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journal d'un détenu au quartier des "Isolés" - Prison des Baumettes à Marseille

03 - PAROLES DE MATON

Avertissement : toutes les informations sur cette page ont été approuvées par Alain H., ancien maton des Baumettes. Les articles de témoignages ont été écrits et validés par lui...

03 - PAROLES DE MATON

Cette page est dédiée aux matons des Baumettes. C'est vrai que je les égratigne tout le long des pages de mon journal. C'est vrai aussi que souvent ils nous houspillent...

Allons ! on va pas se fâcher pour ça : chacun son métier. Les uns sont des brigands, les autres des porte-clefs...

Cette page a été construite avec Alain H., qui a été maton - puis 'maton chef' - à la Prison des Baumettes de 1984 à ... Nous avons pris le temps d'échanger et de dialoguer.

Alain-le-super-maton a réagi à plusieurs pages de mon journal, en décrivant la scène du point de vue des surveillants. D'autres pages sont directement extraites de son journal.

Retrouvez le nouveaublog d'Alain H : Premiers pas au-delà des murs

***

03 - PAROLES DE MATON

Présentation d'Alain H.

"Derrière ces murs tant de détresses et d'oublis. Il ne faut pas pardonner, mais l'humain en cage c’est contre nature."

"Le hasard m'a fait rencontrer un homme qui m'a dit « pourquoi ne pas entrer dans la pénitentiaire ». Je l'ai pris pour un fou « moi gardien de prison ! ». Il m'a répondu « Deux fois le SMIG sans compter les avantages de la fonction publique » L'idée a fait son chemin, comment pourrai-je y arriver ? Un type comme moi sans envergure qui a peur d'un pigeon mort, naïf, gentil, se retrouver face à des serial-killers, violeurs, caïds, parrains du milieu, je me ferais manger tout cru...

" Le 31 juillet 1984. J'entre aux Baumettes. C’est la première fois que je mets les pieds dans une prison. Quand je repense à ce moment là, c'est un cauchemar, un séisme..."

 

SOMMAIRE

LE CHOC - au-delà du réel Lire

Un arrivant au Greffe de la prison Lire

Premiers pas en-deçà des murs Lire

Entretien avec un arrivant Lire

C'est vrai que nous les houspillons Lire

'Le jour où nous sortons, eux restent...' Lire

La psychiatrie en milieu carcéral Lire

Chut ! on tabasse. Silence ! on boit... Lire

Un pas au-delà des murs - Le maton en prison  Lire

Pas de promenade pour les matons  Lire

Ce dimanche, j'ai décidé de fouiller la cellule de Tomy et Kamel  Lire

 

 

Licite ou illicite ? Lire

Entre règlement et arrangements  Lire

Un maton parle des pointeurs Lire

Service de nuit Lire

Amours et sexes emprisonnés Lire

Histoires (vraies) de (faux) suicides Lire

Cachot, sanctions et discipline Lire

La Grande mutinerie de 1987 Lire

Une évasion en Avignon  Lire

Paroles d'autres matons Lire

 

(Dessins :Lasserpe (23/03/10) : Des tensions provisoires)

 

 

 

 

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03 - PAROLES DE MATON

Bruno des Baumettes a écrit : ''Les Baumettes s'offrent à moi, à ma vue, à mon ouïe et à mon odorat : grouillantes, bruyantes et malodorantes...''

(03-09 - Trois jours après le naufrage)

JEUDI 27 OCTOBRE 2011 - LE CHOC

Au-delà du réel

Le 31 juillet 1984. J'entre aux baumettes. C’est la première fois que je mets les pieds dans une prison. Quand je repense à ce moment là, c'est un cauchemar, un séisme. Tout citoyen bien pensant dit :"Il faut mettre la canaille en prison..il a pris 20 ans tant mieux".


Quand s'ouvre puis se referme cette immense porte en fer. Là on est plus dans mélodie en sous-sol de Jean Pierre Melville, ni à la prison d'Alcatraz. C'est la porte qui se referme sur des gens, et sur de lourds secrets. On passe un sas, puis un autre, on entre enfin dans un bâtiment. Au milieu nous distinguons 4 étages de coursives de 150 mètres de chaque cotés. J’ai le vertige, la tête tourne. On arrive à se demander, s'il ne faut pas vite fuir, comme certains collègues. Cette immensité nous fait froid dans le dos. De chaque cote de la coursive de 150 mètres de long un surveillant pour 140 détenus, des phrases sont criées :


"Kamel tu me fais passer des cigarettes, du papier à rouler et un toto"


TOTO : Thermoplongeur artisanal fait à partir de deux couvercles de boite de conserve. On peut le faire avec d autres objets ferreux séparés par un bout de bois. Chaque partie métallique étant relié à un fil électrique branché sur une prise. Les trois quart du temps cela fait sauter le courant à l’étage et oblige le surveillant à le remettre au bout d’un certains temps.

"Surveillant, surveillant, tu m'ouvres la 425 il faut que je récupère de la Ricorée chez Rocco"

"Surveillant, surveillant, ouvre moi j'ai entendu mon nom pour le parloir".


Et presque sans arrêt la micro grésillant hoquetant qui scande :


"Surveillant 1er étage : détenu Alain pour parloir, détenu Bert pour avocat, détenu Carco pour visiteuse "


Une litanie ou chaque surveillant d'étage doit noter le détenu dont il a la responsabilité pour l'envoyer aux endroits demandés. La visite se poursuit par le bâtiment B. En ce dirigeant vers ce bâtiment dans le long couloir, nous croisons une foule de personnes.

Le formateur nous dit : « Ce sont des détenus qui vont au parloir ou voir l'avocat ou la visiteuse, seuls. De toute façon en arrivant au bâtiment A, ils trouveront une porte électrique. Un surveillant pourra vérifier le lieu où ils se rendent... »


Nous sommes stupéfaits. Avant de franchir ces grilles nous n'aurions jamais pensé que ces personnes, pouvaient être lâchées et se diriger seul dans les couloirs. Un prisonnier normalement c'est enfermé et ca ne sort jamais de sa cellule.

D’un seul coup tout se met à bouger, nous les quidams libres ne comprenons plus rien.

Alors comme ça à l'intérieur ils bénéficient d'une liberté de mouvements. Ils se parlent de cellule en cellule, des détenus balayent les couloirs d'autres réparent les sanitaires ou l'électricités.

Un étage de moins. Toujours ces immenses coursives. Cette litanie d'un micro crachotant hoquetant, auquel il faut à chaque fois saisir le bon nom. On se croirait dans un bateau ivre, le commandant donne des ordres et des ouvriers essaient tant bien que mal de les appliquer. C’est renversant, inimaginable, cela oscille entre réalité et cauchemar et l'on se demande si l'on va se réveiller.


Apres ce premier contact, nous allons dans la salle de formation. Enfin je retrouve la vie. Maintenant je sais que deux mondes existent vivent et se croisent, il y a dans et au-delà des murs.


Nous le personnel de surveillance en tenue dans son ensemble, faisons un métier ou peu de personnes peuvent résister, la barrière entre le dehors et le dedans. Avec mon expérience je peux vous dire que nous sommes un peu les héros des temps modernes. Funambulesques, sur le fil du rasoir, le vide de chaque cotés, et si nous mettons un pied de travers la lame ne nous tranche à jamais.


Je défie à quiconque, artisans intellectuels, technocrates de passer une semaine dans les murs. Nous ne sommes pas la poubelle de la France. Nous sommes les garants de la paix civile des honnêtes citoyens, la noblesse de notre tache est l'équité. Le savoir faire, nous permet de régler bien des problèmes avant d'être commencées.

Je veux faire un pas en avant. J’hésite j'ai l'impression que des barreaux, des murs invisibles m'empêchent d'avancer. Je fais un effort je mets un pied devant l'autre et rien pour m'arrêter. Je comprends à ce moment là toute la dimension que peut prendre le mot liberté pourquoi des hommes se sont battus sont morts pour elle et pour en son nom.

Derrière ces murs tant de détresses et d'oublis. Il ne faut pas pardonner, mais l'humain en cage c’est contre nature.


Le soleil éclate sur mon visage, encore plus synonyme de liberté. Je rejoins ma bonne vieille Renault six, qui a bien voulu m'accompagner dans ce voyage au bout de la nuit comme disait « Céline », sans gloire et en enfer.

Je pense à mon épouse, à mes deux filles qui m'attendent dans ma merveilleuse tour de 12 étages à Avignon avec vue sur l'hypermarché. Que vais-je leur dire ? Que je suis descendu dans les entrailles de la misère humaines, que j'ai rencontré tous les rebuts de la société. Je sais ce que je vais leur dire.


Peut-être des mots ressemblant à cela :


« Mes enfants, mon épouse lorsque vous sortirez que vous ouvrirez des portes. Vous comprendrez que le bonheur c'est la liberté. Pour que vous l’ayez, que vous puissiez manger à votre faim. Je m'engage dans un métier synonyme de privation de liberté, afin que vos lendemains soient plus doux et pour que vous ne manquiez de rien.

« Toi papa, toi maman, je sais que c'est complètement fou. Le gaucher contrarier. Le gamin terrorisé par un pigeon mort tenu par madame Lousteau qui aujourd'hui ne peut plus toucher des animaux à plumes.

« Oui, ce gamin un peu fragile va être confronté avec les êtres les plus dures, les plus pervers de la société. Vous mes frères ne vous inquiétez pas. Je vais montrer que dans ce métier d'enfermement, je peux m'épanouir. »


« Vous, papa maman, je reviendrai en Avignon. Vous serez fiers de moi. Je pourrai m'occuper de vous pour vos vieux jours. Voilà pourquoi je reprendrai ma fidèle Renault 6 pour attaquer ma première journée de travail. »

(Article publié depuis la page d'Alain H. : 'Le choc - au-delà du réel')

LIRE LA SUITE Dans l'horreur des coursives (27/10/2011)

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Bruno des Baumettes à écrit :

''J'ai passé le sas d'entrée, ... la séance de déshabillage, de palpation corporelle et les autres formalités d'usage..."

(Chapitre 1 -Trois jours après le naufrage)

 

Un arrivant au Greffe de la prison

 

Le soir comme le week-end, en l'absence des greffiers, ce sont les gradés postés qui s’occupent des premières formalités d’écrous. Nous pouvons à tout moment être appelés au greffe...

 

à la porte des Baumettes

 

A la porte de la prison, il y a toujours un surveillant portier qui est chargé de vérifier les documents qui autorisent toutes les personnes qui se présentent devant l’établissement. S'ils transportent quelqu’un, ils doivent en fournir la raison : est-ce une mise en examen ou un retour d’extraction ou est-ce pour un autre motif ?

 

Toutes entrée ou sortie après les heures ouvrables que ce soient de personnes détenues, et même de membres du personnel, doivent m'être signalées. Il en va de ma responsabilité de Brigadier major, responsable du Personnel et des détenus.

 

Le Greffe de la prison, un lieu hautement stratégique

 

Le greffe de la prison est le premier endroit où se présente un détenu qui arrive aux Baumettes. C’est une pièce qui contient tout les dossiers pénaux relatives aux personnes déférées – c'est ici qu'ils sont conservés et mis à jour. On y réceptionne aussi le fax (qu’il faut authentifier) d'un juge qui décide d'élargir' une personne placée sous main de justice – c'est-à-dire de la libérer.

 

On y trouve aussi un coffre de dépôt, dans lequel on place les valeurs retirées à l'arrivant. En dehors des heures ouvrables, je suis le seul habilité à manipuler ces valeurs (argents, bijoux...) que je dépose ensuite dans le coffre.

 

Un arrivant, le soir...

 

Un soir vers 20 heures, alors que j’étais dans mon bureau à faire la notation des agents, le surveillant de la porte m’appelle et me dit qu’il y a un arrivant accompagné d'une escorte de police qui se présente à l'entrée. A la lecture du mandat de dépôt, je saurai vite s'il s'agit d'un prévenu ou d'un condamné.

 

Je demande aux forces de l’ordre de retirer les menottes du bonhomme. Je vérifie le mandat. Il doit avoir été authentifié par un responsable du tribunal. S’il manque une mention ou une signature, je suis contraint de renvoyer l’escorte policière - et le détenu - pour obtenir du sceau manquant. (Le risque étant qu'on nous reproche une détention arbitraire – même pour vice de forme).

 

Ainsi, est-il arrivé - après que j'aie mal lu un mandat de dépôt confus et incomplet-, qu'une personne ait fait huit heures de détention arbitraire ! ce m'a valu un voyage gratuit à Paris, en commission de discipline. Heureusement que la personne n’a pas porté plainte, car j'aurais pu me retrouver au tribunal ! C'est vous dire la responsabilité que nous avons, tout en étant pas des juristes, spécialistes du droit. C'est normalement le rôle, en journée, des greffiers.

 

Avec le mandat de dépôt, une note peut être (ou ne pas être) jointe. Celle-ci peut préciser, éventuellement, des indications particulières relevant parfois du secret médical. Ce peut être un mot d'un médecin établi, par exemple, pendant la garde-à-vue. Il peut avoir signalé que la personne doit être vue dés son arrivée par un médecin de la prison. A ce moment-là, j’appelle le médecin de garde, voire même le SAMU. Bien sûr, ce n'est pas la majorité des arrivants qui nous sont signalés médicalement.

 

Une fouille conduite dans les règles

 

La police est repartie. Le détenu, entre-temps a été mis dans une 'cage'. J'emploie le mot 'cage' à dessein pour désigner la cellule toute étroite du greffe. Les arrivants peuvent parfois y passer, et désespérer, plusieurs heures selon les situations avant qu'on s'occupe d'eux.

 

Je suis là, avec trois surveillants. Nous ouvrons la cage, nous faisons sortir l'arrivant. Voici venu le temps des premières formalités. Je prends ses empruntes digitales, j’enregistre et note l’argent et les valeurs et je lui fais signer le récépissé ainsi que sa fiche d’écrou. Je lui remets une carte provisoire avec son numéro d’écrou mais sans photo. Le lendemain il sera rappelé au greffe pour compléter son dossier. Il aura droit à ce moment-là à la séance-photo d'usage.

 

Une fois toutes ces démarches faites, nous le dirigeons dans le local de fouille. Accompagné d'un agent, je lui intime l'ordre de se déshabiller complètement. Nous fouillerons minutieusement ses vêtements, leurs doublures, le contenu des poches... Nous retirons les éventuelles cordelettes qui dépassent. En prison, bien sûr : pas de ceinture ni de ficelles...

 

La fouille se poursuit. Je lui demande de retirer son slip. Nous lui regardons les cheveux, nous lui passons la main sur le crâne pour être sûr qu’il ne dissimule rien, nous l'inspecterons jusque derrière les oreilles. Nous lui demandons d’ouvrir la bouche et de soulever la langue.

 

La fouille se prolonge. « Soulevez les bras ! »: il faut vérifier sous les aisselles. Nous descendons plus bas, il doit soulever son pénis, pour être sûr que là non plus il n’y a rien. Puis il doit se retourner. Toujours : vérifier le dos !

 

La fouille est presque terminée : vient l'inspection des fesses ; Bien souvent nous y avons trouvé-là, collées, des sachets de drogues. Nous devons nous assurer aussi qu'il n'a pas dans l'anus de substances ou objets illicites : je lui demande de s’accroupir et de tousser. Pour finir il doit soulever la plante des pieds.

 

C'est bon, c'est fini, il peut se rhabiller. Voilà une fouille réglementaire...

 

Un peu d'humanité

 

Souvent, l'homme arrive après une garde-à-vue qui a été éprouvante. S’il n’est pas agressif, je le rassure en lui disant que le plus dur est passé, que la prison a évolué, que ça va bien aller à présent. Je lui promets que le lendemain il pourra voir une assistante sociale. que je vais essayer de trouver un détenu en rapport à son profil pour le placer dans une cellule où il se sentira le mieux.

 

Comme je suis fumeur et que je sais qu'en garde-à-vue il n'a pu fumer, souvent je n’ai pas le cœur à le laisser sans rien. Je vais lui offrir une cigarette. Parfois même, il m’est arrivé de récupérer du tabac d'un détenu libéré, et que je gardais pour ces occasions.

 

C’est fou ce qu’un peu de tabac peu faire tomber comme tensions. L'énervement part en fumée !

 

Vers le quartier des arrivants

 

Escorté de trois surveillants, nous le dirigeons vers le quartier des arrivants. J’essaie de faire au mieux pour lui trouver une cellule convenable, ou de le placer avec un codétenu avec lequel ça devrait bien se passer. Si le quartier manque de places – ce qui est le cas surtout le week-end – alors c'est pas possible... Et quand c'est pas possible, je trouve à le placer ou je peux... (En semaine c'est moins chargé : les détenus sont régulièrement dispatchés vers leur quartier d'affection définitive.)

 

Parmi ceux qui arrivent, il y a des personnes en grande détresse. Je les vois, je les reconnaîs : je suis un professionnel et j’ai un sixième sens. Cela ne s’explique pas. Dans ce cas, en général, je prends la décision de le 'doubler'. C'est-à-dire de le mettre dans une cellule en compagnie d'un autre détenu.

 

Cela permet d'éviter qu'il passe à l'acte, qu'il fasse une tentative de suicide, par exemple. Son co-détenu veillera sur lui toute la nuit. Bien sûr, j'en parle à celui qui est là : je lui demande avec respect et gentillesse s'il veut prendre soin du nouveau venu, s'il veut bien l'accueillir. Jamais je n’ai eu de refus. Il y a de la solidarité entre eux.

 

L'arrivée d'un 'pointeur'

 

Enfin, il y a le cas des 'pointeurs'. Là, ce n'est pas la même chose. Les motifs de l'incarcération figure sur le dossier d'écrou, dès l'arrivée j'en ai pris connaissance. Si le type est écroué pour mœurs, je lui conseille fortement de ne pas le dire aux autres détenus. Il faut lui éviter la 'double peine' et qu'il subisse aussi la violence des autres détenus.

 

Je sais et redoute leurs violences. Mis au ban par les autres, il subira des insultes, des coups, des menaces. Pour beaucoup de détenus, une agression sexuelle est bien pire que l'attaque d'une banque... le vol du sac d’une vieille dame.

 

Pourtant, il n’y pas de délit 'noble'. Il y a des délits et une société qui inflige des peines. En prison, ce n'est peut être la loi du Talion.

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***

 

03 - PAROLES DE MATON

Bruno des Baumettes a écrit : ''J'entends marcher, se presser, s'interpeller dans les coursives. Du monde à tous les étages.''

(Chapitre 1 – il pleut sur les Baumettes)

Premier pas en-deçà des murs

Lorsque j’ai mis le premier orteil dans une prison, je ne me doutais pas qu’il y avait autant de monde. Détenu, personnel de surveillance, et intervenant intérieur et extérieur. C’est une véritable ruche.

Il y a plein de détenus qui vont dans tous les sens, comme muent par des puces électroniques, plus ou moins ordonnées par le personnel.

Avant de faire ce métier, j’avais une vision simpliste de ce monde. Une prison c’était un bâtiment fermé, ou des gardiens aimables comme des portes de prisons, ouvraient les portes des cellules (d’où l’expression « les surveillants sont des porte-clefs »), juste pour donner à manger. Je savais qu’ils avaient droit à une promenade dans une cours, comme nous quand nous étions enfants avec la cour de récréation.

Se retrouver plongé dans ce monde et surtout aux Baumettes, c’est franchir l’enfer du décor. Nous rentrons dans une troisième dimension.

Les coursives, car oui cela s’appelle des coursives comme dans un bateau ivre, sont envahies toute la journée de monde. Les détenus qui rentrent et sortent pour aller à différentes activités, d’autres qui distribuent les cantines (épicerie intérieure) ou les draps.

Au milieu de tout cela un pauvre type en bleu. Moi...

Il regrette déjà, il se demande s’il ne va pas démissionner se soir. Ce pauvre gars essaie de fermer ou d’ouvrir les portes sur 300 mètres, aller et retour, de son demi-étage, cela rythmé par un débit de noms égrenés, par un micro grésillant, digne des camps de la mort.

J’ai vécu cela aux Baumettes, plus que dans un autre établissement. Le choc est horrible. C’est un choc moral, où on se pince pour savoir si on ne dort pas. Déjà pour renter dans ce blockhaus, il faut passer des tonnes de grilles. Tu passes la première : tu souris, tu passes la dernière tu pleures, sans même que le surveillant te dise un mot. C’est comme cela que je l’ai ressenti les Baumettes.

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***

 

Bruno des Baumettes à écrit : 'avant d'être démanagé, ce matin j'ai rencontré le 'chef' (je suppose que c'est le chef puisque c'est un gradé en uniforme)...' (Chapitre 1 - entretien)

 

Entretien avec un arrivant

C'est de la cordialité ou bien la tension qui se dégagent de ce premier entretien que se crée le fil conducteur de nos futures rencontres.

 

Je suis de service aujourd'hui. Je travaille la journée. Ce matin, j'ai pris le temps de consulter les dossiers. A neuf heures, je demande à l’agent d’étage de m'amener les arrivants. Je les invite en 'audience arrivant'.

 

Une audience arrivant

 

L'arrivant entre dans mon bureau. Je le fais asseoir. Le plus souvent l'entretien se fait en présence d'un surveillant : je ne connais pas les réactions du nouveau détenu et je cours toujours le risque de me faire agresser. Je le reçois seul seulement lorsque la personne m’inspire confiance ou si c’est une personne en détresse et que je ne veux pas lui imposer que nous soyons deux à l'écouter.

 

Le rôle de l’agent qui m'accompagne est de garantir notre sécurité. Il m'informe aussi s’il y a une place dans telle ou telle cellule. Il me renseigne en me disant celle ou l'arrivant pourra être bien : il connaît les détenus.

 

Je questionne le nouveau venu. Je l'interroge sur son parcours de délinquant, sur son parcours d’honnête homme aussi. J’ouvre un dossier arrivant où des imprimés sont à remplir. Dessus figure toute une liste de questions, j'y transcris les réponses de l’arrivant. Ce sont des questions d'usage (âge, situation de famille, situation professionnelles, etc...) et d'autres questions aussi : désire-t-il travailler ? Veut-il aller à l’école durant sa détention ? Veut-il faire du sport ?

 

À la fin du document je donne mon avis sur ma perception de la personne. A l'époque c’était un dossier papier, nous mettions ensuite le tout – en grandes lignes - sur informatique. Aujourd'hui tout doit se faire par ordinateur.

 

Pour l’aider éventuellement à la réinsertion. Je lui conseille de reprendre des études, de s’inscrire au CNED – le Centre national d'enseignement à distance. Je lui propose aussi de voir une assistante sociale qui pourra envisager avec lui son retour au dehors et qui pourra prendre contact avec les personnes qui pourront se charger de lui.

 

C'est aussi lors de cet entretien que nous pouvons nous apercevoir qu'un détenu est très mal dans sa peau. Souvent, il pleure, il tremble : il ne peut pas mettre un mot devant l’autre de façon cohérente. Parfois même il délire, il n’est plus dans la réalité. Je lui propose d'aller au SMPR, le service psychiatrique de la prison.

 

Si le détenu est calme et l’entretien cordial, le surveillant peut intervenir pour demander ou apporter des précisions. C'est de la cordialité ou bien la tension qui se dégagent de ce premier entretien que se crée le fil conducteur de nos futures rencontres.

 

En fonction de tous ces éléments, et de ce que je perçois de lui, j’essaie de lui trouver une cellule et un étage qui conviennent le mieux à son profil. Si c’est un délit de mœurs, je lui annonce qu’il sera dans un quartier réservé, pour éviter que des esprits troublés ne l’agresse. Pour ma part, en tant que major je n’ai pas à juger. Je suis là pour la garde et l’entretien.

 

le choix d'une cellule

 

Puis vient le moment d'affecter le détenu dans une cellule. L'aide de l'agent qui m'accompagne est souvent précieuse : sa connaissance est plus fine que la mienne, il est plus souvent dans les étages, il saura m’aider dans le placement de l’arrivant . Il est évident qu’avec le surpeuplement, cela devient dur de trouver une cellule qui correspond au profil de l’arrivant.

 

Il peut nous arriver aussi de faire des erreurs, de mettre, par exemple, une première incarcération avec un type qui en est à son dixième séjour aux Baumettes. De mettre un petit voleur avec un meurtrier, ou même un Marocain avec un Algérien alors qu'ils se font la guerre dans le désert.

 

Dans ces cas-là parfois cela tourne à la catastrophe. Si je les ai mis ensemble, c’est que je n’avais plus de place. J'ai pensé, cela me semblait la moins mauvaise solution, mais nous ne sommes pas dans toutes les têtes pour savoir que parfois ce n’était vraiment pas un bonne solution. Mais y avait-il d'autres solutions ?

 

Je regrette que certains de nos supérieurs, aient agi parfois en dépit du bon sens, en plaçant ensemble des détenus que les agents d’étage et moi-même jugions incompatibles. Mais ainsi va la vie, ainsi vont les choses : en fonction des mouvements, des arrivées, des départ, des évasions, des décès aussi... Nous tentons toujours de faire au mieux.

 

Nous essayons que le séjour dans nos murs ne devienne pas plus qu'une peine privative de liberté, qu'elle ne se transforme pas en double-peine, qui rajouterait de la violence, de la torture morale, ou pire encore...

 

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03 - PAROLES DE MATON

Bruno des Baumettes a écrit : ''Beaucoup de nos geôliers font ce qu'ils peuvent – c'est-à-dire, pas grand chose. Parfois ils nous houspillent, le plus souvent ils tentent de nous ignorer.''

(Chapitre 1 – Il pleut sur les Baumettes)

C'est vrai que nous les houspillons...

Nous sommes beaucoup de personnel à faire ce que nous pouvons, c'est-à-dire quasiment rien en dépensant une énorme énergie. Aux Baumettes un étage c’est 300 mètres, donc 600 aller-retour. Le demi-étage la moitié moins. Cela vas de 150 a 300 détenus.

Il y a deux surveillant par étage, si l'un part une heure et cela arrive souvent, croyez-moi que le pauvre gars qui reste ne pourras jamais arriver à faire toutes les tâches imparties à son niveau. Entre les promenades, les parloirs familles et avocats, etc., l’agent n’a pas une seconde à lui.

Alors c’est vrai que le détenu peu se sentir, ignoré. Mais de là à penser que nous ne faisons pas grand-chose, c’est bien mal nous connaître. Alors, c’est vrai nous houspillons !

Cent cinquante détenus qui remontent de promenade et qui courent dans tous les sens pour avoir ce qui leur manque en cellule : tabac, café, bouquins, j'en passe et des meilleures... ; cent cinquante détenus qui ne sont jamais devant la porte que nous avons ouverte pour faire rentrer le mouvement de promenade, alors oui nous houspillons

Mais cela est normal, au lieu de mettre cinq minutes on met dix a quinze minutes et cela retarde le travail que nous avons à faire.

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03 - PAROLES DE MATON

Bruno des Baumettes a écrit : ''Un de mes nouveaux compagnons d'infortune m'a dit l'autre matin, alors qu'on nous pressait : « Le jour où nous, nous sortons, eux : ils restent ». C'est pas mal vrai ça : une vie entière en prison !'' (Chapitre 1 – Il pleut sur les Baumettes)

'Le jour où nous sortons, eux restent...'

Combien de fois, j’ai entendu cette phrase. Regardez Les temps modernes, de Charlie Chaplin, vous verrez qui c’est le plus en prison : de l’ouvrier ou du fonctionnaire. Le travail n’est-il pas la prison de l’homme qui lui permet de s’offrir honnêtement de la liberté avec l’argent qu’il a gagné ?

Une vie entière en prison. Tu parles ! vingt cinq ans de service pour trente ans compté pour la retraite et plus de mille cinq cent euros de retraite !

Prenez un ouvrier actuellement, il fera quarante deux ans de cotisation et il n’est même pas sûr de toucher le SMIG, après avoir trimé jusqu'à soixante cinq ans et plus. Prenez un voyou : lui il a de grande malchance de ne pas avoir de retraite.

A moins que ce soit un hors-la-loi intelligent : qui aura mis son magot à l’abri pour ses vieux jours. A ce niveau-là, il aurait mieux valu qu’il soit honnête.

Pour terminer on ne dit pas que les travailleurs sociaux, les intervenants intérieurs ou extérieurs passent aussi leur vie en prison ! Ils passent autant de temps que nous.

Je pense que pour le détenu, c’est l’effet de miroir pour eux que de se dire : 'Les gardiens restent toute leur vie en prison, nous on sort'. D’accord... Le mois dernier, il y en un qui a pensé cela mais il a été abattu en face de la porte des Baumettes...

A méditer.

03 - PAROLES DE MATON

Bruno des Baumettes à écrit : "Je pénètre dans un grand hall tout repeint et lumineux du Service Médico-Psychologique des Baumettes (SMPR). Là, je n'ai pas à patienter. Je suis reçu directement par le médecin psychiatre dans un petit bureau...

"La discussion dure à peine cinq minutes. Je lui confie mon désarroi et mes angoisses nocturnes. Il me questionne sur mes idées noires puis me propose des cachets. La routine, je suppose..." (Chapitre 1 - à Saint Pierre !)

La psychiatrie en milieu carcéral est une chose très délicate.

Les psychiatres lorsqu’ils reçoivent les détenus, ont souvent tendance à leur délivrer une dose massive de cachetons pour annuler toute réaction violente possible. On peut les comprendre dans un milieu aussi difficile : laisser un détenu qui peut être très violent peut conduire au désastre.

Ces docteurs du cerveau ont parfois la main un peu lourde. Il leur faut pouvoir transformer ces humains-là en loque pour anéantir tout accès de violence de leur part. Il est certain qu’il vaut mieux que ces détenus particulièrement dangereux soient dans un état second. En prison, dans leur état normal, ils feraient un carnage.

Des tueries de surveillant, de détenu, de personnel médical jalonnent l'actualité. Des faits-divers tragiques sont régulièrement évoqués. Ainsi vaut-il mieux dès le départ anesthésier toutes velléités. A l’extérieur, sûrement, à ces types, on leur aurait administré des doses plus légères.

Pour la défense des psys, comment donner un bon protocole dans un monde carcéral qui n’est pas humain ? Comment doser ? l'équilibre est précaire. Car il faut être fort et avoir du caractère,- ou bien être un habitué - pour supporter l’incarcération et la vivre comme un passage obligé entre deux coups fumeux.

En prison comme dans les asiles psychiatriques, des préparations médicamenteuses sont délivrées quotidiennement aux détenus. Cela aide le personnel pénitentiaire à gérer une journée et d'éviter les incidents. Ça les calme, ça les aide à supporter leur situation. C'est comme une soupape de sécurité à la fois pour le personnel et pour les détenus. On échange ainsi une prison de pierres et de barreaux contre une camisole chimique.

***

Une grande partie de la population pénale refuse la prison, ces détenus refusent souvent d’assumer les fautes, leurs délits. Sans violence, doucement ils glissent vers la déprime. Les médocs leur servent alors de béquille. Peut-être est-ce aussi à cause de cela que le trafic de shit en détention est si courant. Le cannabis leur permet de mieux supporter l’enferment.

En prison, pour les psy, le 'public-cible' c'est principalement les 'drogués'. Ceux-là sont obligés de passer nécessairement par le psy, pour qu'il puisse recevoir un traitement médical de substitution, sinon ils sombrent dans la folie.

Mais parmi ces drogués, il y en a qui exagère leur état pour qu'on leur donne une dose plus forte de Subutex. (Le Subutex comme la Méthadone sont deux traitements de substitution à l'héroïne). Ces détenus utilisent ensuite le surplus pour se livrer a du 'commerce'. Cela crée, au sein de la prison tout un circuit et des trafics. Je pu en être témoin et je l'ai dénoncé auprès du Service concerné, mais ma plainte est restée sans effet.

***

La psychiatrie est indispensable en prison, certes mais je trouve les praticiens souvent un peu naïfs. Se rendent-ils compte vraiment de qui ils ont en face ? C'est nous, les Surveillant qu'ils considèrent parfois comme les méchants loups...

Il y a trop de laxisme de leur part. Par exemple envers des détenus mis en Quartier disciplinaire : le QD. (Le Quartier disciplinaire, en argot carcéral le mitard : ce sont des cellules réservées à l'exécution d'une punition interne à la prison, autrement dit : le cachot)

Pour pouvoir sortir du cachot, un détenu a fait un jour une 'tentative de suicide'. Il a soi-disant tenté de se tuer avec un ruban tressé à partir de son drap : une toile faite pour ne pas résister à un poids supérieur à deux kilos !

Le psy l'a immédiatement sorti du quartier de punition sous prétexte de 'tentative d'autolyse' – c'est-à-dire : d'autodestruction ! Tentative bidon, faut pas déconner ! Il n’allait pas s’abîmer le portait, il pesait plus que deux kilos le gars ! Après, il a pu nous narguer et se venter qu’il sortait du QD comme il voulait !

03 - PAROLES DE MATON

Bruno des Baumettes à écrit : ''Damien garde encore quelques vestiges sur le visage de son dernier passage au mitard. Il se plaint d'avoir été molesté par les matons. Vrai ou faux ? qui peut le dire. Bon, sûrement, il le méritait aussi un peu. Ce n'est pas un ange ce garçon..." (Chapitre 3 - l'âme des poètes)

Chut ! on tabasse, silence ! on boit...

Au début de ma carrière, en 1984, j’ai assisté à des tabassages de détenus et cela m’a beaucoup gêné.

Qu’un surveillant donne une baffe suite à un comportement indélicat, ou bien une insulte, cela peut se comprendre. Mais que cinq ou six gardiens en profitent pour venir donner des coups de pieds sur un détenu déjà à terre cela m’a toujours écœuré.

Encore aujourd'hui je reste dégoûté de la lâcheté des comportements de mes collègues qui frappent des types sans défense.

De tels comportements ne sont malheureusement pas rares. J'en ai vu aussi bien à Fleury-Mérogis qu'aux Baumettes. C'est là d’ailleurs où j’ai connu le pire. C'était dans les années 1990. Je venais d’être nommé premier surveillant, c’est le grade au-dessus de surveillant ou on nous confie beaucoup de responsabilités.

Le baptême du feu – bizutage aux Baumettes

Ça faisait trois ans que j’étais au Baumettes avec le grade de simple surveillant. Puis j’ai passé l’examen de brigadier que j’ai réussi, j’ai été alors muté sur place. Pour mon baptême, en tant que brigadier j'ai eu droit à tabasser un pointeur.

C'était le jour de ma nomination. Nous avions eu l'arrivée d'un pointeur, c’était écrit, avec tous les détails sur le mandat de dépôt. Mes deux collègues brigadiers, des anciens, m’ont demandé de le tabasser. J’étais le petit nouveau dans le grade, c'était une sorte de bizutage pour faire partie du clan des gradés. Je ne sais pas s'ils l’on proposé à d’autres. Mais dans ces temps là, pour les surveillants frapper un détenu, faisait partie de leur quotidien : tabasser et aussi boire, boire de l’alcool.

Le pauvre type bien sûr, je ne le connaissais pas. Cela c’est passé dans le local de fouille en présence de deux collègues, complètement imbibés d'alcool, en présence aussi d'une dizaine de surveillant dans le même état et ils m’ont demandé de le tabasser.

Bien sûr, je ne pouvais reculer. J'ai levé la main sur le type, pour faire comme ils me le disaient. J'ai pensé que ça s'arrêterait là, mais c'est alors qu'ils se sont précipités et qu'ils lui ont fait subir un tabassage en règle.

Le pauvre homme s’est pissé dessus – littéralement : pissé dessus. Ils se sont acharnés, alors qu'il tentait de résister, ils l'ont déshabillé de force, et puis ils l’ont obligé à ramper, à 'essuyer' le sol, et même, si je m'en souviens, à lécher son urine pour l’humilier davantage.

Bien sûr que je fus extrêmement choqué. Et pourtant, jamais je n’ai pas trouvé le courage de dénoncer ces actes ni alerter ma hiérarchie. J'en parle aujourd'hui seulement, des années après.

À ta santé, l'Indien !

Nous gardions 'l’Indien'. C'était son surnom. Un gars qui avait été mis en examen pour meurtre avec barbarie et viol d’une fillette. J'ai vu le gradé en poste pisser dans sa gamelle et ensuite craché dedans en dehors de la vue du détenu, ensuite, dans sa cellule, il l’a forcé à manger toute son assiette. Quelques années après, j'ai appris que ce bonhomme n'était en rien coupable des crimes dont on l'accusait...

J’ai aussi connu un gradé qu'on surnommait le « Mexicain » à cause de ses moustaches. Chaque fois, il venait travailler complètement ivre. Il parlait mal, je ne me souviens plus toutes les insultes qu'il sortait. Si le voyou se rebellait alors là les coups pleuvaient et cela oui : je m’en souviens. Si l'un d'entre eux s'enhardissait à lui répondre, il lui tapait dessus à tout rompre. Je me souviens l'avoir vu prendre un détenu par la tignasse et le traîner jusqu'au quartier disciplinaire.

Une fois, il a laissé un autre détenu tout nu au quartier disciplinaire - le cachot -, sans même un lui laisser un matelas : le type a dû dormir à même le sol bétonné. La nuit, comme il était de service, il allait jusqu'à le harceler, en l'insultant et en venant le réveiller tout au long de la nuit. Il ne lui a rendu ses habits et donner un matelas qu’à la fin de son service, au petit matin, en prétextant qu'il l'avait privé de ses vêtements pour garantir toute tentative de suicide. Jamais il n'aurait pourtant prévenu le service médical...

Je sais que l’alcool et la cigarette aident à rester éveillé pendant la nuit, encore il ne faut en abuser : surtout de l’alcool. J’ai connu un autre surveillant, on l’appelait 'Pendule', il devait faire la relève au mirador 3. Il n’y est jamais arrivé, le pauvre ! il s’est endormi ivre en chemin, entre les miradors.

Des baffes qui se perdent

J’ai toujours regretté, la disproportion de la réponse des surveillants face aux invectives des détenus. Bien entendu, dans le temps, il m’est arrivé à moi aussi de lever la main ou de bousculer un prisonnier qui m’avaient manqué de respect ou bien qui m'avait insulté. Mais je ne faisais pas de rapport d’incident qui auraient pu lui supprimer des remises de peine. Cela restait entre nous.

Il m'est même arrivé, une fois de croiser dans la rue un détenu que j'avais ainsi un jour en prison corrigé. Nous nous sommes reconnus, nous nous sommes salués et nous avons parlé ensemble. Nous avons parlé de façon amicale, un peu comme deux anciens combattants qui se reconnaissent et qui se respectent. Nous avons évoqué la prison.

Mais ça, c’était avant...

De nos jours, pour un soufflet, une petites paires de gifles de rien du tout, de la part du détenu ou du surveillant c’est tout de suite : direction le Tribunal correctionnel. Avant, nous réglions les choses 'à l'amiable'. Nous sommes ainsi passés d'une époque où les tabassages étaient de coutume à maintenant où on risque de se retrouver sur le banc des condamnés seulement parce qu'on pourrait avoir eu l'intention, seulement l'intention de donner une baffe en passant.

Je vous jure : dans quel monde vivons-nous ?

03 - PAROLES DE MATON

Bruno des Baumettes a écrit :

"Je reste immobile et tout interdit devant – ou plutôt – derrière la porte de ma cellule qui restera irrémédiablement fermée..."

(Chapitre 1 - tout se détraque un peu)

Un pas au-delà des murs.

Alors que j’étais chef de poste, un jour, par accident, je me suis retrouvé enfermé dix minutes dans une cellule. Enfermé... par erreur !

Ce jour-là, je veux fouiller une cellule. Cela m’arrive souvent. C'est une cellule située au rez-de-chaussée du bâtiment B, non loin de mon bureau. Le rez-de-chaussée compte beaucoup de travailleurs – les auxis. En général, ils sont susceptibles d'avoir dans leur cellule des choses interdites. Par exemple, ils peuvent détenir des courriers de détenus qu’ils transmettent entre les bâtiments. La possibilité de pourvoir aller et venir dans tous les bâtiments peut être pour eux source d'un trafic lucratif.

En règle générale, je profite des moments où ils distribuent les cantines (l'épicerie de la prison) pour faire ces fouilles et vérifier s’il n’y a rien de prohibé.

Ce jour-là j'ai choisi la cellule de XX. J'entre, je suis seul. Je commence ma fouille...

Erreur fatale...

J'ai oublié de sortir le pêne, c'est-à-dire la gâche qui sert à verrouiller les portes. Les portes disposent d'un gros système de barres de fermeture extérieure (voir photo). Nous les mettons le soir en plus du tour de clé. Deux précautions valent mieux qu'une : ainsi la porte résiste mieux aux coups que peuvent donner les détenus.

Suivant les circonstances, mouvements de protestation ou mécontentement, les détenus tapent comme des sourds sur les portes de bois - qui sont renforcées de feuilles d’acier -, la serrure seule ne résisterait pas, c’est pourquoi, la nuit surtout, il est indispensable de mettre ces deux barres.

Je ne sais pas qui m’a enfermé vu que j’étais à l’intérieur, un surveillant ? un détenu ? Qui sait ? Ce que je sais c'est que j'entends la porte se refermer derrière moi. La porte avec les barres de fermeture. Et moi dedans...

Un sentiment d'enfermement alors m'envahit. Me voilà bien coincé entre la porte, la fenêtre et les barreaux. Même en frappant, la porte ne bouge pas d'un poil. Personne ne vient. Je commence sérieusement à paniquer. Je sens la sueur froide qui me coule dans mon dos.

J’appelle sur mon appareil radio [talkie-walkie] que nous portons heureusement toujours sur nous. Je demande qu'on vienne ouvrir la cellule (sans dire à mes collègues que je m'y trouve enfermé.) J'ai peur de paraître ridicule. Je ne peux pas dire sur ma radio portative : « Je voudrais sortir, je suis le chef de poste, j’ai oublié de sortir le pêne, sortez-moi de là ! »

***

J’ai vraiment ressenti à ce moment-là l’expérience de l’enfermement. Je repense à tous les otages français détenus quelque part dans le monde. J'ai le sentiment d’être pris en otage. On peut taper, taper... La porte ne bouge pas, rien ne s’ouvre, rien ne bouge. Nous sommes impuissants et nous devenons claustrophobes.

Oui, je dis impuissant, car toute personne qui se trouve derrière une porte, un mur, est comme pris en otage. On se trouve désemparé : la porte devient quelque chose de terrible. L’angoisse devient morbide.

Comment, peut-on concevoir que pendant vingt ans ou plus, on puisse rester enfermé dans une pièce de trois mètres sur trois ? Comment penser que nous n’ouvrirons jamais soi-même cette porte, et que seulement un type en bleu l’ouvrira ? C'est à devenir fou. Je sais que physiquement c’est supportable, mais moralement, c'est terrible.

***

Au bout de dix minutes, on vient m'ouvrir. Je sors enfin de cette cellule. Mon pas est hésitant encore. Je marche. Je peux faire vingt, trente pas sans qu'aucun mur ne m’arrête. J’ai pu faire un pas au-delà des murs.

Le maton en prison... (dans l'histoire c'est un gendarme mais c'est tout comme !)

03 - PAROLES DE MATON

Bruno des Baumettes a écrit :

"S'il m'arrive quelque chose, rien ne me sauvera. Pas un seul gardien à l'horizon, juste deux miradors lointains aux vitres noircies qui assistent placidement à la scène."

(Chapitre 1 - presque ressuscité !)

Plus de promenade pour les matons

Depuis quelques années, il n’y a plus d’agents aux promenades aux Baumettes. Quelle connerie !

Lorsque j’ai commencé à travailler à Fleury-Mérogis, les anciens m’ont dit « Tu sais cette prison moderne, avant elle fonctionnait sans agents. Il n’y avait pas des surveillants dans les étages »

A Fleury, les bâtiments sont en étoile, à trois branches, chaque branche est une aile de détention. Au centre un poste de commande circulaire à chaque étage, qui permet à l’agent de contrôler tous les mouvements, d'ouvrir, de fermer les portes et de répondre aux questions des détenus. Dans les premières années cela fonctionnait comme cela. Il a fallu que l'on constate plusieurs suicides de détenus pour que l'Administration mette des agents. Les suicides alors ont cessé.

Les promenades sont le lieu de tous dangers et de tous les trafics

Ils suppriment les surveillants de promenades aux Baumettes, Les promenades sont pourtant le lieu de tous les dangers pour certains détenus. Souvent cet endroit est le centre de tous les trafics à l’intérieur de la prison. Les caïds se servent de petites mains pour faire leurs sales besognes, ils prennent les plus fragiles pour aller chercher les paquets dans la cour de promenade.

Ces colis peuvent provenir d'une cellule située dans l'un des étages, lorsqu’une fouille est décidée. Cela s’entend lorsque les portes s’ouvrent brusquement. Les détenus qui ont des 'colis' illicites dans leur cellule les jettent vite, dans la cour de promenade, d’autres les ramassent. C’est en général du schit, de la coke, et souvent des téléphones portables.

Il devient de plus en plus courant que cela viennent de l’extérieur. Aux Baumettes souvent on en voit qui grimpent sur la colline. Avec une sorte de fronde, ils peuvent lancer des paquets bien enveloppés contenant alcool des drogues voire des armes. Ils connaissent les horaires des promenades pour lancer les colis au bon moment.

A l’intérieur certains détenus vont alors provoquer une fausse bagarre afin de détourner l’attention du gardien. Voilà, le tour est joué. Par contre, si le surveillant remarque ce mouvement suspect, c’est le pauvre bougre qui est allé chercher les colis qui se fait prendre, bien que souvent ce ne soit pas lui le véritable destinataire du paquet.

Intervenir avant qu'une bagarre dégénère

Aux Baumettes, je suis plusieurs fois rentré dans une cour de promenade lors de bagarres. Je suis allé accompagné de trois ou quatre agents, pendant que du haut d'un mirador on nous surveillait. J’ai donné l’ordre aux agents de me suivre et de me protéger. Si la bagarre est légère, je parle détenus, je les sépare en les menaçant des les envoyer au « trou ». En général, tout rentre dans l’ordre.

Lorsque j’ai eu affaire à des rixes plus graves, avec un détenu à terre ou blessé et saignant. J’envoie le détenu à l’infirmerie et l’agresseur au cachot, en prévention. Lorsque je suis intervenu, j’ai toujours fait en sorte de ne pas aggraver le conflit, ni de me mettre les autres détenus à dos. Je ne suis jamais arrivé trop tard. Les agents de surveillance de promenades m’ont toujours averti lorsqu’ils voyaient un conflit entre détenus dégénérer ou si l'un d'entre-eux faisait un malaise.

Il est préférable dans notre métier de rendre compte à la hiérarchie pour des problèmes résolus que pour des décès ou incident grave auquel nous n’aurions pas fait face. Je ne peux pas vous donner des précisions sur l’heure et les jours ou j’ai vécu ces situations mais je les ai vécus, ce n’est pas avec les caméras que nous arrivons à ce résultat.

Notre présence en cour de promenade ou ailleurs, c’est comme le verre d’eau des pompiers qui éteint l’incendie. Si nous ne faisons confiance qu’aux cameras nous intervenons trop tard, dix ou quinze minute après le début de l’incident les conséquences peuvent être irréversibles.

En vingt-cinq ans je n'ai jamais eu de problèmes

Il est essentiel d’avoir un agent sur la passerelle surplombant les promenades et un en bas pour ouvrir pendant les mouvements. L’un protégeant l’autre et assurant une bonne surveillance. L’excuse de préserver les agents, c’est un faux prétexte. Nous ne risquons rien si nous prenons un minimum de précaution, en vingt-cinq ans d’exercice je n’ai jamais eu de problèmes.

Il m’est arrivé de rentrer seul dans une cour alors que les détenus refusaient de remonter de promenade pour une protestation, cela pouvait aller des cantines qui n’arrivaient pas assez vite aux parloirs trop court et autres soucis de leur vie quotidienne.

Ainsi, à la prison du Pontet près d'Avignon, les détenus ont refusé de remonter de promenade. J’ai prévenu les agents des miradors, et ceux d’étages de me surveiller de l’intérieur du bâtiment, prêt à donner l’alarme si je me faisais agresser. J’avais mis en place ce dispositif par précaution. Je savais qu’en rentrant seul dans la cour de promenade, avec la volonté de dialoguer avec eux, je ne serais pas agressé.

Lorsque je suis rentré, j’ai demandé à ceux qui voulaient remonter de suite qu’ils le fassent. Il en est rentré les deux tiers. Avec le dernier tiers j’ai discuté. J'ai pris note de toutes les protestations ou demandes, le promettant que j'en ferai part à ma hiérarchie. J'ai tenté de les convaincre que cette situation de blocage de cour ne pouvait pas durer et qu’il serait raisonnable qu’ils remontent.

Ils ont rouscaillé mais, en fin de compte, ils sont remontés.

Dans une telle situation, appeler les casqués aurait été une connerie et irait à l'encontre de leurs réclamations. Beaucoup de mes collègues auraient prévenu le Directeur, qui aurait appelé le préfet celui-ci aurait fait venir les forces de l'ordre pour arriver au résultat que j’ai obtenu sans violence ni besoin d’une autorité supérieure. La hiérarchie se serait montrée alors encore plus sévère, ne voulant en aucun cas céder à une épreuve de force.

J’ai rendu compte aux autorités et comme cela s’était bien résolu. La hiérarchie a fait en sorte d’assouplir certaines contraintes, comme d'organiser une distribution des cantines plus rigoureuse, et plus d’attention aux demandes des détenus concernant les parloirs.

La vidéo ne remplacera jamais l'humain

La vidéo ne remplacera jamais l’humain. En prison comme dans les stades c’est l’humain l’arbitre et pas les caméras.

La prison est un univers inhumain ou seuls les humains arrivent à survivre. Le contact est essentiel. Car c’est l’essence même de la vie. Enfermez quelqu’un seul sans contact humain, il perdra tout sens de son existence, il deviendra, sourd, muet, aveugle et fou. Mettez le avec un gardien, il restera humain pourra lui parler mille petites choses qui le feront rester en vie...

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Une fouille de cellule (Prisons, l'impossible réforme de Bernard Georges. © DR)

 

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03 - PAROLES DE MATON

Bruno des Baumettes a écrit : ''les 'yoyos' servent à transporter, de cellule en cellule, par les fenêtres, tout ce qu'on n'a pas et qu'on voudrait avoir, ou bien à faire passer tout ce qu'on a et qu'on est prêt à donner, à prêter, à échanger ou à vendre...'' (Chap. 1 - Toto et Yoyo sont aux Baumettes)

Licite ou illicite ?

La prison des Baumettes comme les autres, est un lieu qui fournit de tout, on a tout, mais le détenu manque de tout. Contradictoire ? Pas vraiment...

Des échanges qui sont licites en manière de réglementation, parfois deviennent illicites : des hommes de paille cachent et favorisent le trafic d’autres détenus. En prison, l’argent en principe ne circule pas, la prison devient alors le lieu de tous les trocs et les trafics.

Les coursives deviennent des allées commerciales

Les coursives deviennent des allées commerciales où tout se troque, particulièrement au moment des repas. Les chariots qui distribuent les repas transportent les marchandises : le futile et l’inutile. Surveillant, j’ai toujours refusé de faire passer les gros objets, comme des postes de radio par exemple, dedans les détenus pouvant y cacher des objets ou produits interdits. (Sauf si j’avais une information comme quoi le poste pouvait contenir des produits interdits. J'autorisais leur sortie puis je les confisquais et les faisais démonter par les services compétents - après le rendait au détenus...)

Les détenus qui n'ont pas d’argent et qui sont considérés comme nécessiteux, ont dans leur cellule parfois pour plusieurs centaines d’euros de matériel ou d'aliments. Ces produits leur viennent d’autres détenus – mais contre quoi en échange ? En m’y intéressant de plus près je me suis aperçu que les détenus qui fournissent aux soit disant 'nécessiteux' ont souvent leur compte nominatif alimenté chaque mois mais leur cellule vide ! En réalité, les cantines ne font que transiter par eux.

Militant ou trafiquant ?

Je me souviens au Pontet qu’un détenu n’avait rien sur son compte. C’était un militant islamiste extrémiste tête rasée, barbe et port de djellaba dans la cellule, il a même essayé de sortir habillé de cette manière en promenade, ce que j’ai refusé fermement. La prison est et une enceinte laïc, nous tolérons une telle tenue seulement dans la cellule et c’est déjà bien ! en d’autre temps il aurait dû porter le droguet : l'uniforme des anciens taulards...

Dans sa cellule on a trouvé pour plus de cinq mille euros de matériel : une dizaine de paires de baskets Nike haut-de-gamme, des peignoirs de bain de marque prestigieuse, un ordinateur, un poste lecteur CD dernier modèle, etc...Je me suis intéressé de prêt au coran que j’ai pris le temps de lire. Les sourates disent qu’il faut être humble, se détacher des choses matérielles, suivre la voie du Prophète, qui est la seule richesse. Avec son allure de pauvre pénitent : dix mille balles de matos, je n’en revenais pas.

De mon point de vue, une fondamentaliste devrait vivre comme un ascète, pas dans le luxe. J’ai été lire au greffe son dossier pénal et sa situation. Je me suis aperçu que dehors, il était un important leader : un extrémiste. Dans la prison, comme il devait le faire dans sa vie en-dehors, il faisait pression sur d'autres détenus partageant ses idées et sur leur famille pour qu'ils lui fournissent tout ce dont il avait besoin, soit en échange de sa protection, ou bien que les détenus qui cantinaient pour lui le faisaient par dévouement et admiration.

Le pouvoir des caïds

En prison, bien qu'on ne puisse l'exprimer ouvertement, nous ressentons le pouvoir des caïds : ceux de l’extérieur comme ceux de l’intérieur. En promenade, il y a toujours deux ou trois énormes gaillards qui les entourent, un peu comme des gardes du corps.

S'il y a un incident ou une bagarre dans la cour de promenade en leur présence, le caïd n'y participe pas : il ne se salit pas les mains, il laisse faire ces basses besognes par ses compagnons dévoués. De même, le bonhomme s’ arrange pour mettre ses produits illicites dans les cellules de ses fidèles, comme cela, il n'est jamais inquiété.

J’ai pu remarquer que le microcosme extérieur, se reproduisait à l’intérieur. Le microcosme, ces minis sociétés ou les pauvres reste avec les pauvres, les riches avec les riches. En prison, on se mélange très peu. Nous n’avons pas vu le PDG de **, devenir l'ami d’un ouvrier de confection, comme nous ne voyons pas les caïds mafieux devenir les amis des dealers de cités.

Les plus forts asservissent les plus faibles, honnêtement ou malhonnêtement. A l’intérieur on a toujours ou presque un leader et plein de petites mains autour qui fournissent de tout et des riens et quelques amis aux gros bras, pour le protéger le caïd ou corriger ceux qui ne suivent pas ses règles.

Le racket existe à l’intérieur comme à l’extérieur !

Nous, les surveillants, nous ne pouvons rien contre tout cela. Tant que nous n’avons pas de flagrant délit, que nous ne prenons pas sur le fait celui qui manipule les autres et leur font commettre des actes délictueux à sa place. Comme à l’extérieur, c’est toujours le lampiste qui sert de fusible.

Si dans une cellule nous trouvons de la drogue ou autre, c’est toujours dans celle du lampiste qui par dévouement ou par pression a accepté de garder les produits du caïd. J’ai toujours trouvé des substances ou objets illicites dans les cellules situées à proximité de celles des caïds. En 25 ans de métier si je n’ai jamais rein trouvé chez les 'gros bonnets' : ce n’est pas une coïncidence. Ils n'ont rien mais ont tout à disposition. En prison, pour cela ça se passe comme à l’extérieur.

Que ce soit des terroristes ou les chefs de bande que j’ai côtoyés, que ce soient Francis Le Belge, Sulak, Vaujours, Abdallah ou bien le Chinois, je n’ai jamais rien trouvé dans leur cellule, cela n’a pas empêché deux d’entre eux d'avoir le matériel pour se faire la belle...

Des yoyos par centaines

Sur les façades des prisons, vous verrez courir les yoyos, ces lanières de drap avec un sac au bout. Si nous refusons par exemple de leur faire passer du café de la cellule voisine, les détenus ont tôt fait de prendre leurs yoyos et le font passer par l’extérieur, par les fenêtres. De cellule en cellule, ils arrivent ainsi à faire passer des produits d'un bout à l'autre des bâtiments, et parfois même entre les bâtiments !

Des yoyos, j’en ai confisqués des centaines, mais ils n’arrêtent pas d’en refaire. Nous essayons bien de les sanctionner en leur faisant payer les draps déchirés, mais rien n’y fait. Nous mettons des filets, des barbelés, rien n’y fait, ils ont toujours une astuce d’avance sur nous. La seule solution serait bien de murer les fenêtres, mais là c'est pas possible !

Commercer pour exister

Ce qu’ils veulent, en essayant d’avoir de tout comme de rien, c’est de vouloir exister. Exister malgré tout : leurs cris déchirants le soir, c’est vouloir exister, leurs tentatives de suicide c’est aussi vouloir exister.

Les biens qu’ils ont – ces 'riens'-, deviennent l’essence même de leur vie dans leur cellule de neuf mètres carrés. Derrière une fenêtre cernée de barreaux et une porte fermée, ces petites choses sont comme le sang qui coule dans leurs veines. En prison, les quelques biens matériels que possèdent les détenus deviennent précieux pour eux. Au-delà de l’échange matériel, au-delà de la survie, l’important pour l'être humain est d’exister, même en prison !

Et pour cela, qu'on le veuille ou non, les échanges, licites ou illicites, sont nécessaires pour survivre en prison.

03 - PAROLES DE MATON

Bruno des Baumettes a écrit : "Même avec les gardiens, on s'arrange. Même avec le Chef et tous les Responsables du bâtiment..." (Chapitre 4 - les écailles du Léviathan)

Entre règlement et arrangements

Dans toute loi ou tout règlement il y a toujours un vide juridique où aucune jurisprudence nous dit que devoir faire. Les matons – comme d'ailleurs les détenus -, nous nous y engouffrons, ne serait-ce que pour rendre plus vivable l'univers hostile de la prison. C'est ce que j'ai fait durant toute ma carrière sans me compromettre.

Il y avait alors au 4eme nord du bâtiment A un certain Jacky-Génial, un proxénète de métier, un caïd du milieu marseillais. Il faisait la pluie et le beau temps à cet étage. M'en étant aperçu, j’ai établi des rapports cordiaux avec lui. Il m'est même arrivé d’aller boire le café ou fumer une cigarette dans sa cellule. Nous parlions de la pluie et du beau temps.

Une fois, je me souviens qu'il m'a même proposé les services sexuels d’une de ses hôtesses, ce que j’ai bien entendu refusé. C’était-là une ligne à ne pas franchir. Par contre, les douches en plus, les services rapides au chef ou à l’infirmerie, les cantines qui arrive rapidement, je lui toujours accordé en échange où il m'assurait la tranquillité d'un étage logeant 150 détenus.

Quand l'excès de zèle mène à une impasse

D'autres collègues, plus zélés lui ont refusé tous ces 'petits avantages'. A chaque porte ou presque, il y avait des incidents, il ne se passait pas pour eux dix minutes sans un accroc, leur vacation devenait un enfer. Le pouvoir de ce caïd étendait son emprise sur l’étage voire même plus : sur le bâtiment entier. Pour nous, par contre, les surveillants qui avions un comportement correct avec lui, tout se passait bien.

Tout au long de ma carrière, j’ai marché sur ce fil tenu, cette frontière entre règlement et arrangement sans être précipité dans le vide. J'ai distribué ainsi aux arrivants déprimés du Lexomil en prenant soin de leur demander si ça ne leur été pas contre indiqué.

La note de service 'Alain H'

Au Pontet j’ai même réussi à faire rédiger au directeur une note de service pour un accroc au règlement que je faisais quand j'étais face à un détenu malade ou souffrant. Si sa douleur était forte, je téléphonais au SAMU où j’expliquais au médecin le mal dont il souffrait. Les trois-quart du temps le SAMU venait et une partie de l’équipe de nuit partait en escortant le malade.

Une fois, comme je trouvait fastidieux de faire l’intermédiaire, j'ai passé directement le téléphone au détenu qui a pu s'expliquer avec le médecin régulateur du SAMU. A la fin de la consultation téléphonique, je repris l’appareil et le docteur m'a dit ce qu’il fallait faire et que je devais préparer une escorte pour l’hôpital où transférer le détenu.

Une autre fois, il m’est arrive sur les conseils du médecin d’aller chercher des médicaments à l’infirmerie, et les donner au malade - ce qui est interdit. Bien sûr, je le notais pour les infirmières, et sur la main courante des gradés postés pour le lendemain. Cela a évité des déplacements inutiles au SAMU, aux pompiers, aux policiers et un affaiblissement de mon équipe de nuit. Grâce à cette initiative le détenu se trouvait soulagé.

Quelque temps plus tard nous avons eu une note de service qui demandait aux collègues de faire comme moi lors des services de nuit. J’ai appelé avec humour 'la note du Major Alain H.'...

Entraver des détenus : même les chiens sont mieux considérés !

Lors de conduites de détenus à l’hôpital, il nous faut leur mettre des entraves. Lorsque je voyais que l’état de santé du détenu était , qu’il n’était plus tout jeune et que la fiche pénale m’indiquait que ce n’était pas un détenu à risque, je ne leur mettais pas les entraves. C’est dégradant de marcher dans les couloirs de l’hôpital, à la vue de tout le monde, avec des entraves aux pieds des menottes avec une laisse qui est tenue par le surveillant, même les chiens sont mieux considérés. Eux ils n’ont pas d’entraves !!!

Cela engageait ma responsabilité et je l’ai toujours assumée. En tant que major, lorsque j’amenais les détenus, je n’avais qu’un sifflet pour me défendre et c'est tout. Entraver un détenu est dégradant mais comment faire ? L’Administration pénitentiaire ne nous donne pas d’autre moyen. Imaginez un balèze sans entrave : il nous bouscule et il s’évade et on ne peut rien faire. Combien de détenus avec les menottes est une escorte de policiers autour d’eux se sont évadé en courant en sortant d'un véhicule de police...

S'arranger permet une détention plus calme

Au moment de la distribution des repas – de la gamelle - nous passons, tabac, livres ou revues, ou bien de la nourriture préparée par d’autres détenus. Le règlement l’interdit, dans la pratique c’est toléré et c’est plus joli que des yoyos passant de fenêtre en fenêtre. Bien entendu, toutes ces petites transactions sont vérifiées pour voir s’il n’y a rien d’illicite. Je soupçonne certains surveillants d’avoir fait du zèle et verifier des magazines pour adulte, moi par exemple.

S'arranger avec le règlement permet une détention plus calme et d'obtenir la confiance des détenus. Je pense même que ce que nous faisons, ne sont pas des arrangements mais des services que nous devons aux détenus.

Le code de procédure pénale dit bien que la prison est une peine privative de liberté. Il n'interdit pas directement les services entre détenus, peut-être que la Cour européenne des Droits de l’homme devrait s’intéresser à ce sujet.

Les détenus ont des besoins qu'au nom du Règlement on ne leur permet pas de satisfaire ou bien on les fait attendre. Souvent les exigences de ce sacro-saint règlement ne sont pas compatibles avec la vie en détention.

Entre arrangements et infraction : une ligne à ne pas dépasser

Nous travaillons avec des hommes, qui ne sont pas des mécaniques. Il y a des directives. Nous les respectons bien entendu mais ensuite nous nous adaptons sans pour autant nous mettre hors la loi. Cette marge de manœuvre est indispensable entre le règlement et l'arrangement. Pourtant, le risque est alors de dépasser la ligne blanche, de passer du côté délictueux, de devenir ripou. En voici un exemple.

« El Bandido » était le surnom d'un détenu qui logeait en Quartier d’isolement (QI) des Baumettes. Un jour de que j’étais de service je suis rentré dans sa cellule, il m’a dit : « Tu me rentres un flingue et je te donne un million de dollars, si tu me balances, à genou je te mets une balle dans la tête ». J’ai été vérifié s’il avait de l’argent sur son compte. Il venait de recevoir un énorme héritage d’Argentine.

Donc cela semblait plausible. J’ai de suite fait un rapport d’incident et avec le gradé nous l’avons transféré au quartier disciplinaire. Il se débattait, les yeux furieux il m’a lancé « Lorsque je te revoie je t’explose la tête, pas de pitié ! ». Il a eu 45 jours de cachot. Plus tard il fait une autre tentative d’évasion où il reçut une balle dans la colonne vertébrale.

Le jour ou il sortira, il faudra qu'il pense à mettre de l’huile aux roues de son fauteuil…

03 - PAROLES DE MATON

Bruno des Baumettes a écrit : " Nous, les pointeurs, nous qui sommes en bas de toute cette hiérarchie, dans cette multitude, dans cette merde humaine rassemblée-là, nous sommes la sous-merde qui devons nous soumettre et courber bien bas l'échine. Pour beaucoup, geôliers et détenus, nous valons moins que la fange du grand passage...''

(Chapitre 4 - les écailles du Léviathan)

Un maton parle des pointeurs

Il n'y a pas de crimes ou de délits plus nobles que d'autres, y en a-t-il de plus infâmes ?

Je suis père, grand-père, alors 'pointeur', crimes ou délits de mœurs ça ne va pas ensemble. Tout délit ou crime à tendance sexuelle, sont mis au ban de la société et c’est bien… mais après ? On les tue ou on les laisse vivre ? Personnellement si on touche à un cheveu de mes enfants ou petits-enfants, je tuerais la personne.

La personne qui rentre aux Baumettes pour mœurs sait que ces délits sont mal perçus en prison. Il nous renvoie à notre intime : nous, notre corps dans ses recoins les plus secrets. Ils savent ce que les surveillants ou les autres détenus pensent : 'il faut les tuer ou les faire souffrir'.

Pourtant, en tant que professionnels, nous nous devons d’être neutres. Il faut protéger ces détenus des autres et d’eux-mêmes, en les mettant dans un quartier à part (le Deuxième nord). Nul n’a besoin d’être prophète pour savoir que les crimes ou délits de mœurs sont mal vu, même si la dénomination dans son contenu est vide.

Un prévenu pour mœurs (voire même un condamné!) peut être innocent : le doute doit lui profiter. Il n’y a qu’à regarder la tragédie d’Outrau ou des innocents ont été trainés dans la boue, salis à jamais. Il faut nous garder de jugements hâtifs. Quand les faits de cette nature sont prouvés, nous les hommes avons le droit de gueuler après les horreurs commises par ces gens-là, mais une fois la tenue bleue enfilée, l'uniforme endossé, notre devoir et de laisser au vestiaire toutes nos velléités.

J'ai transféré un jour un détenu de la Maison d'arrêt d'Avignon à celle d'Aix-en-Provence. Pendant le trajet, j'avais entre les mains le dossier pénal complet que je devais remettre au greffe qui réceptionnerait le détenu. Je l'ai lu : il y avait tout. Les films d’horreurs n’ont jamais pu imaginer de telles scènes, la réalité dépassait les fictions les plus sordides. Au bout de quatre pages, j’ai arrêté de lire, j’avais la nausée, c’était au-delà du soutenable. Je me souviens de ce trajet comme un voyage au bout de l’enfer, un voyage au bout de la nuit (L.F. Céline).

Depuis lors, je me suis toujours contenté de l’intitulé du motif, sans chercher plus loin et faire ma mission en restant le plus neutre possible. Nous devrions, en tant que personnel de surveillance, n’avoir aucun jugement sur ces personnes. Si nous avons une opinion, nous devons la mettre dans notre poche. J’ai toujours évité d’avoir le dossier pénal d’un détenu entre les mains pour faire mon travail avec sérénité.

Nous avons accès au dossier pénaux suivant nos habilitations. Le surveillant n’aura rien ou presque comme renseignements, le brigadier en saura plus : il vérifie les pièces lors de la mise sous écrous. Le Directeur de la Maison d'arrêt, lui sait tout. En général, l'affaire pénale du détenu reste relativement discrète.

Je dois bien l'avouer aujourd'hui : je me suis toujours senti mal à l’aise avec les ''pointeurs''. Avec leur gueule de premier de la classe, de dirigeant d’entreprise, de notables, de papa ou de papy gâteau. Ils ont souvent une voix douce une intelligence développée. Là, je ne parle pas des brutes

Face à tant de douceur, il m'est arrivé d'aller lire le dossier pénal au Greffe et d'y découvrir leurs actes, souvent horribles. Il y a du Mister Hyde et de Docteur Jekyll chez ces types-là !

Alors, bien que l'homme que je suis reste dubitatif devant cette catégorie de détenus, le maton lui, se doit de toujours rester neutre.

03 - PAROLES DE MATON

Bruno des Baumettes à écrit :

"Les cellules sont plongées dans le noir, vaguement éclairées par les projecteurs des cours. On peut mourir ici, la nuit, en toute quiétude..." (Chapitre 3 - La visiteuse des prisons)

Service de nuit

La nuit tout le monde dort... pas en prison. La nuit dans les prisons commence le combat des ombres entre les victimes et ceux qui sont détenus. La nuit, nous sommes de service pour veiller, pour surveiller. La nuit, les détenus gueulent pour exister...

Un prisonnier qui a pris vingt ans de taule restera enfermé dix ans dans 9 mètres-carrés. Dans toutes les prisons de France, la nuit les portes resteront fermées de 19 heures à 7 heures du matin. Pas moyen pour un détenu d'aller prendre l'air, de sortir faire un tour, même s'ils se sent mal ou oppressé.

Crier pour pouvoir extérioriser ses angoisses

La nuit, la porte de sa cellule restera fermée, avec, comme tout horizon une fenêtre avec des gros barreaux et quelque fois bardée des grilles. Pas moyen d'aller voir un codétenu, dans la cellule d'en face ou d'à côté pour discuter et faire passer ses angoisses nocturnes, pas moyen de lui téléphoner !

C’est une des raisons qui fait que toutes les prisons de France et de Navarre sont bruyantes. Il y a des discussions gueulées par les fenêtres au travers des murs épais et des barreaux. Des chaises frappées contre les portes en bois recouvertes de tôles pour appeler le personnel ou dire qu'on se sent mal. Ou bien seulement des hurlements poussés pour exister.

Le soir le détenu reste seul, confronté à lui-même. Alors dans son esprit reviennent, ses crimes, ses accusations ou son innocence. Il ne peut en parler à personne.

Dormir à deux... ou à trois

Souvent les détenus partagent leur cellule. Ils peuvent être doublés ou triplés. Privés de relations sexuelles, la nuit c'est le moment aussi où certains détenus violent leurs codétenus, en pensant qu’ils baisent la pin-up affichée au mur. Ceux-là se sentent fort, car ils menacent leurs victimes des pires tortures ou de la mort s’ils parlent aux autorités ou à leurs proches.

Ils sont malins, car malgré nos chaussures de tennis que nous mettons le soir pour nous déplacer plus en silence, les bruits de portes nous trahissent et le temps d'arriver à leur porte et de mater dans l’œilleton, ils cessent leurs coupables entreprises tout en tenant en respect leur victime.

La nuit ne rentre pas qui veut

Le problème, c’est que le service de nuit, ce ne sont que dix agents et un brigadier qui détient toutes les clefs de l’établissement. Une poignée de surveillants pour 600 à 700 détenus. La nuit, j’enferme toutes les clefs en lieu sûr, je suis alors le seul possesseur de toutes les clefs, le seul à pouvoir faire ouvrirn les portes, depuis la porte d’entrée de la prison jusqu'à la porte de la dernière cellule du fond, celle tout au bout de la coursive. Le nuit, sur ces dix agents, j’en ai cinq à différents postes : pour les rondes, le mirador et la porte. Je ne dispose plus que de cinq agents pour éventuellement intervenir...

Même le directeur ne peut pas rentrer sans mon autorisation, il est obligé de me prévenir avant. Sa famille pourrait être prise en otage et il pourrait venir pour faire libérer, en échange un détenu. S'il y a un arrivant, de nuit, c'est mois qui suis chargé d'aller au greffe pour l'accueillir et le conduire dans son quartier.

Plusieurs fois, le rondier est venu me prévenir qu’un détenu s'est tailladé les veines alors que j’étais au greffe. Bien sûr, alors me faut un certain temps : je dois d'abord mettre l'arrivant en sûreté et puis fermer le greffe avant que de pouvoir intervenir. Tout un temps perdu, un temps mort.. Si le détenu s'est mutilé gravement, cela peut devenir le temps de sa propre mort.

Mais c'est le règlement !

Il m’est arrivé d’avoir deux incidents en même temps la nuit. Vu que je suis le seul à détenir toutes les clefs et que, je n’ai pas le droit de les confier à un de mes agents, je devais procéder par ordre de priorité et tenter d'intervenir selon la gravité de l’incident.

Un seul à détenir toutes les clefs, cinq agents prêts à intervenir... Nous ne pouvons pas ouvrir deux portes à la fois, ce serait alors nous mettre en danger. La nuit, nous sommes comme des pompiers, nous devons parfois sauver des vies, mais jamais mettre la nôtre en danger.

La nuit tous les démons sont noirs

La nuit fait ressortir toutes nos angoisses ou démons, libre ou embastillé, nous somme toujours seul la nuit. Il est même arrivé en service de nuit qu’un surveillant se suicide depuis le mirador en utilisant son arme de service...

Alors, messieurs et mesdames lorsque vous passerez la nuit devant une prison ne vous étonnez pas d’entendre des cris et des appellent. En prison, la nuit des hommes vivent, parfois des hommes meurent aussi.

Dans la nuit des prisons, des hommes tentent encore d'exister...

03 - PAROLES DE MATON

Bruno des Baumettes a écrit :

"Ce n'est pas croyable... Voilà qu'on frôle mon drap, là sous la couverture. Une main s'est glissée, qui me caresse...

Elle explore ce corps sans vie..."

(Chapitre 4 - plus en-vie)

Amours et sexes emprisonnés

Comme me disait mon frère H. : « Il n’y a que les homosexuels qui sont heureux en prison »

Les peines de prisons sont des peines privatives de liberté et non de relations sexuelles... mais il est interdit dans les parloirs d’avoir des relations sensuelles sous peine de suspension de droit de visite.

L’acte sexuel, l'acte physique, je veux dire est aussi naturel que de manger ou boire, surtout lorsqu'on est jeune. S'en priver crée un manque, même si on prend en « main » un bout du problème, après un temps cela ne suffit plus.

Une seule solution : la masturbation !

De tout temps, la seule solution en prison c'est la masturbation et ça le reste toujours. Les cellules (des détenus masculins) sont tapissées de femmes nues. Encore, faut-ils qu’ils évitent qu'on les surprennent, lorsque nous faisons les rondes et que nous regardons par l'œilleton !

Quel homme – ou femme – se masturbant n'a pas peur de se faire surprendre ? Il y a quelque chose de tabou dans ce geste. Pour un détenu, surtout : la peur de ce faire surprendre par le maton...

Je n'en ai jamais pris un sur le vif, mais souvent, j’ai pu constater lors de mes inspections des taches blanches sur les draps dont l'origine ne faisait aucun doute. Lorsqu'on parle de mater, ce n’est pas trivial c’est professionnel : c'est notre fonction. Nous, Surveillants de base nous «matons ». Mater, c'est d'abord s’assurer que le détenu est bien là et qu'il ne tente pas de s'évader. Qu’il ne tente pas de mettre un terme à ses jours, non plus.

La solitude du taulard

Les prévenus incarcérés, en attente de leur procès et peut-être d'une remise en liberté conditionnelle, ceux qui ne redoutent qu'une condamnation légère, arrivent à contenir leur abstinence. Tant qu’ils ne savent pas le sort qui leur est réservé, ils peuvent se retenir. Si leur compagne vient assez souvent les voir au parloir, ils peuvent avoir des rapports furtifs et ainsi calmer leur libido.

Pour ces personnes, la famille, l’avocat, les ami(e)s qui les soutiennent sont des repères. Ils savent que c’est un mauvais moment a passer. Ils espèrent une sortie prochaine : ils n'ont pas l'envie de se masturber – encore moins d’avoir des rapports homosexuels : ils n'ont pas (encore) rompu tout lien avec la société.

Mais quand on en prend pour vingt piges, quand le type se retrouve en Centrale, alors souvent, doucement, les autres, ceux qui venaient le voir, le laisseront seul, espaceront leur visite, l'oublieront peut-être, l'abandonneront souvent.

Quand on est seul au monde, comment s’étonner que la chair prenne le pas ?

Sodomie et homosexualité

Peut-être allons-nous avec la nouvelle loi connaître les premiers mariages homosexuels en prison ?

Souvent l’amitié qu'un détenu porte à son codétenu se transforme au cours du temps. Parfois ce seront des caresses, juste de la tendresse. Parfois, malgré eux, ils en arrivent aux des relations sexuelles. Des collègues ayant travaillé en Centrale, m'ont rapporter comment des détenus vivaient en couple.

Souvent, entre hommes, c'est la sodomie. Ne soyons pas prude, c’est une pratique courante (y compris en-dehors de la prison et que ce soit entre homo- ou hétérosexuels). Bien que l'époque de l'Inquisition soit derrière nous, cela reste toujours un acte jugé abominable. De tels préjugés ne nous permettent pas de réfléchir en toute objectivité sur la sexualité en prison, et, en particulier sur l'homosexualité.

En taule, ces préjugés sont encore plus exacerbés. Etre un pédé, en prison, être une tafiole, c’est une insulte grave. C’est être traité comme un sous-homme, c’est être une considéré comme une pute : c'est-à-dire un réceptacle à foutre. C’est aussi cru que cela. Ces mots-là, je les ai entendu dans la bouche de détenus que je gardais.

(Si je n'ai pas, personnellement, connu de détenus en couple homosexuel, par contre à la Prison du Pontet, il y avait un couple de lesbiennes surveillantes. Elles avaient un enfant, qu'un surveillant du même établissement avait bien voulu faire à l'une d'entre elles. Pour leur rendre service...)

Dans l'intimité des parloirs

Alors qu’ils étaient assis l’un en face de l’autre, la femme avait relevé sa jupe, offrant ses cuisses et son sexe à la vue et au désir du détenu. Il n’y avait pas de séparation entre eux, pas de rempart, et nous devions leur interdire ces rapprochements naturels.

Ces parloirs sans muret, comme à la Maison d'arrêt des Baumettes, en Avignon ou au Pontet - m’ont irrité lors de leur mise en place. Il nous faut constamment surveiller que les personnes ne se touchent pas.

Avant, c'était plus simple. Les détenus et leurs visiteurs se parlaient au travers d'un hygiaphone. Dans d'autres établissements, comme à Fleury-Merogis, il y a un petit muret de séparation. Avec une séparation à mi-hauteur dans le box nous pouvions imposer une certaine tenue, quand ils ont supprimé ces murets, la nature a repris ses droits.

L’administration était tombée sur la tête. Devoir empêcher qu'ils se touchent !

Moi je laissais faire. C'est d’ailleurs à cette période qu'il y a eu un 'baby-boom' des prisons ! C’était dans les années 1990 et cela c’est fait dans toutes prisons de France et de Navarre, laissant un ou deux pârloirs à hygiaphone, pour certains détenus à risque ou - comme sanction infligée pour avoir eu par exemple des rapports sexuels avec sa compagne/ou son compagnon.

A la Maison d'arrêt du Pontet, je me souviens que nous avions donné pas mal de ces sanctions en commission de discipline. Parfois même, jusqu'à une interdiction temporaire de parloir à cause de tels comportements.

Les chambres d'amour

Aujourd'hui, il existe au sein des établissements des UVF, - Unité de vie familiale -, autrement dit, en langage plus trivial ; 'chambres d’amour'. J'espère qu'il y en a aujourd'hui aux Baumettes, ou alors ils sont drôlement en retard pour appliquer la loi pénitentiaire !

Ce sont des petits studios avec chambre, salon, cuisine américaines et même courette, implantés dans l’enceinte pénitentiaire. Les compagnes (épouses ou concubines) peuvent rejoindre leur compagnon, seules ou accompagnées de leurs enfants. Lorsque je travaillais, ils pouvaient séjourner de 6 heures à 48 heures. Je ne sais pas si la durée de la visite a augmenté depuis mon départ.

Cela a été une avancée énorme, malgré les délais trop longs pour l'obtention de ce droit de parloir-là.

Des viols en prison passés sous la loi du silence

Sous des allures bonhommes certains prisonniers, dans la cage de leur cellule, deviennent des bêtes. Lorsque nous mettons avec eux, sans le vouloir, sans le savoir, un détenu plus faible, ils peuvent laisser alors libre cours à leurs plus bas instincts.

Le pauvre type, sous leur emprise est alors soumis aux pires avilissements. Ils les tiennent en respect, les menaçant de représailles, s’il s'avise d'en parler aux personnels ou à leurs proches. C’est pour cette raison qu’il nous est difficile d'intervenir et d'arrêter de tels actes. Pourtant cela se voit : il n’y a qu’a regarder le détenu, de lui évoquer le viol pour s’apercevoir qu’il est terrorisé et de se rendre bien compte qu'il en a été la victime. Pourtant, jamais il n’avouera, et nous, on ne peut rien faire sans plainte ni aveux.

J’ai connu ainsi des détenus traumatisés à la prison d’Avignon, mais, ils avaient tellement peur qu’ils n’ont jamais dénoncer leur tortionnaire. Nous nous sommes alors contentés de les changer de cellules.

Les amours interdites

Dernièrement, les média ont relatés des amours (plus ou moins réciproques) entre les détenu(e)s et des membres du personnel pénitentiaire ou bien des intervenants extérieurs. Il n’y a pas si longtemps, un directeur de maison d'arrêt a été déchu pour avoir aimé une détenue de sa prison.

J’ai connu aux Baumettes des assistantes sociale qui acceptaient de se faire cajoler par des détenus. Lorsque l’administration s’en est aperçue elle ont été aussitôt suspendues en attente de sanctions. Dans les années 1990 une doctoresse, ou une psychologue, s’est retrouvée surprise dans une posture ambigüe avec un détenu, c'est-à-dire en plein coït. Elle a été suspendue et interdite de travail au sein des prisons. Je ne sais pas qu'elle autre suite a été donnée à cette incartade.

L’amour rend aveugle, dit-on. Jusqu'où peuvent mener de telle relation ? Un truand séduit son avocate pour l'aider à se faire la belle. Un autre utilise sa relation pour se faire apporter tout et n’importe quoi de l'extérieur... (Heureuseement, pour ma part, je n’ai connu personne dans mon entourage qui ce soit retrouvé dans ce genre de situation.)

Personnellement, je pense que de telles amours sont possibles à condition d’en accepter les conséquences. Si c'est le cas, alors il faut changer de statut – ou d'établissement : ne plus être l'avocat, ni le visiteur de prison qu'on était. Pour le/la surveillant(e) il/elle doit immédiatement changer d’établissement et venir visiter son amoureux au parloir comme n’importe quelle personnes extérieures, sans passe-droits.

Il est moins grave de se faire prendre pour avoir fait l'amour dans un parloir sans dispositif de séparation que de ce faire coincer en tant que directeur ou maton. Baiser dans une cellule avec sa belle ou son « beau » est passible pour nous de la Correctionnelle.

Il y a enfin des cas plus graves. Il y a de cela quelques années au Pontet, j’ai reçu un surveillant au quartier d’isolement : cette fois-ci comme détenu. Auparavant il avait travaillé au quartier des femmes de la Prison des Baumettes. Là, il avait entretenu des rapports réguliers avec plusieurs détenues.

Il leur imposait les pires humiliations. Il les violait parfois, choisissant comme sur un marché aux esclaves celle qu’il saillirait. Un jour une détenue, parce qu'elle était amoureuse de lui et qu'elle se sentait déshonorée, l'a dénoncé. C'est ainsi que le maton s'est retrouvé derrière les barreaux.

C’est ainsi que se terminent souvent les amours en prison.

Déjà, pour nous qui sommes en liberté, il est difficile d'exprimer sa libido ou aller vers l’autre. Alors, je vous laisse imaginer combien il devient chaotique d’exprimer ou de vivre sa sexualité derrière les barreaux. Comme le dit Bruno : 'parler d'amour, de sexe, de désir en prison c'est presque déshonorer ces mots ! C'est aussi les salir, peut-être. Et peut-être, pour cela restent-ils tabou d'en parler ?'

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03 - PAROLES DE MATON

Bruno des Baumettes a écrit : "C'est fou comme la prison est meurtrière. Elle tue tous ceux qu'elle aime. Elle tue l'idée-même du désir...

(Chapitre 5 - grosse déprime)

Histoires (vraies) de (faux) suicides

Les vrais suicides en prison ne sont pas plus élevés que dehors. Il y a une forte manipulation des chiffres, on arrive à faire dire tout et n’importe quoi aux nombres...

Dans les prisons, c’est l’enfermement qui pousse au dernier moment le doigt sur la gâchette

La moindre contrariété, se transforme en obstacle insurmontable. Une femme qui vous quitte, une peine trop élevée, la solitude, la pression des détenus comme des surveillants, des circonstances qui aggravent l’état d’esprit des détenus et qui les poussent au passage à l'acte sans qu'ils le veuillent vraiment.

J’ai connu de faux suicides réussis, car les gars avaient mal calculé.

La faute à pas-de-chance

Je me souviens, aux Baumettes en 1992, un détenu s’est ainsi suicidé par malchance. Il était en cellule dans le bâtiment D au 4 eme étage, c’était en service de nuit. Pendant la nuit, durant leurs rondes les surveillants n’ont pas la clef des cellules, seul le brigadier les a. Cette nuit-là, le brave détenu entend le rondier arriver, il se coupe les veines et frappe comme un sourd a la porte.

Malheureusement pour lui, il a mal calculer son coup. En se tailladant il s'est sectionné l’artère fémorale. Le temps que le surveillant appelle le brigadier qui était aux greffes, que celui-ci franchisse toutes les grilles et arrive pour ouvrir, il se passe cinq ou six minutes environ, le détenu s’est entretemps vidé de son sang.

Aux Baumettes : une artère fémorale sectionnée ça ne pardonne pas.

Une corde trop bien tressée l'a condamné à mort

A la prison du Pontet – près d'Avignon, un détenu qui voulait sortir du Quartier disciplinaire (le cachot), feint une tentative de suicide. Ce sont ses codétenus qui ont pu lui suggérer cette solution pour échapper au mitard.

Malheureusement, il tisse de façon trop solide une corde avec des lanières déchirées de ses draps. (Les détenus ont droit à des draps au quartier disciplinaire.) D’habitude les surveillants commencent la distribution des repas par sa cellule. Dès qu’il entend le chariot de la gamelle, il se pend. Mauvais coup du sort pour lui, le brigadier a décidé de commencer ce jour-là par le quartier des isolés situé sur le même palier. Lorsque les surveillants arrivent à sa cellule c’est trop tard, le type est déjà tout raide.

Une corde trop bien faite, penser que l’astuce trop répandue qu'une tentative de suicide pourra vous faire échapper au QD, et pour finir un changement dans la ronde de distribution du repas, et voilà ! Ce bonhomme sûrement ne voulait pas mourir : simplement il voulait sortir de cette cellule.

Une corde tissée trop solidement l’a condamné à mort.

Un Lexomil pour prévenir les tentatives de suicide

Lors que je reçois un arrivant, je prends toujours le temps de bien l'observer. Je lui donne toujours le traitement prescrit en garde à vue par le médecin plus éventuellement un quart de Lexomil. Le Lexomil lui otera le stress et le rendra plus calme.

En plus c'est un cachet sécable en quatre et ne présente pas de risque en petite quantité. C’est pour cette raison que je me suis souvent permis d'en donner. Et comme souvent il y s'agit des « toxicos », le Lexomil pour eux, c'est une plaisanterie !

Choisir un codétenu de confiance

Un moyen de prévention contre le suicide, c’est généralement de 'doubler' l’individu fragile en ayant bien entendu choisi de placer avec un codétenu de confiance dont le tempérament sera une aide à la personne qui sera déprimée.

Avec tact, je fais comprendre au codétenu sa responsabilité et sur le risque qu'il encourt de « non assistance à personne en danger », s’il advient quelque chose à la personne que nous avons affectée dans sa cellule. C’est la raison principale des entretiens d'accueil afin de bien affecter les personnes fragiles.

D'autres moyens plus radicaux

Il y a d’autres moyens radicaux aussi pour éviter toutes tentatives de suicide. C’est de mettre à poil le dépressif, dans une cellule du quartier disciplinaire avec 2 matelas en mousse. Je l’ai pratiqué sur des personnes à risque... et ça marche !

Mais au lieu de se suicider dans le respect du code de procédure pénal, elle risque de porter plainte contre nous pour maltraitance. Pourtant, si je n'avais pas agi de cette manière, le type serait peut-être mort. La famille aurait porté plainte contre l’administration, qui sûrement se serait retournée contre moi ou un autre agent.

A Fleury-Merogis, j’ai connu pire encore : la cellule de contention. C’est une cellule pour les nerveux, les agressifs, ceux qui risquent d'attenter à leur intégrité physique. Elle est équipée d’un lit spécial « style sado-maso ». On y couche la personne à poil puis on attache les bras et les jambes, enfin on lui immobilise le torse avec une camisole fixée au lit. Avant de sortir on le couvre d'un drap par décence.

C’est barbare, mais efficace à 100 %. Mais c'est démocratiquement et déontologiquement inacceptable dans un état de droit. En 1987 cela ce pratiquait, actuellement je ne sais pas.

Aujourd'hui les camisoles chimiques ont remplacé tout ça

Aujourd'hui la camisole chimique a remplacé ces procédés obsolètes. On donne volontiers des surdoses de médicaments qui ne tuent pas mais qui inhibent toutes velléités. Comme nous disons dans le midi : on les ensuque à coup de neuroleptiques, on les endort, comme on le fait dans les hôpitaux psychiatriques.

Je témoigne que certains détenus apprécient cet état qui les apaise et réclament leur dose de cachetons lors qu’ils se sentent devenir nerveux et irascibles. Ça les aide à supporter leur détention. C’est aujourd'hui le moyen le plus couramment utilisé pour éviter les tentatives de suicides.

Notre responsabilité est engagée

Notre responsabilité dans l’absolu c'est de rester 24 heures sur 24 derrière la porte des cellules. Mais alors c’est nous qui nous suiciderions. Et notre famille, contre qui porterait-elle plainte ? Plus sérieusement la Justice tentera toujours de trouver un responsable, même si la faute n’est pas évidente. Dans le code de procédure pénale, les avocats se chargeront toujours de trouver la faille.

Trop de textes tuent l’essence même des lois et nous faisons dire tout et son contraire à des textes : que nous soyons victimes ou accusés. Nous, les brigadiers et les surveillant sommes les fusibles qui empêchent les responsabilités de remonter trop haut dans la hiérarchie.

Personne ne peut arrêter une personne qui veut vraiment se suicider

Une chose est certaine : personne ne peut arrêter une personne qui a vraiment décidé de se suicider. Dix minutes avant de passer à l’acte, elle était tranquille, buvant un café et parlant de la pluie et du beau temps et puis... Personne ne peut rien y faire. A l'intérieur comme à l'extérieur.

Il est pourtant indispensable de mettre en place une prévention du suicide. Dans les hôpitaux psychiatriques par exemple, les personnes n'attentent pas à leurs jours. Pourtant elles le pourraient. Il y a bien des draps ou autres objets qui, détournés de leur usage, peuvent devenir des armes...

En particulier, de traiter les états dépressifs et de malaise en amont. Quant à savoir s’il y a plus de suicide en prison ou dehors cela ne me paraît pas important. Il faut être conscient que l’enfermement et la rupture avec les liens extérieurs sont la cause première. Les tentatives de suicide sont des signaux d’alerte. Tous : personnel pénitentiaire, psy, toubib et infirmier qui travaillons dans les prisons, nous nous devons d’être constamment vigilants.

Pour s'évader – loin au-delà des murs

Beaucoup de tentatives de suicide réussissent à cause du fait qu'elles sont arrivées à un mauvais moment, mais curieusement parmi tous les détenus que j’ai connus et qui ont fait une tentative ratée, aucun d'eux jamais n'a récidivé. Peut-être avaient-ils peur de mourir ?

La tentative de suicide est un cri d’alarme face à la condition carcérale. Souvent un refus d’exécuter sa peine, même si on est coupable. Ou peut-être, en définitive, un suicide, un suicide réussi est-il une autre façon de s'évader ? un certain pas loin au-delà des murs...

03 - PAROLES DE MATON

Bruno des Baumettes a écrit : "Maintenant Abdel est au mitard. Pour combien de temps ? nous verrons bien. Dans quel état est-il ? mystère. Le cachot c'est vraiment le trou noir. Difficile d'avoir des nouvelles de ceux qui y plongent..." (Chapitre 5 : des nouvelles d'Abdel-le-hadj)

Cachot, sanctions et discipline

T’en a pris pour vingt piges. Tu sais que tu vas rester-là, enfermé, toute une partie de ta vie. Alors, tu peux bien insulter les surveillants, voire leur péter la gueule si ça te fait plaisir. De toute manière avec les confusions de peine (la plus grosse englobe les plus petites, elles les effacent, en quelque sorte), ici, entre ces murs, on ne te retiendra pas plus longtemps.

Un rapport... d'autorité !

Notre autorité commence par des phrases du style : ''Si vous continuez à me manquer de respect vous aurez un rapport d’incident'' : le rapport ! l'arme fatale pour avoir un peu de discipline en prison. Il n’y a que ce moyen pour que les geôles n’explosent pas. La discipline, la punition, la sanction sont nécessaires dans l'enceinte de la prison, sinon c’est l’anarchie.

La sanction, c'est aussi un moyen pour la resocialisation des personnes détenus qui ont oublié les bonnes règles en liberté. Apprendre ou réapprendre la discipline, c'est aussi avoir le respect des autres.

Pour les prévenus : un seul moyen, le cachot !

Il y a une grande différence les prévenus et les condamnés. Un prévenu est en attente de jugement. Donc si ont le puni du Quartier disciplinaire, le juge ne pourra pas lui retirer des jours de remises de peine, si, lors de son procès, il est par hasard relaxé. Il devient caduque de lui enlever des soustraire des jours de remise de peine sur une détention qu’il n’aura pas à faire !

Il ne nous reste donc plus, comme moyen de pression, que la punition du cachot... Bien sûr, dans ce cas-là, il a toujours la solution de faire une fausse tentative de suicide afin d'éviter le mitard, comme je l'ai écrit dans un autre texte.

A contrario pour les condamnés c'est différent. Le fait qu'ils risquent de se voir retirer des remises de peine peut être un moyen de les tenir tranquilles.

Un jour aux Baumettes : histoire d'une enquête disciplinaire

Un jour, aux Baumettes, je convoque un détenu qui avait déchiré ses draps dans la nuit. Un détenu condamné. Ce n’était pas un type facile : un nerveux. Lorsque je lui signifie les motifs pour lequel je l’ai convoqué, il me sort : « Enculé de brigadier, t'es qu'un fouille merde, pourquoi tu as fouillé ma cellule ? ».

Je lui réponds que c’est mon boulot. J’avais deux agents à coté de moi pour prévenir tout débordement de sa part. J’avais lu dans son dossier qu'il pouvait être violent si on le contrariait.

Je rajoute que les insultes qu’il vient de me proférer feront l’objet d’un rapport d’incident. Rapport que j'ai fait.

Ce rapport est passé ensuite dans les mains d'un de mes collègues. C'est lui qui s'est chargé de mener l’enquête sur l'incident : une altercation orale avec insultes. L'ensemble des éléments rapportés a été ensuite transmis au chef de détention.

Le prisonnier a alors été déféré en commission de discipline. (Une commission qui se réunit deux fois par semaine).

Le conseil de discipline

Le conseil de discipline se compose d’un surveillant, du directeur - qui préside - et d’un brigadier.

Deux heures avant la comparution un avocat, s’il le détenu l'a demandé, peut prendre connaissance du dossier. Il a le temps alors de discuter avec son client de la défense à adopter. Après avoir entendu le détenu ainsi qu'éventuellement son avocat, le conseil de discipline se réunit à huis-clos et décide de la peine à infliger.

Au bout d’un quart d’heure de délibération, le verdict est annoncé au détenu et son avocat. Ils peuvent faire appel de sa condamnation auprès de la Direction régionale mais cet appel n’est pas suspensif. (S’il prend huit jours de cachot, le coupable y est conduit sans délai.)

Expérience faite, la présence d'un avocat n’a presque pas d’effet sur le jugement. Au contraire : on a tendance à être plus dur, sauf si une faute de procédure peut-être démontrée par celui-ci.

Une verdict pouvant aller de la simple relaxe à quarante-cinq jours de cachot...

L'éventail des sanctions passe par l’admonestation – et, concernant les auxiliaires (les détenus qui travaillent en prison) : le déclassement : ils perdent alors leur travail et redeviennent des détenus comme les autres.

Les détenus peuvent se voir infliger jusqu'à quarante-cinq jours en Quartier disciplinaire – voire plus. Ça peut aussi se traduire par une plainte posée contre le détenu qui se retrouvera avec une nouvelle affaire sur le dos.

Cette peine prononcée apparaîtra dans le dossier du détenu, en particulier pour les commissions d’application des peines. S’il y a relaxe, le rapport et l’enquête vont au broyeur à papiers... On n'en parle plus : l'affaire est close.

Les remises de peine supplémentaires (RPS)

De manière automatique (sauf en ce qui concerne les peines de sûreté) le détenu bénéficie de trois mois de remise de peine par an, voire plus s'il travaille ou s'il suit une formation.

Il existe une Commission d’application des peines qui se compose de trois membres de droit : le Juge d’application des peines (JAP), qui préside, le Procureur de la république et le Directeur de la prison. Ces trois personnes sont secondés par des membres consultatif : un membre du corps de commandement., un membre du corps d’encadrement et d’application, un membre du personnel de surveillance, et, enfin, un membre des personnels d’insertion et de probation.

Cette commission se réunit une fois pas mois. Le JAP y examine le dossier des détenus. Il examine, en particulier le fait de savoir si un détenu est passé en commission de discipline et s’il a été sanctionné.

Il peut alors retenir un certain nombre de jours de remise de peine suivant la sanction prononcée par la commission de discipline. Retenir des jours de remise de peine, - c'est-à-dire, en définitive, retarder leur libération, c'est malheureusement la seule « carotte » que nous avons pour tenir nombre de détenus.

Des peines plus graves encore...

Je me souviens, c'était dans les années quatre-vingt-dix. J’ouvre la porte d'une cellule. Le type était très énervé parce nous ne répondions pas assez vite alors qu'il appelait et tapait depuis un moment.

Je lui ai dit – je m’en souviens comme si c’était hier : « Ici, vous êtes en pris… » Je n'ai même pas eu le temps de finir le mot : il m’a attrapé par la cravate, je me suis retrouvé par terre au milieu de la cellule, tout étourdi. J'entends encore ses menaces : « Attends que je sois dehors, je vais te tuer, je ne t’oublierai pas toi et ta famille. Je vais te tuer ! »

Heureusement derrière moi, j’avais un surveillant qui a ceinturé le bonhomme, un autre est arrivé tout de suite, et puis d’autres surveillants, alertés par les collègues sur place.

Le détenu a immédiatement été emmené jusqu'au Quartier disciplinaire et placé au cachot à titre préventif.

J’ai été conduit à l’hôpital pour faire constater mes blessures, j’étais en état de choc, et une légère entaille au menton.

Je ne sais plus de combien de jours de cachot il a écopé. En plus, nous avons porté l'affaire devant le Tribunal correctionnel. Le type a été condamné a une nouvelle peine de prison et a me verser cinq mille francs de l’époque (750 euros actuels).

Si l'agression avait été plus grave, il aurait pu se retrouver aux Assises. En particulier, s'il avait été prouvé qu’il avait eu la volonté de me tuer...

Des règles et des hommes

Dans ce métier nous sommes comme des funambules en équilibre entre un règlement que nous ne pouvons appliquer de façon trop stricte, au risque d'un saut dans le vide. Je veux dire par là que si je suis trop strict - voire que je donne, sur un moment d’énervement, une gifle éducative, je risque de me retrouver en garde à vue, voire peut-être en prison moi-même, pour violence. Même si cet individu avait tout fait pour m'énerver et me provoquer.

Nous sommes obligés d'appliquer au quotidien des règles très strictes. Ces règles s'appuient sur un règlement intérieur, lui-même étayé par des textes de lois. Ensuite seulement, c’est à chacun, dans son exercice, en fonction de sa propre personnalité de fixer les marges qu'on peut se donner avec celui-ci.

Personnellement, j’ai toujours laissé un peu de souplesse de ma façon d’appliquer le code de procédure pénale. J’ai connu d'autres collègues, plus zélés, qui faisaient une dizaine de rapports d’incident à chaque vacation. Ils ne travaillaient pas mieux, ils n’étaient pas aimé par la population pénale et se faisaient agresser régulièrement.

Le risque d'être trop laxiste existe aussi

Le risque d'être trop laxiste c'est, par exemple, lorsqu'un détenu se prétend malade, - et que la Direction fait le nécessaire qu'il soit conduit en consultation à l’hôpital – de relâcher la surveillance et qu'il s'évade.

Si je décide de ne pas lui mettre des entraves sur le chemin de l’hôpital, par soucis d’humanité, - et comme le recommande les Droits de l’homme - et que l’individu s’évade, c'est moi qu'on accusera. La direction fera tout pour désigner un lampiste. Elle me sanctionnera, pour l’exemple... et pire encore : selon comment est menée l’instruction, je peux me retrouver en garde à vue, pour grave négligence, voir derrière les barreaux avec un renvoi, si on me juge complice de l'évasion.

Je regrette que de nos jours la parole du détenu ait plus de valeur que la nôtre.

La prison reste encore un lieu ou la loi et les règlements sont appliqués et doivent l'être. Ce n'est plus malheureusement la même chose partout. Il suffit de lire les journaux pour s’apercevoir que dans les banlieues comme dans les hautes sphères de l’Etat la loi n’est plus appliquée.

Dans certains quartiers, il devient de plus en plus difficile aux forces de l’ordre de rentrer sous peine de ce faire caillasser. Dans d'autres endroits, ce sont les notables qui bafouent allègrement les lois pour s’enrichir. Alors que nous, en prison, nous essayons de faire appliquer les règlements pour apprendre aux détenus à respecter les lois de la République.

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03 - PAROLES DE MATON

(Photo : Mutinerie des Baumettes de 1983)

Bruno des Baumettes a écrit : "Alexandre le métis me raconte aussi les mutineries, je ne sais plus quand, peut-être dans les années 80. « Ça a permis une amélioration des conditions de détention, m'affirme-t-il. Les jeunes aujourd'hui devraient s'en souvenir...»..." (Chapitre 2 : Alexandre le métis)

La grande mutinerie des Baumettes de 1987


Voilà..., c'est ainsi que j’ai vécu la grande mutinerie de 1987 aux Baumettes : les émeutes de la honte. Je n’étais encore que simple surveillant...

Sur les toits fumants des Baumettes, ils étaient montés : masqués et grimés. Ils réclamaient plus de parloirs, des meilleures conditions de détention, plus de liberté. Après qu'ils ont crû triompher, le retour de bâton fut terrible.



L'ambiance était électrique...


Lorsque je suis rentré dans les coursives encore fumantes du bâtiment A, c'était comme après un bombardement. Ça sentait le brûlé partout, une odeur âcre nous prenait à la gorge. Devant nos yeux un spectacle de désolation, des fumerolles s'élevaient un peu de partout.


A l'intérieur, les portes avaient été arrachées, renversées, les grilles étaient tordues comme de simples bouts de fer. La rage semblait avoir multiplié leurs forces : il ne restait plus rien debout. La vision du désastre me serra le cœur. Un profond malaise nous envahit de voir ainsi anéanti notre prison, une prison qui, de toute façon, devait continuer à fonctionner.


L'ambiance était électrique, mélange de révolte, d'un côté et de revanche de l'autre. Les détenus venaient d'avoir eu leur heure de gloire, s'affichant à toutes les éditions des journaux télévisés, sur les grandes chaînes nationales.

Lire la suite : PRISONS MUTINES

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Une évasion en Avignon

Il est rare que les Personnels pénitentiaires commentent un évasion. C'est vrai qu'une évasion, pour un maton c'est un peu comme un berger qui perd un de ses moutons, comme un Monsieur Seguin sans sa chèvre. Le récit d'Alain H. est alors d'autant plus précieux...

 

Chapitre 1 : 

La Tuile ! Elisa s'est fait la Belle

"C'était en 1999, en été, à la Prison d'Avignon. J’étais alors premier surveillant à l’infrastructure, le service qui s’occupe du travail des détenus..."

 

 

LIRE LA SUITE : Une évasion en Avignon : Elisa s'est fait la Belle

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Paroles d'autres matons

Le 'droit de réserve' restreint la parole des surveillants. Peu osent, tel Alain H., s'exprimer ouvertement. Parfois, leurs mots viennent chatouiller l'oreille de leur hiérarchie...

Voici quelques bribes de leur parole prisonnière...

 

 

Radicalisation et trafic d'armes : le quotidien d'un maton à la prison des Baumettes

 

Jour et nuit, les matons arpentent les coursives de la prison des Baumettes. Ils surveillent et accompagnent les 2000 prisonniers à la douche, en promenade et aux ateliers cuisine. Ils voient et entendent les discussions des taulards, et scrutent leurs mouvements en permanence – du moins, c’est ce qu’ils faisaient avant d’être en sous-effectif. Aujourd'hui, les surveillants sont constamment dépassés et le chaos s’est lentement installé. En juillet 2014, trois détenus ont fini à l'hôpital après avoir été victimes d'un guet-apens dans les douches de la prison...

 

Lire la suite : Vice (09/09/14)

 

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"Bonne année !!! Mon c..." : le gardien de prison qui ne la ferme pas

 

Un délégué syndical de la maison d’arrêt d'Angoulême fait l’objet d’une enquête pour un tract titré « Bonne année !!! Mon c… » et jugé injurieux par sa hiérarchie.

Lire la suite : Sud-Ouest (18/02/14)

 

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Dans Libération (16/07/13), Les gardiens sont infantilisés : Claire Verzeletti, surveillante pendant sept ans, militante CGT réagit à l'ouvrage de l'historien Philippe Artières (2013), Intolérable.


Un détenu d'Epinal : « Le comportement des surveillants est très variable, dépendant en général de la quantité d’alcool bu pendant la journée. »

Réponse de Claire Verzeletti :

« Bon, des surveillants «alcooliques» et «illettrés», comme disent les détenus interrogés par le Groupe d’information sur les prisons, il devait y en avoir, à l’époque. C’était alors un métier familial, les fils de gardiens de prison devenaient gardiens de prison.

 

« Aujourd’hui la formation dure huit mois : du droit, un peu de psychologie, des cours sur l’alcool ou la toxicomanie, et beaucoup de pratique (tir, self-défense…). Près des deux tiers des personnes reçues au concours ont le bac.


« Lire les textes du GIP n’a pas été facile : certains passages témoignent des maltraitances commises par les surveillants. Comme beaucoup de mes collègues, je n’ai pas choisi mon métier - j’ai eu de longues périodes de chômage et de petits boulots. Mais j’ai besoin que ma profession ait un sens, et donc que la prison soit utile. En tout cas, humaine.


« Les textes de l’époque décrivent un monde clos, où il peut se passer tout et n’importe quoi. On le sent encore aujourd’hui, mais les détenus sont davantage conscients de leurs droits et de plus en plus de personnes venues de l’extérieur y travaillent.

 

« Pourtant, l’arbitraire subsiste. Il existe bien des règlements intérieurs, mais ils restent vagues, varient d’un établissement à l’autre et laissent une grande marge de manœuvre au directeur de l’établissement.

« Dans le livre [de Philippe Artières], un docteur parle des surveillants comme des «autres victimes» de la prison, «épuisés nerveusement». Aujourd’hui encore, les personnels sont maltraités par leur hiérarchie, infantilisés, ils restent des exécutants.

 

« Aux yeux des détenus, on ne sert à rien d’autre qu’à ouvrir ou fermer des portes. S’ils veulent obtenir quelque chose, ils savent bien qu’il vaut mieux nous contourner… On est bien loin des textes de loi qui nous donnent un rôle dans leur réinsertion.

« Enfin, une chose semble immuable : la prison est toujours pensée avant tout comme une punition. Il arrive que des personnels se donnent un rôle de vengeurs, ils veulent punir celui qui a fait le mal.
Mais c’est un sentiment qui imprègne de manière inconsciente le système lui-même. »

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Rue89 (03/03/13) - Réaction d'une Surveillante à la prison des Baumettes : "Connaissez-vous l’univers carcéral ? Avez-vous déjà mis les pieds dans une prison française ? Aux Baumettes ? Parce que moi oui, tous les jours. et ça fait dix ans (...). Je pourrais écrire un livre. Mais ça, c’est parce que je sais de quoi je parle..."

 

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D'autres témoignages

 

FR3 Alpes (05/07/13) : Thierry Gidon, syndicaliste - "Il peut y avoir des dérapages mais on fait un métier difficile"

Le Nouvelobs (25/06/13) : David Daems, syndicaliste - Gardiens de prison en colère : les politiques n'ont pas idée de la violence carcérale

Rue89 (18/06/13) : Jean-Christophe, gardien de prison : « Parfois, la violence est inévitable »

Le Novelobs (18/06/13) : Surveillants de prison : "Notre sécurité est en péril" - Et la 'réponse' que lui adresse Laurent Jacqua, ex-détenu : "Gardiens de prison en colère: j'ai été détenu pendant 20 ans, je ne peux pas les plaindre"

Entretien avec Laurent Ridel, Sous-directeur des politiques pénitentiaires

Interview de Martine Marié (06/053/15), Directrice du centre pénitentiaire Lille-Loos-Sequedin : «Diriger une prison, c’est comme diriger une entreprise»

 

A visiter : 

 

Le Blog de Christophe Diebold :  Histoire de l'uniforme des surveillants pénitentiaires. Christophe Diebold sert l'Administration pénitentiaire depuis 1994 qu'il a intégré en qualité de surveillant...

 

 

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