieds de velours passe un garde qui rôde.
Repose en mes yeux creux le souvenir de toi.
Il se peut qu'on s'évade en passant par le toit.
On dit que la Guyane est une terre chaude.
O la douceur du bagne impossible et lointain !
O le ciel de la Belle, ô la mer et les palmes,
Les matins transparents, les soirs fous, les nuits calmes,
O les cheveux tondus et les Peaux-de-Satin !
Rêvons ensemble, Amour, à quelque dur amant
Grand comme l'Univers mais le corps taché d'ombres
Qui nous bouclera nus dans ces auberges sombres,
Entre ses cuisses d'or, sur son ventre fumant,
Un mac éblouissant taillé dans un archange
Bandant sur les bouquets d'œillets et de jasmins
Que porteront tremblants tes lumineuses mains
Sur son auguste flanc que ton baiser dérange.
Tristesse dans ma bouche ! Amertûne gonflant
Gonflant mon pauvre cœur ! Mes amours parfumées
Adieu vont s'en aller ! Adieu couilles aimées !
O sur ma voix coupée adieu chibre insolent !
Gamin ne chantez pas, posez votre air d'apache !
Soyez la jeune fille au pur cou radieux,
Ou si tu n'as de peur l'enfant mystérieux
Mort en moi bien avant que me tranche la hache.
Enfant d'honneur si beau couronné de lilas !
Penche-toi sur mon lit, laisse ma queue qui monte
Frapper ta joue dorée. Écoute il te raconte,
Ton amant l'assassin sa geste en mille éclats.
Il chante qu'il avait ton corps et ton visage,
Ton cœur que n'ouvriront jamais les éperons
D'un cavalier massif. Avoir tes genoux ronds !
Ton cou frais, ta main douce, ô môme avoir ton âge !
Voler voler ton ciel éclaboussé de sang
Et faire un seul chef d'œuvre avec les morts cueillies
Ça et là dans les prés, les haies, morts éblouies
De préparer sa mort, son ciel adolescent...
Les matins solennels, le rhum, la cigarette...
Les ombres du tabac, du bagne et des marins
Visitent ma cellule où me roule et m'étreint
Le spectre d'un tueur à la lourde braguette.
La chanson qui traverse un monde ténébreux
C'est le cri d'un marlou porté par la musique.
C'est le chant d'un pendu raidi comme une trique.
C'est l'appel enchanté d'un voleur amoureux.
Un dormeur de seize ans appelle de bouées
Que nul marin ne lance au dormeur affolé.
Un enfant reste droit contre le mur collé.
Un autre dort bouclé dans ses jambes noués.
J'ai tué pour les yeux bleus d'un bel indifférent
Qui jamais ne comprit mon amour contenue,
Dans sa gondole noire une amante inconnue,
Belle comme un navire et morte en m'adorant.
Toi quand tu seras prêt, en arme pour le crime,
Masqué de cruauté, casqué de cheveux blonds,
Sur la cadence folle et brève des violons
Égorge une rentière en amour pour ta frime.
Apparaîtra sur terre un chevalier de fer,
Impassible et cruel, visible malgré l'heure
Dans le geste imprécis d'une vieille qui pleure.
Ne tremble pas surtout, devant son regard clair.
Cette apparition vient du ciel redoutable
Des crimes de l'amour. Enfant des profondeurs
Il naîtra de son corps d'étonnantes splendeurs,
Du foutre parfumé de sa queue adorable.
Rocher de granit noir sur le tapis de laine
Une main sur sa hanche, écoute-le marcher.
Marche vers le soleil de son corps sans péché,
Et t'allonge tranquille au bord de sa fontaine.
Chaque fête du sang délègue un beau garçon
Pour soutenir l'enfant dans sa première épreuve.
Apaise ta frayeur et ton angoisse neuve,
Suce mon membre dur comme on suce un glaçon.
Mordille tendrement le paf qui bat ta joue,
Baise sa tête enflée, enfonce dans ton cou
Le paquet de ma bite avalé d'un seul coup.
Etrangle-toi d'amour, dégorge, et fais ta moue !
Adore à deux genoux, comme un poteau sacré
Mon torse tatoué, adore jusqu'aux larmes
Mon sexe qui te rompt, te frappe mieux qu'une arme,
Adore mon bâton qui va te pénétrer.
Il bondit sur tes yeux ; il enfile ton âme
Penche un peu la tête et vois-le se dresser.
L'apercevant si noble et si propre à baiser
Tu t'inclines très bas en lui disant : "Madame" !
Madame écoutez-moi ! Madame on meurt ici !
Le manoir est hanté ! La prison vole et tremble !
Au secours, nous bougeons ! Emportez-nous ensemble,
Dans votre chambre au Ciel, Dame de la merci !
Appelez le soleil, qu'il vienne et me console.
Étranglez tous ces coqs ! Endormez le bourreau !
Le jour sourit mauvais derrière mon carreau.
La prison pour mourir est une fade école.
Sur mon cou sans armure et sans haine, mon cou
Que ma main plus légère et grave qu'une veuve
Effleure sous mon col, sans que ton cœur s'émeuve
Laisse tes dents poser leur sourire de loup.
O viens mon beau soleil, ô viens ma nuit d'Espagne
Arrive dans mes yeux qui seront morts demain.
Arrive, ouvre ma porte, apporte-moi ta main,
Mène-moi loin d'ici battre notre campagne.
Le ciel peut s'éveiller, les étoiles fleurir,
Et les fleurs soupirer, et des prés l'herbe noire
Accueillir la rosée où le matin va boire,
Le clocher peut sonner : moi seul je vais mourir.
O viens mon ciel de rose, O ma corbeille blonde !
Visite dans sa nuit ton condamné à mort.
Arrache-toi la chair, tue, escalade, mords,
Mais viens ! Pose ta joue contre ma tête ronde.
Nous n'avions pas fini de nous parler d'amour.
Nous n'avions pas fini de fumer nos gitanes.
On peut se demander pourquoi les Cours condamnent
Un assassin si beau qu'il fait pâlir le jour.
Amour viens sur ma bouche ! Amour ouvre les portes !
Traverse les couloirs, descends, marche léger,
Vole dans l'escalier, plus souple qu'un berger,
Plus soutenu par l'air qu'un vol de feuilles mortes.
O traverse les murs ; s'il le faut marche au bord
Des toits, des océans ; couvre-toi de lumière,
Use de la menace, use de la prière,
Mais viens, ô ma frégate une heure avant ma mort.
Les assassins du mur s'enveloppent d'aurore
Dans ma cellule ouverte au chant des hauts sapins,
Qui la berce, accrochée à des cordages fins
Noués par des marins que le clair matin dore.
Qui grava dans le plâtre une Rose des Vents ?
Qui songe à ma maison, du fond de sa Hongrie ?
Quel enfant s'est roulé sur ma paille pourrie
A l'instant du réveil d'amis se souvenant ?
Divague ma Folie, enfante pour ma joie
Un consolant enfer peuplé de beaux soldats,
Nus jusqu'à la ceinture, et des frocs résédas
Tire d'étranges fleurs dont l'odeur me foudroie.
Arrache on ne sait d'où les gestes les plus fous.
Dérobe des enfants, invente des tortures,
Mutile la beauté, travaille les figures,
Et donne la Guyane aux gars, pour rendez-vous.
O mon vieux Maroni, ô Cayenne la douce !
Je vois les corps penchés de quinze à vingt fagots
Autour du mino blond qui fume les mégots
Crachés par les gardiens dans les fleurs et la mousse.
Un clop mouillé suffit à nous désoler tous.
Dressé seul au dessus des rigides fougères
Le plus jeune est posé sur ses hanches légères
Immobile, attendant d'être sacré l'époux.
Et les vieux assassins se pressant pour le rite
Accroupis dans le soir tirent d'un bâton sec
Un peu de feu que vole, actif, le petit mec
Plus élégant et pur qu'une émouvante bite.
Le bandit le plus dur, dans ses muscles polis
Se courbe de respect devant ce gamin frêle.
Monte la lune au ciel. S'apaise une querelle.
Bougent du drapeau noir les mystérieux plis.
T'enveloppant si fin, tes gestes de dentelle !
Une épaule appuyée au palmier rougissant
Tu fumes. La fumée en ta gorge descend
Tandis que les bagnards, en danse solennelle,
Graves, silencieux, à tour de rôle, enfant,
Vont prendre sur ta bouche une goutte embaumée,
Une goutte, pas deux, de la ronde fumée
Que leur coule ta langue. O frangin triomphant,
Divinité terrible, invisible et méchante,
Tu restes impassible, aigu, de clair métal,
Attentif à toi seul, distributeur fatal
Enlevé sur le fil de ton hamac qui chante.
Ton âme délicate est par delà les monts
Accompagnant encor la fuite ensorcelée
D'un évadé du bagne, au fond d'une vallée
Mort, sans penser à toi, d'une balle aux poumons.
Élève-toi dans l'air de la lune ô ma gosse.
Viens couler dans ma bouche un peu du sperme lourd
Qui roule de ta gorge à tes dents, mon Amour,
Pour féconder enfin nos adorables noces.
Colle ton corps ravi contre le mien qui meurt
D'enculer la plus tendre et douce des fripouilles.
En soupesant charmé tes rondes, blondes couilles,
Mon vit de marbre noir t'enfile jusqu'au cœur.
Oh vise-le dressé dans son couchant qui brûle
Et va me consumer ! J'en ai pour peu de temps,
Si vous l'osez, venez, sortez de vos étangs,
Vos marais, votre boue où vous faites des bulles
Ames de mes tués ! Tuez-moi ! Brûlez-moi !
Michel-Ange exténué, j'ai taillé dans la vie
Mais la beauté Seigneur, toujours je l'ai servie,
Mon ventre, mes genoux, mes mains roses d'émoi.
Les coqs du poulailler, l'alouette gauloise,
Les boîtes du laitier, une cloche dans l'air,
Un pas sur le gravier, mon carreau blanc et clair,
C'est le luisant joyeux sur la prison d'ardoise.
Messieurs je n'ai pas peur ! Si ma tête roulait
Dans le son du panier avec ta tête blanche,
La mienne par bonheur sur ta gracile hanche
Ou pour plus de beauté, sur ton cou mon poulet...
Attention ! Roi tragique à la bouche entr'ouverte
J'accède à tes jardins de sable, désolés,
Où tu bandes, figé, seul, et deux doigts levés,
D'un voile de lin bleu ta tête recouverte.
Par mon délire idiot je vois ton double pur !
Amour ! Chanson ! Ma reine ! Est-ce ton spectre mâle
Entrevu lors des jeux dans ta prunelle pâle
Qui m'examine ainsi sur le plâtre du mur ?
Ne sois pas rigoureux, laisse chanter matine
A ton cœur bohémien ; m'accorde un seul baiser...
Mon Dieu je vais claquer sans te pouvoir presser
Dans ma vie une fois sur mon cœur et ma pine !
Pardonnez-moi mon Dieu parce que j'ai péché !
Les larmes de ma voix, ma fièvre, ma souffrance,
Le mal de m'envoler du beau pays de France,
N'est-ce pas assez monseigneur pour aller me coucher
Trébuchant d'espérance.
Dans vos bras embaumés, dans vos châteaux de neige !
Seigneur des lieux obscurs, je sais encore prier.
C'est moi mon père, un jour, qui me suis écrié :
Gloire au plus haut du ciel, au dieu qui me protège
Hermès au tendre pied !
Je demande à la mort la paix, les longs sommeils,
Les chants des Séraphins, leurs parfums, leurs guirlandes,
Les angelots de laine en chaudes houppelandes,
Et j'espère des nuits sans lunes ni soleils
Sur d'immobiles landes.
Ce n'est pas ce matin que l'on me guillotine.
Je peux dormir tranquille. A l'étage au-dessus
Mon mignon paresseux, ma perle, mon jésus,
S'éveille. Il va cogner de sa dure bottine
A mon crâne tondu.
Il paraît qu'à côté vit un épileptique.
La prison dort debout au noir d'un chant des morts.
Si des marins sur l'eau voient s'avancer les ports
Mes dormeurs vont s'enfuir vers une autre Amérique.
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